• Les Prussiens entrent en Normandie au cours des mois d'octobre et de novembre par le plateau du Vexin. De nombreux combats ont lieu entre les soldats prussiens et français. Mais les Prussiens dominent nettement les Français qui complètement désorganisés, abandonnent Rouen, dans laquelle les Prussiens entrent les 5 et 6 décembre. La ville est occupée et le général Manteuffel y installe un préfet et une administration prussienne. De plus les habitants subissent la confiscation de leurs biens par l'armée allemande.

    A. Roland décrit l'arrivée de l'armée prussienne dans la ville :

    "13 décembre - Cette nuée que je veux qualifier de huitième plaie, s'abat dans les domiciles pauvres ou aisés par deux, par quatre ou six, malgré le nombre fixé par le billet de logement (nouvellement innové pour ces messieurs)."

    Cependant l'armée française se replie et le général Briand ordonne le repli sur Honfleur afin d'embarquer pour Le Havre.

    Cette retraite ne marque pas la fin des combats, le général Roy, à la tête de 10 550 hommes et 14 canons, tente de reconquérir Rouen.[26] Les Français arrivent à faire une percée, mais les Prussiens réalisent une contre-attaque, que les Français parviendront à repousser. Mais cette tentative sera la dernière, car le 25 janvier, le Grand duc de Mecklembourg fait son entrée dans Rouen et signe l'Armistice le 28 janvier. Une ligne de démarcation est alors dessinée, s'étendant d'<a-redirect href="/wiki/Etretat" title="Etretat"></a-redirect><a-redirect></a-redirect>Etretat à St Romain de Colbosc. A. Roland écrivit alors :

    "Le Havre était resté français et n'avait pas vu flotter sur ces murs le sombre drapeau noir et blanc".

    Il s'avère que l'occupation se passa très mal et que les occupants furent assez violents avec les occupés.

    Ces moments sombres semblent avoir forgé une certaine image de l'occupant qui se retrouvera dans l'envie de partir au combat , lors de la Première Guerre mondiale en 1914.


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    L'Occupation Prussienne a Alencon 1871

     L'occupation d'Alcnçon par les Prussiens en 1871, par

    M. Henri BEAUDOUIN.

    Retranscription pour le groupe cgs61, Th Nicolle..

    *******************

    Le travail que je publie aujourd'hui a été composé en grande

    partie en 1871, c'est-à-dire au moment où venaient de se passer

    les événements que je rapporte II a été fait d'après ce que j'ai

    vu et éprouvé, plus encore que sur ce que j'ai lu ou entendu dire.

    C'est donc, s'il en fut, une oeuvre personnelle et en quelque sorte

    vécue. Cela ne m'a pas empêché, bien entendu, de m'entourerde

    tous les documents et de tous les renseignements que j'ai pu

    découvrir. N'étant ni militaire ni stratégiste, j'avais particulièrement des motifs de me défier de mes jugements pour tout ce

    qui concerne les opérations militaires. Voici du reste la liste

    des principales autorités auxquelles j'ai eu recours :

    1° La Deuxième Armée de la Loire, par le général Chanzy.

    In-8° 1871.

    2° La Guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la

    section historique du Grand Etat-Major prussien. Traduction

    par le chef d'escadron E. Costa de Serda, de l'état-major français. In-8° 1880, 2m9 partie. Tomes II et III (IV et V. de l'ouvrage

    complet).

    3° Les Combats d'Alençon, par M. Martin Le Neuf de

    Neufville. In-8°.

    4° Tableau statistique des perles des armées allemandes, etc.,

    d'après les documents officiels allemands, par D. II. Leclerc,

    capitaine au 101e régiment d'infanterie. 2me parlie.

    5° Vandales et Vautours, par un franc

    -

    tireur du corps

    Lipowski.

    6° Registre des délibérations du conseil municipal de la ville

    d''Alençon (14 janvier à 28 avril 1871).

    7° Délibérations du Comité Militaire de défense du département

    de l'Orne.

    8° Note explicative sur les circonstances qui ont précédé et

    suivi la défense d'Alençon, par M. Antonin Dubost, Préfet de

    l'Orne.

    9° Note de M. Eugène Gautier, sur les négociations pour la

    contribution de guerre pendant l'armistice.

    10° Le dossier des opérations de la commission d'enquête sur

    les charges de l'occupation.

    11° La collection du Journal d'Alençon, notamment les nos du

    22 au 26 janvier et du 11 février 1871, sur le combat et l'occupation ; du 6 et du 8 avril, note explicative du Préfet.

    12° La collection du Courrier de l'Ouest, notamment les nos

    du 25 et du 26 janvier 1871.

    13° Quelques extraits de journaux, notamment du Journal de

    Fiers, du 18 au 25 janvier 1871.

    M. Lecointre, ancien maire d'Alençon a réuni en un gros

    volume de 329 pages in-folio tous les documents qu'il a pu se

    procurer sur l'invasion d'Alençon. Son manuscrit est extrêmement précieux.

    ***********chapitre 1 *************

    LES PREMIERS MOIS DE LA GUERRE.

    Jusqu'au moment où les Prussiens menacèrent notre département, Alençon fut ce qu'étaient à peu près toutes les villes

    éloignées du théâtre des hostilités. Il avait accueilli avec joie la

    déclaration de guerre, et le mouvement que nécessite toute

    grande concentration de forces militaire n'avait fait qu'accroître

    son ardeur. On ne pouvait voir sans émotion les levées

    d'hommes, les passages de troupes, l'enthousiasme des soldats,

    faisant retentir les rues de leurs transports bruyants, trop

    bruyants même, ou inscrivant sur leurs wagons ces mots

    ,

    hélas ! si peu prophétiques : Train de plaisir pourBerlin, payé

    par le père Guillaume.

    Tout d'ailleurs inspirait la confiance. Nos troupes étaient si

    vaillantes, nos généraux paraissaient si habiles, le Maréchal Le

    Boeuf se disait si bien préparé, nos arsenaux, nos magasins

    étaient, à ce qu'on prétendait, si bien garnis.

    Nos mobiles eux-mêmes, mal équipés, mal commandés, nullement exercés, ne laissaient pas que de présager un utile soutien, si tant est qu'on ait jamais besoin d'eux. On aimait à les

    voir sur la place faire l'exercice ;

    leur maladresse, la gaucherie

    et l'inexpérience des officiers aussi bien que des soldats faisaient

    sourire tout d'abord ; mais bientôt on constatait leur bonne

    volonté, leur ardeur, leurs progrès étonnants.

    A quiconque aurait dit que nous avions trois fois moins de

    soldats que nos ennemis; que nos mobiles ne seraient pas en

    état d'aller utilement au feu avant des mois; que notre organisation militaire était défectueuse en beaucoup de points ; en un

    mot, que nous n'étions pas prêts, c'est à peine si l'on eût daigné

    faire une réponse.

    Cependant, pour ne négliger aucune force, on avait jugé utile

    de réorganiserles gardes nationales ; précaution bien superflue,

    à ce qu'il semblait, et bonne, tout au plus, à répondre à un

    besoin d'ordre local. D'après la loi stricte, la garde nationale ne

    devait comprendre que les hommes en état de s'habiller à leurs

    frais. On jugea néanmoins plus prudent d'en élargir les cadres

    et d'y inscrire tous les citoyens. La ville se réservait de fournir,

    quand il en serait temps, des uniformesà ceux qui ne pourraient

    pas en acheter ; quant aux armes, on ne pouvait disposer que

    de 400 fusils à piston, ancien modèle. C'était peu pour douze ou

    treize cents gardes nationaux ; mais à quoi bon s'en préoccuper?

    Pendant qu'on songeait ainsi à s'organiser, bien des motifs de

    déception étaient venus ébranler la confiance. Les nouvelles des

    défaites du commencement d'août et de l'entrée des Prussiens

    sur le territoire français arrivaient à Alençon coup sur coup,

    dans la journée du dimanche 14 août, alors qu'on était en train

    d'élire un nouveau conseil municipal. Puis, les progrès de

    l'ennemi, les victoires de Bazaine, les débats de la Chambre,

    les communications du Comte de Palikao, attristaient ou encourageaient, irritaient ou réconfortaient, mais ne pouvaient décourager que les pessimistes. Comment croire que la France pût

    être définitivement vaincue ? On se précipitait aux dépêches

    télégraphiques ; on se transmettait les nouvelles, on se plaignait

    de n'en pas avoir assez, espérant toujours qu'il en allait arriver

    d'heureuses et de décisives.

    Enfin le désastre de Sedan vint jeter la consternationdans

    les esprits, et deux jours après, la proclamation de la République augmentait les inquiétudes des uns, tandis qu'elle inspirait à d'autres les espérances les plus chimériques. De la personne de l'Empereur, on s'en inquiétait peu ; mais un changement de gouvernement dans un pareil moment, alors que l'ennemi assiégeait Strasbourg, Metz et d'autres places fortes,

    occupait nos provinces de l'Est, menaçait et allait bientôt

    investir Paris, avait de quoi effrayer pour l'avenir de la France,

    non pas seulement pour son avenir politique, mais surtout, car

    c'était pour le moment, l'unique préoccupation, pour le succès

    de ses armes.

    L'avènementde la République eut donc à Alençon, comnie

    ailleurs, pour premier effet de diviser les esprits.

    Les hommes d'ordre, tous ceux qui mettent la France au

    dessus des intérêts d'un parti, l'acceptèrent comme une nécessité

    d'un moment, et, faisant plus que de s'y soumettre, n'hésitèrent

    pas à lui prêter leur concours actif et dévoué, sauf à régler plus

    tard, s'il y

    avait lieu, les questions politiques.

    Malheureusement les chefs du nouveau gouvernement, je

    parle surtout de la délégation de province, au moins aussi soucieux, peut-être, de fonder la République que de sauver la

    France, n'apportèrent à la défense ni la même abnégation, ni

    le même patriotisme. Troublés d'abord et comme écrasés sous

    le poids d'une charge trop lourde pour leurs épaules, ils laissaient écouler le temps, sans paraître songer que chaquejour

    hâtait notre ruine, s'il ne préparait notre délivrance, quand leur

    arriva en ballon un auxiliaire tout à fait inattendu, qui ne manquait certes ni d'énergie, ni d'activité, et à qui toute responsabilité était légère. Bientôt donc Gambetta eut effacé et absorbé

    ses collègues, et la France, à l'humiliation de voir son sol foulé

    par l'étranger, sentit s'ajouter la honte de subir, pendant quatre

    longs mois, la dictature d'un avocat sans expérience.

    Et la France, devant ce représentant improvisé de la défense

    nationale, se soumit encore, tant elle redoutait d'affaiblir la

    résistance !

    Levées extraordinaires

    ,

    dilapidation de nos ressources

    ,

    emprunts, désorganisation des services, dissolution de nos

    assemblées issues du suffrage universel et. leur remplacement

    par des commissions administratives, omnipotence des préfets,

    sous la main de leur tout-puissant chef, et prédominance de

    l'autorité civile sur l'autorité militaire, même en ce qui concernait les questions militaires, destitutions arbitraires d'officiers

    ou de généraux, plans de campagne ou de batailles imposés à

    des hommes de guerre par un avocat, mépris constant de toute

    loi, de tout conseil et de tout contrôle, tel est le résumé du

    système qui prévalut à cette fatale époque.

    Plusieurs de ces mesures furent adoucies dans la pratique

    par le bon vouloir de quelques préfets. Notre paisible cité eût

    été difficile à révolutionner ; et pourtant, elle ne manqua pas

    plus que d'autres de brouillons qui, à défaut de désordres maté-

    riels, n'auraient pas mieux demandé que d'amener des excitations fâcheuses. Ce fut donc un bonheur pour Alençon d'avoir

    un préfet modéré et intelligent, M. Christophle, à qui ses qualités gagnèrent dès l'abord presque tous les esprits. Dévoué,

    autant que qui que ce soit, au salut du pays, il eut pour principe que la violence et le bruit, loin d'assurer ce résultat, ne font

    que le compromettre. Alençon lui sut gré de sa modération et

    l'en récompensa, d'abord en lui rendant par son bon esprit

    l'administrationplus facile, et plus tard, en l'appelant à défendre

    ses intérêts à l'Assemblée nationale.

    M. Christophle avait à sa discrétion maires et conseils municipaux ;

    il nous laissa notre conseil municipal tout entier, et se

    montra aussi heureux que la population de la réélection de notre

    maire, M. Lecointre. Aussi, le Maire et le Préfet marchèrent

    constamment d'accord, au grand avantage de la ville.

    Les rapports du préfet avec le général avaient quelque chose

    de plus délicat. Les pouvoirs militaires, accordés si malencontreusement aux préfets, ne pouvaient être qu'une source de

    fausses mesures et de conflits. L'esprit de conciliation du général

    de Malherbe et de M. Christophle facilitèrent une entente que le

    gouvernement, central semblait, comme à plaisir, rendre impossible. Le préfet sut s'incliner devant l'expérience militaire du

    général, et ne pas se mêler outre mesure de ce qu'il ne pouvait

    savoir. Là encore, les hommes chargés d'exécuter les décrets

    corrigèrent ce que les décrets avaient d'excessif et de vicieux.

    Je voudrais avoir à citer sur notre ville quelques faits particuliers ; mais ils furent rares et peu saillants, tant que les troupes

    ennemies ne la menacèrent pas d'une manière immédiate.

    Un Comité chargé de la défense du département fut institué.

    Ce comité, placé dans le principe sous la présidence du préfet

    ne tarda pas à passer sous celle du général de Malherbe ; commandant la subdivision militaire de l'Orne. Les autres membres

    étaient le général de Boisterlre, commandant de la garde nationale d'Alençon ;

    l'ingénieur en chef du département du HautPlessis, MM. Grollier, ancien député, Lherminier, avocat,

    Libert, docteur médecin. Ces trois derniers se retirèrent au

    bout de peu de temps. Firent aussi partie de ce comité, ensemble

    ou successivement, le commandant d'infanterie Lemaître, le

    colonel d'artillerie en retraite d'Hostel, le colonel Tardy, de s

    mobilisés de l'Orne, l'ingénieur de Domfront de la Tournerie,

    M. Boissière. Au dessous de ce Comité était placé dans chaque

    canton un comité de défense cantonale (1).

    La garde nationale faisait son service et ses exercices comme

    à l'ordinaire, peut-être un peu mieux qu'à l'ordinaire ; mais à

    côté de quelques membres zélés, combien ne comptait-elle pas

    de négligents. Les chefs eux-mêmes, ne prévoyant pas sans

    doute qu'on dût jamais avoirbesoin d'elle, ne faisaient rien pour

    lui inspirer de l'ardeur et du courage. Les engagements volontaires se continuaient, quoique lentement, malgré les appels

    réitérés du gouvernement et du préfet ;

    le recrutement de l'artillerie surtout présentait de grandes difficultés. Une compagnie

    de francs-tireurs alençonnais, sous les ordres de M. de Botot,

    s'organisait péniblement, sauf à se dissoudre plus tard avec une

    déplorable facilité. Une autre, recrutée dans des conditions

    différentes, se retira, avant d'être définitivement constituée

    ,

    devant le décret qui plaçait les compagnies franches sous les

    ordres du ministre de la guerre, et les soumettait à un service

    rigoureux en dehors des limites du département. Les levées, les

    révisions, les exercices des mobilisés se poursuivaient activement, mais, hélas ! ne comblaient que bien imparfaitement les

    vides qui se multipliaient chaque jour dans nos armées. Les

    mobiles étaient le diminutif de l'armée active ;

    les mobilisés

    n'étaient, à leur tour, que le diminutif des mobiles. C'était

    surtout une grande difficulté pour eux de se trouver des chefs,

    et, quoique presque jusqu'à la fin les nominations aient eu lieu à

    l'élection, les électeurs n'étaient pas peu embarrassés pour se

    trouver des officiers qui ne fussent pas trop incapables. Les uns,

    propriétaires, commerçants, se recommandaient par leur position sociale, leur instruction, leur influence, mais ne savaient

    rien des choses de la guerre ;

    les autres, anciens soldats, se

    souvenant plus ou moins de l'exercice, ignoraient le commandement et l'art de diriger les hommes. Heureux donc quand le zèle

    d'une part, l'esprit de discipline d'autre part, suppléaient plus ou

    moins à ce qui manquait d'ailleurs. On a vu placer à la tête de

     

    bataillons de simples ouvriers, n'ayant d'autre recommandation

    (1) Circulaire de M. Christophle, préfet de l'Orne, sur l'organisation de

    la défense départementale. 23 septembre 1870.

    que leurs sept ans de service en qualité de simples soldats.

    D'autres fois, on était obligé d'aller chercher hors du bataillon

    un ancien militaire, sorti caporal, après trois ans de service.

    Le plus souvent, les nouvelles recrues arrivaient sans équipement, sans armes, sans uniformes. Le Conseil général vola

    2,500,000 francs, pour subvenir aux frais de la défense ;

    le conseil municipal, de son côté, vota, pour le môme objet, un crédit

    de 50,000 francs, acheta des chassepots pour ses mobilisés et

    pourvut, autant qu'il était possible à leur équipement. Par suite,

    certains travaux, qui d'abord avaient été conduits assez mollement, se poursuivirent avec une activité dévorante, à mesure que

    les circonstances se firent plus impérieuses. La ville et les campagnes environnantes se transformèrent, en quelque sorte, en un

    vaste atelier ; mais ne pouvaient qu'à grande peine fournir en

    quantités suffisantes vareuses, pantalons, souliers, képis, sacs,

    tentes de campement, etc.

    Mais il n'y avait pas seulement à songer aux combattants :

    la

    guerre a ses nombreuses victimes, qu'on ne peut laisser sans

    secours. Ce lut surtout de ce côté que la charité privée dirigea

    son action. Qui n'avait à l'armée un fils, un frère, des parents,

    des amis ? On espérait leur rendre le ciel favorable, leur épargner peut-être des blessures ou la mort, en venant au secours

    de leurs camarades. On ne voyait dans toutes les mains que

    charpie ou bandes de pansement. Puis, la saison froide approchant, des quêtes et des ateliers s'organisèrent pour acheter et

    fabriquer des gilets de laine et des cache-nez. Des dames s'astreignirent à se trouver au passage de tous les trains, pour distribuer aux soldats blessés, malades ou simplement fatigués, des

    vivres, du tabac, des rafraîchissements. Des particuliers offrirent des ambulances ; mais, à ce sujet, l'action privée était

    évidemment insuffisante. Les malades, encore plus que les

    blessés, affluant de tous côtés,' la petite vérole commençant ses

    ravages, l'hôpital se vit obligé de renvoyer dans leurs famillesj

    moyennant une rétribution convenable, ses vieillards,

    .

    ses

    enfants, ceux de ses malades qu'il était possible d'évacuer, de

    n'en plus admettre d'autres qu'à la dernière extrémité, et de

    réserver presque tous ses lits pour les militaires. Plus tard, ce

    ne fut pas seulement l'hôpital qui dut avoir cette destination

    ;

    l'Ecole Normale d'instituteurs, la caserne de la Sénatorerie,

    9

    l'hôtel de la gare, l'ancienne maison de la Providence, un certain nombre de maisons particulières la reçurent, à leur tour.

    Outre les aumôniers attachés 'à nos corps départementaux en

    campagne, des aumôniers spéciaux voulurent se consacrer au

    service de chacune de ces ambulances. Des religieuses de tout

    ordre, spécialement celles de la Miséricorde, des personnes du

    monde même se dévouèrent L. cette oeuvre, qui n'était pas sans

    péril. Plusieurs payèrent de leur vie leur admirable charité.

    Nous n'avions plus seulement à supporter les effets lointains

    de la guerre ; son souffle brûlant s'approchait ; bientôt il allait,

    en quelque sorte, nous envelopper.

    Fin chapitre 01


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    L'Occupation Prussienne a Alencon 1871 ; recit de 1896 chapitre 02

    *******CHAPITRE II.*****

     

    PREMIÈRES ALARMES, INVASION DU DÉPARTEMENT

    La prise de Metz, en assurant les communications des Allemands avec leur pays, et en rendant disponibles les 200.000

    hommes qu'ils étaient obligés d'immobiliser devant l'armée de

    Bazaine, contribua puissamment à étendre le fléau de la guerre.

    Elle eut encore, par contre-coup, d'autres résultats non moins

    affligeants. Elle diminua à Paris la force du Gouvernement, et

    augmenta, presque jusqu'au triomphe, celle de la Révolution.

    Elle fit, par suite, avorter les négociations pour un armistice

    dont nous avions grand besoin. Alors nos armées commençaient

    à s'organiser ; quelques avantages aAraient été obtenus et en

    faisaient présager de plus grands. Si Metz avait-pu tenir un ou

    deux mois de plus, qui peut dire si l'issue de la guerre n'aurait

    pas été totalement changée ? S'il eût tenu seulement encore une

    semaine, l'émeute du 31 octobre eût-elle eu lieu ? l'armistice

    n'aurait-il point été conclu ? une paix moins désastreuse n'en

    eût-elle pas été la suite ?

    Quoi qu'il en soit, des dangers plus pressants furent comme

    un nouvel excitant à les conjurer, et à de plus grands désastres,

    on se sentit disposé à opposer des efforts plus puissants. Il ne

    fut plus question que de résistance à outrance, les brûlantes

    proclamations de Gambetta ne retentirent plus que d'appels aux

    armes et aux populations ;

    la levée en masse fut décrétée, sauf

    à être arrêtée plus tard par l'impossibilité matérielle d'armer et

    d'équiper autant d'hommes ;

    la résistance des Ailles, même au

    risque de les faire écraser inutilement, la dépopulation des campagnes et le transport des vivres et des approvisionnementshors

    de la portée de l'ennemifurent mis à l'ordre du jour. Mais que

    pouvait, pour nous sauver, une énergie sans expérience et sans

    sagesse?

    — 11 —

    Tant d'efforts cependant ne pouvaient manquer d'obtenir de

    temps en temps quelques succès. Un moment, après la bataille

    de Coulmiers et la sortie victorieuse de Trochu, Paris et la

    Province se crurent prêts de se donner la main ; mais d'Aurelles

    de Paladine, moins heureux, blâmé, révoqué, eut son armée

    divisée ;

    celle de la Loire, commandée par Chanzy, forcée,

    malgré quelques succès, de se retirer devant des forces supérieures, fut obligée de reculerjusqu'au Mans.

    11 était grand temps que le Comité de défense pourvût aux

    nécessités de la situation. Parmi les mesures qu'il prescrivit, on

    doit citer l'interdiction d'abattre des bois sans autorisation ;

    l'ordre d'évacuer, le cas échéant, les bestiaux, les chevaux, les

    voilures, les approvisionnements, hors de la portée des troupes

    allemandes ; môme la limitation préalable des grains et des

    farines à la halle et chez les boulangers, ainsi que la dénaturalisation des semences, de manière à les rendre impropres à la

    nourriture de l'homme ;

    l'établissement dans chaque commune

    de tout un système de postes, de patrouilles de nuit, d'estafettes,

    afin de se tenir au courant des mouvements de l'ennemi et de

    pouvoir les signaler autour de soi. Il désigna seize points dans

    le département et y fit exécuter plus ou moins complètement des

    travaux : Coupures de routes

    ,

    barricades

    ,

    retranchements,

    abattis d'arbres, fascinages, etc. Les points de défense les plus

    voisins d'Alençon en étaient à 10 ou 12 kilomètres ;. au Neufchatel, à Ancinnes, à Saint-Denis, à Oisseau, aux Rablais, au

    Menil-Brout. Quant à la ville elle-même, le Comité après avoir

    examiné ses environs, ne reconnut pour elle d'autre moyen de

    défense que le barricadement de ses rues et de ses maisons dans

    le cas oùjie sacrifice des biens et de la vie des citoyens paraîtrait

    commandé par des avantages d'une importance assez exceptionnelle ou au moins assez sérieuse pour la défense nationale.

    Cependant, sur les observations du Conseil municipal, il prescrivit quelques abattis d'arbres aux environs de Champfleur et

    de Bourg-le-Roi et une coupure de route entre le Mesnil-Erreux

    et les Ventes-de-Bourse. Quant à la voie ferrée, il suffisait pour

    l'intercepter, de jeter au dernier moment, des terres dans un

    déblai (1).

    (1) Délibérations du Comité de défense, 8 novembre 1870 à 2 janvier 1871.

    avec carte. — Cabier Lecointre, p. 319 à 329. Circulaire du Préfet de l'Orne.

    L'envahissement de notre contrée ne date pas seulement du

    reste de la concentration au Mans de l'armée de Chanzy. Dès

    avant cette époque, des engagements avaient eu lieu à Dreux et

    vers Nogent, et l'on avait signalé les Prussiens sur plusieurs

    points extrêmes du déparlement de l'Orne. C'est en vain que les

    dépèches se multipliaient ; qu'on leur donnait les formes les plus

    mitigées; qu'on noyait une mauvaise nouvelle sous un flot de détails rassurants; il n'était pas besoin d'une grande perspicacité

    pour apercevoir,derrière ces phrases calculées, une situation chaque jour plus grave. Nos troupes prenaient ou tuaient quelques

    ennemis; les Prussiens s'emparaient des villes et des canons,

    nous tuaient ou nous prenaient des centaines ou des milliers

    d'hommes. Nous étions vainqueurs dans les petits engagements,

    ils l'étaient dans les batailles.

    Le 23 novembre, il y eut grand émoi à Alençon. Des troupes,

    ou plutôt des troupeaux d'hommes de toutes armes, mobiles,

    francs-tireurs, soldats de ligne, se précipitaient dans la ville,

    sales, exténués, quelques-uns sans armes. Fallait-il ajouter un

    nouveau nom à la liste de nos défaites ? A les entendre, c'est à

    peine si quelques hommes auraient échappé au désastre. Tel

    racontait qu'il n'en restait que douze de sa compagnie ;

    tel autre,

    qu'il n'en restait pas quatre-vingts de son bataillon.Et, pourtant)

    à voir tous ces soldats, sans blessures, fuyant au hasard, sans

    lieu de ralliement, arrivant à rangs pressés pendant toute la

    journée, on aurait dû songer à la part d'exagération que la

    panique devait avoir dans ces nouvelles.

    Un combat avait eu lieu en effet deux jours auparavant, à la

    Fourche, vers l'extrémité est du département, entre les mobiles

    de l'Orne, appuyés par quelques autres corps et par des francstireurs, et une partie de l'armée du duc de Mecklenbourg. Plusieurs de nos bataillons avaient bien tenu ; mais d'autres, n'ayant

    pas montré la même solidité, avaient hâté une retraite inévitable,

    ou plutôt, l'avaient changée en débandade. Une centaine des

    nôtres, dont trente morts environ, avaient été mis hors de combat. Il y

    avait loin de ces nouvelles, tout affligeantes qu'elles fussent, à l'anéantissementde nos forces départementales. Mais, ce

    qu'il y avait de plus triste dans cette affaire, c'est qu'une armée

    ennemie tout entière se mouvait près de nous ; c'est que la faute

    des nôtres lui livrait le département; c'est qu'elle en occupait

    — 13 —

    déjà plusieurs points et ne pouvait manquer de nous arriver d'un

    jour à l'autre.

    Alençon l'attendait pour le lendemain ou le surlendemain ;

    la

    panique régnait dans la ville. Quant à ce qui serait fait pour recevoir les Prussiens, personne n'en avait seulement, le pressentiment

    .

    Le Comité de défense siégeait, à ce qu'ilparaît, presque en permanence; mais ses déterminations étaient peu connues dans le public. On se demandait avec anxiété où aurait lieu

    la résistance, et même s'il y aurait résistance ? Quelles troupes

    avait-on à mettre en ligne? La garde nationale fut pourtant

    reunie ; des grand'gardes de trente hommes chacune furent postées pendant deux ou trois jours sur les routes de Mamers, de la

    Fresnaie, d'Essay, de Sées et de Paris; des gendarmes furent

    envoyés en éclaireurs. A quoi bon? Et ces quelques mesures

    n'avaient-elles pas pour but de faire taire les partisans de la résistance et de donner une sorte de satisfaction au besoin de mouvement qu'on éprouve malgré soi dans des circonstances de cette

    nature ? Ce qui portait à le croire, c'est que, d'un autre côté, la

    préfecture et les administrations se retiraient à Domfront; c'est

    qu'on éloignait le peu de troupes dont on pouvait disposer et

    qu'on faisait évacuer au plus vite les fuyards, à mesure qu'ils

    arrivaient.

    Et cependant, cette fois encore, l'ennemi ne vint pas jusque

    chez nous. Les Allemands, après quelques engagements, occupèrent Bellême, qu'ils firent cruellement souffrir, allèrent de là à

    Mamers; mais n'osèrent pousser jusqu'au Mans. Ils rodèrent

    ainsi, pendant plus de deux semaines, à quelques lieues de nous

    sans nous visiter.

    Ce temps ne se passa pas sans alertes. Vers le 15 décembre

    notamment, on signalait, disait-on, les Prussiens à Mortagne, à

    Mamers, même au Neufchâtel. Quelques concentrations de

    troupes eurent lieu à Alençon ;

    des reconnaissancesfurent faites

    de tous les côtés ; mais cet appareil militaire s'évanouit de nouveau comme par enchantement, et de nouveau aussi les ennemis

    nous laissèrent de côté.

    Ces délais étaient employés à peu près aussi bien que le permettait le désarroi général. On en profita pour achever d'équiper les mobilisés ; pour commencer l'organisation de l'artillerie

    départementale, qui venait d'être décrétée par la délégation de

    -

    14 -

    Bordeaux' ; pour procéder aux réquisitions de .chevaux et de

    voitures destinés aux service des armées ; pour donner des soins

    à nos ambulances. Les blessés affluaient en plus grand nombre,

    à mesure que se rapprochait le théâtre de la lutte. La générosité

    des particuliers, principalement des dames, eut là un vaste

    champ pour s'exercer et ne faillit pas à la tâche. De temps à

    autre, on apprenait avec satisfaction que nos mobiles ou nos

    francs-tireurs avaient remporté quelque avantage ou tenu vigoureusement tête à l'ennemi ; on espérait tous les jours de bonnes

    nouvelles ; on en avait quelquefois ;

    c'élait alors une grande

    joie; plus souvent les dépêches ou les journaux ne nous apprenaient qu'un nouveau malheur.

    Cependant, comme si les Prussiens n'avaient pas suffi à occuper l'activité d'un homme d'État, Gambetta en revenait, bon gré,

    mal gré, à sa politique révolutionnaire. Parmi les nombreux

    monuments de son despotisme, un de ceux quifroissèrent le plus

    les populations, fut la dissolution des Conseils généraux et leur

    remplacement par des Commissions administratives. Notre

    Conseil général, à l'exemple de la plupart des autres, protesta ;

    le Préfet insista auprès du ministre tout-puissant, pourle presser

    de revenir sur sa décision, lui exposa le patriotisme du Conseil,

    les services qu'il avait rendus au déparlement, les gages qu'il

    avait donnés à la défense ; on lui répliqua par un nouvel ordre.

    M. Christophle, ne voulant pas se faire l'exécuteur d'unemesure

    qui répugnait à ses sentiments, répondit lui-même par l'envoi

    de sa démission. M. de la Garenne, secrétaire général de la préfecture, le suivit dans sa retraite.

    Dans toute circonstance, M. Christophle aurait été regretté ;

    ses qualilés, son esprit de justice et de conciliation lui auraient

    gagné les sympathies ;

    le motif de sa retraite lui assurait un

    nouveau titre à l'estime ; mais ce qui augmenta surtout les regrets qui le suivirent, ce fut le choix de son successeur.

    M. Antonin Dubost était un homme d'environ 26 ans, ex-collaborateur de la, Marseillaise. Il avait été nommé secrétaire de la

    Préfecture de Police après le 4 septembre, puis, il avait quitté

    Paris en ballon. Son ami Gambetta n'avait trouvé rien de mieux

    que de nous le donner pour préfet. Sa proclamation d'entrée en

    fonctions ne pouvait d'ailleurs laisser aucim doute sur ses idées.

    Le but qu'il poursuivait, c'était celui-là même qui s'était incarné

    — 15 —

    dans la Révolution du 4 septembre, à savoir; l'établissement définitif de la République, et par elle, l'indépendance absolue de la

    Patrie. La cause du mal, il la trouvait tout entière dans le régimemonarchique. Quand aux complices conscients de ce régime,

    qui a conduit la France à deux doigts de sa perte, la République

    n'a qu'un mot à leur répondre : vous êtes des incapables;

    qu'un

    droit à leur laisser, le droit de se repentir.

    Notre nouveauPréfet nousarrivaitd'ailleurs dans de tristes circonstances militaires. A l'en croire, il aurait trouvé nos légions

    de mobilisés dans l'état le plus pitoyable, dispersées dans toutes

    les directions, obéissant à leurs propres inspirations. Une seule

    légion, sous les ordres du commandantRaulin, opérait utilement

    dans l'arrondissement de Mortagne. En revanche, deux bataillons étaient si bien égarés que, pendant plusieurs jours, personne, dit-il, ne savait ce qu'ils étaient devenus. Il était à peine

    installé qu'on signalait une nouvelle invasion dans notre département et dans la direction denotreville. La Fourche,Bretoncelles,

    Laigle, Mortagne étaient occupés par l'ennemi ; Bellème venait,

    au dire du Préfet, d'être occupé de nouveau par nos mobilisés.

    Les mêmes démonstrations, les mêmes concentrations, les

    mêmes reconnaissances, les mêmes mesures de défense que

    par le passé furent reprises, mais avec une énergie et un appareil auquel nous n'étions pas accoutumés. Alençon, déshabitué

    de voir nos vieilles troupes, fut surtout flatté d'être défendu par

    un corps de cinq ou six cents gendarmes. (1)

    Ces mouvements effrayaient plutôt les habitants pour leur

    sûreté particulière, qu'ils ne les inquiétaient au point de vue des

    opérations générales. Alençon, ville ouverte de tous les côtés, et

    qui n'avait rien de militaire, ne pouvait supposer que l'ennemi

    cherchât à l'envahir dans un autre but que celui de s'enrichir à

    ses dépens, ou, tout au plus, de s'avancer davantage au coeur de

    la France. Son sort, dans tous les cas, ne lui paraissait lié que

    d'une manière bien éloignée et bien indirecte à celui des grandes

    armées. Cependant, il n'en était pas ainsi, et nous eûmes pendant quelque temps une importance stratégique que nous ne songions même pas à soupçonner.

    Cette persistance des Allemands à rôder autour de notre ville

    (1) Note explicative du Préfet.

    — 1G —

    ne pouvait rester inaperçue aux hommes chargés de la défense,

    et ne laissait pas que de leur donner à réfléchir. D'un autre côté,

    Alençon entrait pour une large part dans le plan de campagne

    du général Chanzy. Nos ennemis, avec cette sûreté de coup d'oeil

    qui les abandonnait si rarement, ne faisaient donc ainsi que

    contrarierses vues et gêner ses opérations, en même temps qu'ils

    se ménageaient les moyens de l'attaquer de plusieurs côtés à la

    fois, de se préparer, dans l'avenir, un de ces fameux mouvements tournants qui leur avaient réussi tant de fois, et peut-être,

    au dernier moment, de lui couper la retraite.

    Les projets du général Chanzy sur notre pays semblent dater

    de l'arrivée à son camp du capitaine d'étal-major de Boisdeffre,

    envoyé par Trochu pour mettre le gouvernement de la Province

    au courant de l'état et des besoins de Paris. Deux points importants résultent de son rapport : premièrement, Paris complètement enfermé dans un cercle de fer, ne peut se sauver à luiseul,

    ni nourrir l'espoir de faire une trouée avec les moyens dont il

    dispose ; et, en second lieu, ses jours sont comptés;

    il a encore

    des vivres et des munitions pour un mois, et l'on peut fixer dès

    maintenant aux environs du 20 janvier la date fatale de la capitulation.

    La conclusionde ces renseignements s'imposait :

    il n'y avait

    pas un instant à perdre. Un mois pour aller jusqu'à Paris, avec

    les obstacles de toute nature que l'ennemi ne manquerait pas de

    nous opposer, c'était peu, trop peu même, à moins d'un effort

    suprême et combiné des trois armées qui nous restaient encore.

    Telle fut l'avis du général de l'armée de la Loire. Il le proposa

    catégoriquement au Gouvernement ;

    il insista auprès des autres

    généraux ;

    il lit appel à toutes les forces de la nation; et, chose

    qui paraîtra difficile à croire, ce fut Gambetta, le bouillant dictateur, qui tempéra l'ardeur du général, et jugea à propos de

    reviser ses projets en ce qu'il leur trouvait de trop hasardeux et

    de trop prompt.

    Voici en quels termes s'en explique le général Chanzy dans

    une lettre au ministre : « La base d'opération d'où je partirai

    « sera la Sarthe et la ligne ferrée du Mans àAlençon; la nouvelle

    «

    base sur laquelle je marcherai sera l'Eure, probablement de

    « Dreux à Chartres. Là, j'apprécierai, d'après la situation, si je

    « veux continuer nui marche sur Paris, ou si je trouve plus

    — 17 —

    « avantageux d'investir dans cette position, l'armée assié-

    « géante. » Puis, après avoir montré la nécessité de combiner

    ses opérations avec les généraux Bourbaki et Faidherbe, de

    relierson action à celle du général Trochu, et enfin d'assurer

    ses communications avec sa base d'opération et sa ligne de retraite, il reprend : « C'est pourquoi je vous ai demandé de me

    «

    faire connaître quelles troupes je pourrais tirer de l'Ouest,

    « pour couvrir la ligne du Mans à Alençon, et même du Mans

    «

    à Tours Des concentrations de troupes dont je ne suis

    «

    nullement informé, se font sur divers points de la Norman-

    «

    die, notamment à Cherbourg ;

    j'ignore dans quel but. Il im-

    « porte, en ce moment, que rien ne soit détourné de mes forces

    «

    vives, etc. »

    Puis, Gambetta faisant attendre sa réponse trop longtemps

    au gré de l'impatience du général, celui-ci, quelquesjours après,

    lui envoie le commandant de Boisdeffre (un Alençonnais), poulie presser, l'engager à adopter son plan et lui en expliquer les

    détails : Action simultanée de Chanzy, Bourbaki et Faidherbe ;

    Ghanzy partant du Mans, pour venir par notre pays s'établir sur

    l'Eure, entre Evreux et Chartres;

    les forces de Cherbourg

    s'avançant le long du chemin de fer de Caen, jusques sur la

    gauche de la deuxième armée ;

    les forces réunies en Bretagne et

    sur le cours inférieur de la Loire occupant fortement la Sarthe,

    d'Alençon au Mans, et le Perche jusqu'au Loir, pour couvrir la

    base et la ligne d'opération de l'armée et assurer ses derrières ;

    les corps francs de Cathelineau et de Lipowski, en arrière du

    Loir et de Châteaudun, pour couvrir l'aile droite et observer les

    troupes ennemies de la vallée de la Loire ;

    enfin les trois grandes

    armées se rapprochant de Paris, et combinant. leurs attaques

    avec celles de Trochu. Qu'une seule réussisse, c'est le ravitaillement de Paris et peut-être le succès (1).

    Gambetta avait, à la vérité, 80,000 hommes, en formation à

    Cherbourg et à Vierzon ;

    il consentait à les mettre à la disposition du général, ce qui devait porter son armée à200,000hommes,

    mais ils ne pourraient être prêts avant le 12 ou le 15 ;

    il fallait

    donc attendre jusques là pour commencer le mouvement, sur

    (1) La Deuxième Armée de la Loire, par le Général Chanzy, 2m» édit.

    p. 244.

    2.

    — 18 —

    Paris. — Mais Paris lui-même pourrait-il attendre ? Chanzy,

    qui ne le croyait pas, hâtait, autant que cela lui était permis,

    l'exécution de ses projets. Il faisait établir à Beaumont-surSarthe, sur la route d'Alençon, les avant-postes de cavalerie du

    XVIIe corps ;

    il plaçait à Mamers et au Theil, ceux du XXIe

    corps ;

    il chargeait le général de Malherbe, cemmmandant la

    subdivision de l'Orne, d'appuyer la colonne du général Rousseau, du côté de la Ferté-Bernard, du Theil et de Mamers;

    il

    dirigeait sur Mamers deux bataillons des mobilisés de l'Orne ;

    il

    donnait ordre au colonel Lipowski, des francs-tireurs de Paris,

    de concourir aux mômes opérations (1).

    Ces dispositions amenèrent sur divers points, à Nogent, à

    Bellème, à la Fourche, à Condreceau (probablement, Condeau?),

    à Regmalard, au Theil, etc., un grand nombre d'actions peu importantes, si on les considère chacune en particulier; mais qui,

    avec des chances diverses, et après des débuts avantageux,

    avaient eu pour résultat définitif la retraite, ralentie par la lutte,

    mais presque générale de nos troupes (2).

    Mentionnons encore parmi ces petits engagements la défense

    de Longny, qui dura cinq jours, et fait le plus grand honneur à

    ses habitants et à ses défenseurs, les francs-tireurs de Constantine (3).

    Le moment était venu de couvrir Alençon directement, et le

    7 janvier, après le combat du Theil, Lipowski devait être envoyé

    dans notre direction, pour observer l'ennemi, qui menaçait

    Mortagne. De leur côté, les mobilisés de l'Orne étaient échelonnés, d'une part, au Mesle-sur-Sarthe et à Montisambert, d'où ils

    surveillaient les routes de Mortagne à Sées, par Sainle-Scolasse

    et Courtomer; d'autre part, à laFresnaie, aux Aillères, au Neufchâtel, à Ancinnes, à Louvigny, de façon à garder la forêt de

    Perseigne et à couvrir Alençon. Chanzy avait l'espoir qu'un

    effort vigoureux en avant leur permettrait de reprendre Bellême

    et avait donné des ordres en conséquence au général de Malherbe (4). Attaqué dans toutes ses positions à la lois, il donnait

    (1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 250, 256, 257.

    (2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 285-287.

    (3) Courrier de l'Ouest, 4 février 1871.

    (4) La Deuxième Armée de la Loire. Notes et documents, p. 552 et 556. —

    Note explicative du Préfet A. Dubost au Maire et aux Conseillers municipaux d'Alençon.

    ordre de résister partout, autant que cela serait possible. Attendant de jour en jour une grande bataille, et obligé de rappeler à

    lui ses meilleures troupes régulières, les difficultés de sa situation ne lui faisaient pas perdre de vue Alençon.

    Dans sa pensée, le projet des Allemands était de nous attirer

    en dehors de nos positions du Mans, pour chercher à nous battre

    en détail ; ou bien de nous refouler sur ces positions et de nous

    y bloquer, pour empêcher notre marche sur Paris. Les trois

    lignes d'attaque de l'ennemi devaient être :

    1° Par la vallée de

    l'Huisne, l'armée du duc de Mecklenbourg, avec menace sur

    Alençon, Bellême et Mortagne ; 2° par la route de Vendôme au

    Mans, où se trouvait, dit-on, le prince Frédéric-Charles; 3° enfin au sud du Loir. Dans ces conditions, Chanzy, obligé de faire

    tête à l'ennemi dans autant de directions, déclarait indispensable

    de faire arriver à Alençon au moins une division du XIXe corps

    et de diriger sur Tours ce que le XXVe avait de disponible. Il

    renouvela également sa demande de faire venir à Alençon 9,000

    mobilisés de la Mayenne, que le Préfet donnait comme prêts et

    bien outillés. Tous ces mouvements, disait Chanzy, sont urgents

    et doivent être faits par les voies les plus rapides. Il nous faut

    être nombreux partout, et ne pas nous exposer à voir nos

    lignes forcées en quelques endroits (1).

    Et le même jour, annonçant au préfet de l'Orne les demandes

    qu'il venait de faire et l'envoi à Mamers du colonel Lipowski,

    pour couvrir Alençon, seul renfort immédiat qu'il puisse lui

    donner, il ajoutait : « Le tout est de tenir quelques jours ; et

    «

    cela est d'autant plus facile que, par le temps qu'il fait, nous

    « avons le choix des posilions de défense, et que l'ennemi ne

    « peut faire grand usage de son artillerie. » Le 10 janvier, les

    mobilisés étaient annoncés à la fois par le général de l'armée de

    la Loire et par le Ministre de la Guerre. En attendant, le Préfet

    avait ordre de défendre Alençon et le cours de la Sarthe, avec les

    forces dont il disposait (2).

    Nous voici arrivés au moment de la bataille du Mans. Je n'ai

    point à raconter ce désastre, qui eut sur nos destinées une si

    triste influence, et j'ai presque honte de direqu'elle causa la perte

    (1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 306 et 552.

    (2) Lettre du Préfet au Maire, etc.

    — 20 —

    d'Alençon, quand je songe aux résultats infiniment plus funestes

    qu'elle eut pour notre malheureuse patrie. Au moins est-ce une

    sorte de triste consolation de penser que l'événement qui

    consomma le malheur de notre ville fut celui-là même qui donna

    le dernier coup à notre bien-aimée France.

    Cette bataille de trois jours se présenta d'abord, comme c'était

    assez l'ordinaire, sous des auspices avantageux. Jusqu'à la fin,

    des dépêches favorables, commentées par le désir du succès,

    grossies par les nouvelles particulières, entretinrent les espérances les plus magnifiques. Comment se fait-il, et quelle était donc

    la confusion universelle, que des événements de cette importance,

    se passant à douze lieues, aient été si peu, si tard et si mal

    connus ?

    Enfin, le 13 janvier, une dépêche, venue de Bordeaux, nous

    apprit la triste vérité.

    Mais, ce que nous ne savions pas, c'étaient les projets que le

    général en chef de l'armée de la Loire avait nourris et continuait

    à nourrir relativement à notre ville.

    Quand, le 11 au soir, la perte de l'importante position de la

    Tuilerie eut placé l'armée du Mans dans un état des plus critiques, ce contretemps, loin de changer l'idée que caressait

    Chanzy de pousser sa marche sur Paris, ne fit en quelque sorte

    que d'en bâter l'exécution. Il se proposait, avant la bataille,

    d'aller à Paris par Alençon ;

    le chemin étant encore ouvert, il

    résolut d'en faire sa ligne de retraite, sauf à voir ensuite par où

    il pourrait continuersa route. Sa première pensée donc, avant

    môme d'avoir constaté sa défaite, est de se ménager, à tout

    événement, un puissant renfort à Alençon.

    «

    Il est de la der-

    «

    nière importance, écrit-il au Ministre, que les deux divisions

    «

    du XIXe corps, que vous voulez bien m'annoncer, soient ren-

    «

    dues dans le plus bref délai possible à Alençon. Elles peuvent

    « me donner le moyen d'un succès important sur les flancs de

    «

    l'ennemi. Prière de me faire savoir le jour où elles seront à

    « Alençon. Je donnerais tout pour les y

    savoir aujourd'hui. »

    (1)

    Enfin, la retraite étant définitivement commandée, les instructions du 12 au matin ne sont que la mise à exécution de la pensée

    (1) La Deuxième Armée de la Loire. Télégramme du 11 janvier, 11 1). du

    soir, p. 325.

    — 21 —

    du général. L'armée, disent-elles, devra aboutir entre Prez-enPail et Alençon, et s'établir, la gauche à la Sarlhe, au XIXe

    corps, qui doit arriver à Alençon, la droite à Prez-en-Pail. La

    marche s'effectuera en quatre jours, avec une moyenne de 14 à

    16 kilomètres par jour. Le XXIe corps, formant l'aile gauche,

    marchera le long de la Sarthe, directement sur Alençon; le

    XVIIe corps, formant le centre, se rendra par Domfront-enChampagne, Ségrie, Fresnay, Assé-le-Boisne, Gesnes-le-Gandelain, Saint-Denis-sur-Sarthon;

    le XVIe corps, formant l'aile

    droite, ira par Chauffeur, Neuvi-en-Champagne,Conlie, Cressé,

    Pont-la-Robert, Montreuil-le-Chétif, jusqu'à Prez-en-Pail. La

    cavalerie avait pour mission d'arrêter les fuyards. Une arrièregarde solide devait achever les coupures des routes et couvrir la

    retraite. Les Prussiens, d'ailleurs, toujours prudents et ne se

    rendant pas bien compte de leur victoire, ne songèrent pas

    d'abord à nous inquiéter (1).

    Cette appréciation du général était-elle justifiée ? En tout cas,

    dès le 13, le grand duc de Mecklenbourg, recevait du prince

    Frédéric-Charles, l'ordre de suivre le XXIe corpsfrançaisjusqu'à

    Alençon et d'y prendre une position d'attente.

    Le plan de Chanzy plaçait, comme on voit, Alençon au coeur

    de la défense, et l'exposait aux chances d'une bataille et aux

    tristes effets du passage de deux armées. Que d'autres s'en

    plaignent; pour moi, tout ce qui nous donnait l'occasion de nous

    mesurer avec l'ennemi ei de contribuer à la lutte d'une manière

    plus active est à mes yeux un honneur, dont il y a lieu d'être

    content et fier. Mais il n'en devait pas être ainsi.

    Gambetta ne parut pas d'abord s'opposer aux vues du général.

    «

    Je comprends, lui écrivait-il, votre impatience d'avoir le XIXe

    « corps à Alençon, et, comme vous, je donnerais tout au monde

    « pour qu'il y soit aujourd'hui ; mais je n'ai malheureusement

    « pas le don de faire des miracles. Les deux divisions partiront

    «

    de Cherbourg demain. Elles fussent pallies aujourd'hui 12,

    «

    si vous aviez pu me donner plus tôt réponse à la dépêche

    «

    d'hier matin, par laquelle je vous demandais le point définitif

    (1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 329.

    La Guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la section historique du Grand État-Major prussien, traduction Costa de Sarda de l'ÉtatMajor français, 1880. T. IV, p. 851 à 855.

    — 22 -

    «

    de destination. Ces deux divisions, à l'effectif d'environ 30,000

    «

    hommes, voyageant en chemin de fer, nous devrions nous

    «

    estimer heureux si elless'embarquentenquarante-huitheures.

    «

    Vous ne devez donc espérer les faire entrer en ligne, la prête mière, que le 15 au matin, et la deuxième, que le 16. A ces

    «

    dates, je crois qu'elles pourront coopérer avec vousd'Alençon ;

    « mais plus tôt, il serait chimérique d'y compter. Faites-moi

    «

    connaître, le plus tôt possible, sur quel point vous voulez que

    « se rende la troisième division. »

    Chanzy répondait immédiatement : «

    Je reçois à l'instant,

    «

    midi et demi, votre télégramme, au sujet du XIXe corps. Vous

    «

    connaissez les événements, je veux organiser la retraite de

    «

    façon à établir le 15 au soir mes divers corps d'armée entre

    « Alençon et Prez-en-Pail, pour m'y reconstituer et reprendre

    «

    les opérations. Il est donc plus urgent que jamais que les deux

    «

    premières divisions du XIXe corps arrivent promptement à

    « Alençon, pour me servir de base et d'appui. Quant à la 3eme

    «

    division, je désire la voir arriver le plus tôt possible à Argen-

    «

    tan, et connaître le jour.

    »

    (1)

    Le général prévoyait une retraite diffflcile, des défections, des

    découragements;

    il craignait d'être inquiété, coupé peut-être. Il

    prit les mesures qu'iljugea les plus propres à assurerl'exécution

    de son plan. D'un côté, il chargea celui, peut-être de ses officiers

    qui lui inspirait le plus de confiance, le général Jaurès, de protéger la retraite et de tenir la route ouverte. On savait qu'un

    effort de l'ennemi devait être tenté vers Bonnétable ; cette localité eut ordre d'opposer une résistance énergique. Deux affaires

    sérieuses et bien menées eurent lieu en effet, l'une à la fourche

    de la route de Sillé, l'autre à Ballon, afin de conserver le pont

    de Montbizot, le seul qui fût praticable à l'artillerie (2).

    D'un autre côté, ce n'était pas un médiocre avantage de trouver

    en avant un renfort puissant pour se reformer, et une force

    capable de tenir l'ennemi en respect. Aussi le général Chanzy,

    recommandait-il à Alençon de tenir, coûte que coûte, en l'attendant.

    Les mobilisés de la Mayenne y

    arrivèrent le 12 au matin, au

    (1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 578-579.

    (2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 585.

    — 23 —

    nombre de 3,500. Le même jour, Beaumont les reçut, au nombre

    de 4,500, en envoya une partie à Fresnay-sur-Sarlhe et à La

    Hutte, et garda le reste, bien inutilement d'ailleurs ; car ces

    soldats, débauchés, dit-on, par les habitants, ne surent pas tenir

    devant l'ennemi (1). Ces mesures avaient pour but. croyait-on,

    de barrer la route aux Prussiens venant du Mans ; dans la

    réalité, leur destination était bien plus tôt de préparer la voie à

    notre armée. Mais déjà, un ordre de Gambetta avait changé tout

    cela, réduit à néant les projets du général, et imposé un autre

    objectif à la retraite.

    Chanzy eut de la peine à se soumettre et insislaénergiquement

    auprès du ministre pour faire prévaloir ses idées.

    «

    Je ne prête

    voyais certes pas hier, écrivait-il le 12 au soir, les défaillances

    «

    de la nuit dernière, ni la retraite à laquelle elles allaient me

    «

    contraindre. J'en suis le premier navré, mais ma confiance

    «

    était telle qu'elle a

    résisté, et que c'est en m'en inspirant

    «

    qu'ont surgi les idées que vous n'admettez pas....

    «

    N« pouvant me séparer de la pensée que Paris est aux

    «

    abois ; me cramponnant à l'idée d'un mouvement dans cette

    «

    direction, notre but suprême, je portais ma droite à Alençon,

    «

    appuyé fortement au XIXe corps, que je croyais une force sé-

    «

    rieuse et immédiatement utilisable. Une fois établi d'Alençon

    «

    à Prez-en-Pail, pivotant sur ma droite avec les éléments réelle-

    « ment résistants de mon armée, ralliant à Argentan le reste du

    «

    XIXe corps, je marchais, sans perdre un jour et sans presque

    «

    allonger les distances à parcourir, sur Dreux et sur Evreux,

    «

    dans la pensée d'appuyer ma gauche à la Seine et de forcer

    «

    l'Eure dans une partie moins préparée pour sa défense que

    «

    celle de Chartres à Dreux. Ce que je vois autour de moi,

    « vos propres objections, vos préoccupations pour Rennes et

    « Nantes, alors qu'à Josnes elles étaient surtout pour Cher-

    «

    bourg, me forcent à renoncer à une marche, hasardeuse sans

    «

    doute, mais qui pouvait tout sauver.

    «

    J'obéis donc et je change mes dispositions, pour me diriger

    « vers Laval, etc. »

    De telles observations demandaient une réponse ;

    elle ne se

    fit pas attendre. Le général espérait peut-être qu'elles engage-

    (1) Note explicative, du Préfet — Grand Etat-Major Allemand, p. 854-856'

    — 24 —

    raient Gambetta à changer d'avis. Il n'en fut rien. Voici ce qu'il

    lui écrivit :

    « Quant au dessein que vous nourrissez, me dites-vous, de

    « vous arrêter, s'il était possible, entre Alençon et Prez-en-

    « Pail, pour, de là, tenter une marche hardie sur Paris, par

    « Dreux et Evreux, je vous ferai remarquer que cette tentative

    « généreuse était de nature à amener la perte de votre armée.

    «

    D'une part en effet, vous auriez couru le risque de ne point

    «

    refaire vos troupes avant de reprendre votre marche ; d'autre

    « part, vous auriez infailliblement rencontré sur votre chemin

    «

    l'armée de Frédéric-Charles, commandant général des forces

    «

    prussiennes dans l'Ouest, laquelle parcourant, du Mans à

    « Dreux ou à Mantes, une corde dont vous même parcourriez

    «

    l'arc, vous aurait nécessairement gagné de vitesse.

    «

    Nous estimons donc qu'à tous les points de vue, la retraite

    « sur Mayenne et Laval est infiniment préférable.

    «

    Je suis d'ailleursen mesure de vous dire que les vivres ne

    « manquent nullement dans Paris, et que le général Trochu

    «

    lui-même recule la fatale échéance jusqu'à la fin du mois)

    «

    etc. »

    (1)

    Est-ce tout, et Chanzy va-t-il renoncer à son projet ? Pas

    encore. C'était le moment où Alençon, apprenait enfin la défaite

    qui avait eu lieu presque à sa porte. La dépêche qui lui annonçait cette nouvelle indiquait en même temps Laval, comme

    objectif de la retraite. Le général cependant ne s'y soumettait

    que positivement contraint. Même après en avoir donné l'ordre,

    il écrivait encore au ministre : «

    Je n'avais qu'une idée, donner

    «

    à mon armée l'occasion de laver cette tache, et arriver encore

    «

    à temps pour sauver Paris. Aussi, sans hésiter, je me décidai

    «

    à battre en retraite surAlençon.JLà, en me réunissant au XIXe

    « corps, encore intact, ralliant autour de moi tout ce qui avait

    «

    du coeur dans la deuxième armée, j'aurais marché sur Paris.

    « Tous, cette fois, prévenus qu'il fallait arriver ou mourir.

    «

    La grandeur du but à atteindre me semblait justifier ces

    «

    risques suprêmes. Vous en avez jugé autrement, j'obéis.

    « La retraite s'opère convenablement sur la Mayenne...

    «

    Le XXIe corps, après avoir combattu toute la journée contre

    (1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 338-339.

    — 25 —

    «

    trois divisions du Grand-Duc de Mecklenbourg, a pu opérer

    « sa retraite en très bon ordre, et passer la Sarthe sur les ponts

    «

    de Montbizot, la Guerche, et Beaumont.

    « L'ordre de cette nuit lui prescrivant de changer son mou-

    « vement de retraite lui est arrivé ce matin, au moment où, en

    «

    très bon ordre, il marchait sur Alençon, où il serait arrivé

    «

    demain. »

    Cependant, le lendemain 14, ce même corps, attardé par ses

    impedimenta, était, encore échelonné sur la route de Beaumont,

    à cheval sur les trois routes de Sillé au Mans, à Beaumont et à

    Fresnay. (1)

    Mais revenons à Alençon, et aux événements dont il ne pouvait manquer de devenir le théâtre. On était certes loin de s'y

    douter des nombreuses dépêches dont il était l'objet, et de l'importance qu'il avait dans les pensées des hommes d'État. Tout

    ce qu'on savait, c'est que les Prussiens étaient à quelques lieues

    de nous, et qu'ils allaient infailliblementnous arriver du jour au

    lendemain.

    Comment les recevrait-on ?

    Grave question, que chacun tranchait à sa manière, sans

    avoir ni l'autorité, ni les éléments indispensables pour la

    résoudre.

    (1) La Deuxième Armée de la Loire. Télég. du 13 et du 14 janvier, p, 309,

    — 580 et 581.

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    L'Occupation Prussienne a Alencon 1871 ; recit de 1896 chapitre 03

     

    *****Chgapitre 03******

    LA VEILLE DU COMBAT

    Comment les recevrait-on ?

    Nous ne pouvions, évidemment, songer à nous livrer sans

    avoir au moins fait quelques efforts pour échapper à cette honte.

    Une telle indignité n'entrait dans la pensée de personne. Tous,

    sans doute, n'entendaient pas l'honneur de la même façon, et il

    s'en trouve toujours trop qui partagent leur coeur entre le patriotisme et les considérations de la peur ou de l'intérêt personnel.

    Je ne crains pas loutefois de le dire : personne à Alençon n'eût

    osé proposer un parti en opposition constatée avec la dignité du

    pays. Il fallait donc résister dans les limites du possible. Mais

    quelles étaient ces limites ? Qu'est-ce qui était possible ? Qu'estce qui ne l'était pas ? Et ces limites elles-mêmes ne devaientelles pas être reculées plus ou moins, selon les intérêts plus ou

    moins puissants de la défense ? Autant, par exemple, il est beau

    et généreux de faire le sacrifice de sa vie quand la Patrie a

    besoin de ce sacrifice ; autant il serait vain et absurde de se

    faire tuer sans utilité, par gloriole et par entêtement. Quel était

    donc au juste l'intérêt de la défense d'Alençon ? Etait-elle liée

    au sort général de la campagne? Pouvait-elle être utile à l'armée

    de Chanzy ? Pouvait-elle arrêter l'ennemi ? Ou bien, n'avionsnous à songer qu'à nous-mêmes ? à notre honneur, d'abord ;

    mais aussi à nos femmes, à nos enfants, à nos propriétés ?

    Et puis, quels étaient nos moyens et ceux de l'ennemi ? En

    étions-nous réduits à notre garde nationale et à quelques milliers

    de mobilisés ? Ou bien, comme quelques-uns commençaient à

    le dire, mais sans parvenir à se faire croire, avions-nous lieu

    d'attendre un prompt secours, et quel secours ? L'ennemi se

    dirigeait-il en force de notre côté ? Ses masses les plus nom-

    — 27 —

    breuses étaient-elles, au contraire, à la'poursuite de l'armée de

    Chanzy ? Toutes questions auxquelles personne ne pouvait satisfaire ;

    auxquelles les hommes chargés de la responsabilité

    eussent été peut-être fort embarrassés de donner une réponse

    quelque peu nette et précise.

    Autre question, non moins grave: quelle autorité était chargée

    de décider de notre sort ?

    C'est là, dans cesjours de péril, où les plus grands intérêts

    sont en jeu, l'honneur, la vie, la fortune, qu'une autorité respectée et incontestée est absolument indispensable. C'est alors

    qu'un homme capable et reconnu comme tel, investi de la confiance de ses concitoyens, peut tout sauver; comme aussi c'est

    alors qu'un moment d'incertitude ou d'hésitation peut tout compromettre. Que dire de l'anarchie dans de telles circonstances ?

    Et pourtant, il faut l'avouer, l'anarchie, tel fut à peu près le

    régime auquel nous nous trouvâmes soumis.

    A prendre les hommes d'après le degré d'évidence qu'ils

    eurent, ou qu'ils se donnèrent, nous avions bien notre préfet'

    homme nouveau, jeune et sans expérience des choses de la

    guerre, peu au courant des besoins, du caractère et des aspirations de notre ville ;

    très-remuant d'ailleurs, ne voyant que le

    but, sans se préoccuper des moyens, et très-disposé à prendre

    des paroles brûlantes et des appels au désespoirpour des raisons

    et des procédés de victoire. La loi, croyait-on, plaçait sous ses

    ordres les mobilisés ; pourtant, il n'en était pas bien sûr luimême ; et en effet, un décret venait de rendre à l'autorité militaire des droits qu'on n'aurait jamais dû lui enlever. Il était

    donc à propos qu'un mot de Bordeaux fit taire ses scrupules et

    lui décernât un brevet de vaillance. « Conservez, lui disait-on,

    «

    la dispositiondesmobilisés quevous avez sibienconduitsjusqu'à

    « présent. Je suis heureux de savoir que la défense d'Alençon

    «

    et environs est entre vos mains. »

    (1) C'est encore lui, à ce

    qu'il paraît, qui était le plus au courant de la situation. C'est

    avec lui que le Gouvernement, et peut-être Chanzy, avaient

    échangé le plus de dépêches ;

    c'est à lui qu'on avait annoncé

    l'envoi des deux divisions de l'armée de Cherbourg, ' des mobilisés de la Mayenne, des francs-tireurs Lipowski ; c'est lui qui

    (l^Note explicative du Préfet- Télégr. du 14 janvier,

    — 28 —

    avait fait venir, de son chef, les mobilisés de l'Orne ;

    c'est à lui

    qu'on avait demandé les -plus énergiques efforts pour résister

    jusqu'au 16 au matin, époque où devaient commencer à arriver

    les renforts de Cherbourg (1), Mais n'oublions pas, d'un autre

    côté, qu'il avait dû être également avisé, et des premiers, que le

    général Chanzy ayant été forcé de changer au dernier moment.

    ses dispositions de retraite, Alençon avait ainsi perdu une grande

    partie de son importance stratégique et par suite, n'avait plus

    les mêmes motifs de résistance à outrance.

    Comment un tel personnage se trouva-t-il investi d'une telle

    mission ? Qu'avait-on affaire alors d'un homme d'administration ? N'était-ce pas bien plutôt un militaire qui nous fallait ?

    Nous avions bien encore à Alençon le général de Malherbe,

    vieil officier d'Afrique et de Crimée, commandant la subdivision

    de l'Orne. Nous avions aussi le Comité de défense, que je ne

    sépare point, dans ma pensée, du général, pas plus qu'il n'en

    était séparé dans la réalité. Le général, en effet, en était le président, l'inspirateur, et se regardait comme l'exécuteur de ses

    décisions (2). Quelle était donc au juste la position du Général,

    assisté du Comité de défense ? En devait-il être réduit à exécuter les plans militaires éclos dans la cervelle d'un jeune préfet

    et à commander sous ses ordres ? 11 faut convenir qu'une telle

    perspective était peu de nature à élever ses pensées et à développer ses moyens. Sera-t-il au moins appelé dans les conseils

    de notre homme de guerre improvisé ? Ou plutôt, n'était-ce pas

    à lui, comme commandant militaire du département, ou même

    en sa simple qualité de général, à mettre la haute main sur les

    affaires et à décider de tout d'après ses lumières et son expérience, sauf à s'en entendre avec le préfet ?

    Restait une troisième autorité :

    le Maire et le conseil municipal. Elle avait sur le général le privilège de disposer de la

    garde nationale; car, par une anomalie au moins singulière, la

    plus haute autorité militaire était la seule qui n'eût pas un

    soldat sous sa main. L'autorité municipale avait encore l'avan-

    (1) Note explicative. Télég. du 14 janvier, etc.

    (2) Les autres membres étaient : MM. le Général de Boisterlre, commandant de la garde nationale, le Commandant Lemaitre, le Colonel d'artillerie en retraite d'Hostel. le Colonel Tardy, l'Ingénieur en chef du Plessis,

    l'Ingénieur de Domfrpnt, de la Tournerie,13oissière.

    — 29 —

    tage d'être, en quelque sorte chargée de la tutelle de la ville ;

    mais par contre, n'était-il pas possible d'en inférer une disposition à se laisser entraîner à des vues étroites, exclusives et

    inspirées surtout par l'amour du clocher. Enfin, elle n'avait rien

    de militaire.

    Par ces motifs, il eût été fâcheux de lui laisser la haute direction. Elle n'y prétendit pas d'ailleurs, et son but unique fut de

    travailler à remettre les intérêts de ses administrés entre des

    mains présentantles meilleures garanties de capacité, d'impartialité et de modération. Elle était alors dans son rôle. Elle n'y

    réussit, comme nous le verrons, que bien tard. Elle y serait

    arrivée plus tôt, que les conditions de la lutte auraient été améliorées, sans doute ; mais le résultat final n'eût pas été changé ;

    il était inévitable.

    De ces divers pouvoirs, le préfet seulse mit d'abord en avant.

    Aussitôt que la fatale nouvelle de la défaite du Mans fut parvenue à Alençon, il fit placarder la proclamation suivante, dans le

    but de préparer les habitants aux événements, quels qu'ils

    fussent, d'exciter leur patriotisme, et de leur faire comprendre

    sa résolution de résisterjusqu'à la dernière extrémité :

    « Aux habitants d'Alençon.

    « Un certain nombre de fuyards, venant du Mans, pénètrent

    «

    dans Alençon, y jettent le trouble et y provoquent des pani-

    « ques. La plupart de ces hommes sont un danger dans un

    «

    pareil moment. Le général Chanzy a prescrit de ne pas les

    «

    laisser entrer dans la ville et, au besoin, de faire sur eux des

    «

    exemples nécessaires.

    « Le Mans a été évacué par notre armée, qui s'est retirée en

    «

    bon ordre.

    « Nous ne connaissonspas encore la marche de l'ennemi.

    « Nous pensons toutefois, mais sans en avoir la certitude,

    «

    qu'Alençon ne sera pas de sitôt souillé par l'étranger. Mais,

    «

    quoi qu'il arrive, si après avoir défendu pied à pied les posi-

    «

    tions occupées par nos troupes, après avoir fait notre devoir,

    « nous étions renversés par la force brutale, le gouvernement

    « compte sur le sang-froid de la population Alençonnaise.

    «' Dans une pareille hypothèse, la peur qu'engendre le désor-

    «

    dre ne fait jamais que des victimes. Avons-nous besoin d'ajou-

    — 30 —

    «

    ter que nous sommes disposés à nous défendre, les armes à la

    « main, jusqu'aux portes de la ville ?

    « La garde nationale est composée de citoyens soucieux, je

    « pense, de leur dignité et de leur honneur. Ils n'imiteront pas

    « ces âmes pusillanimes, qui cherchent dans l'existence de leur

    «

    prétendue faiblesse un prétexte pour se soustraire à la mort.

    « Citoyens ! si les Prussiens viennent jamais coucher dans

    « nos lits, il faut que l'on puisse dire d'Alençon qu'elle fut vrai-

    « ment digne de la République, de la Patrie et de la Liberté.

    « Quant à votre Préfet, il ne se retirera que quand il sera

    «

    bien constaté que l'honneur et le droit n'ont rien pu contre la

    «

    force.

    « Citoyens ! un grand homme a dit :

    l'adversité est notre mère,

    «

    la prospérité n'est que notre marâtre.

    «

    Le jour n'est pas loin, je vous le jure, où la mère engen-

    «

    drera. Il n'y a pas de droit contre le droit. Les Prussiens ne

    « peuvent tarder à en faire l'expérience.

    « Alençon, le 13 janvier 1871, minuit. »

    Si le préfet se proposait, par ces paroles, de rassurer, ou

    môme d'enflammer la population, il avait bien manqué son but.

    Déjà, on voyait la ville bombardée, incendiée peut-être ; on se

    rappelait le sort de Saint-Calais, livré au pillage pour bien

    moins. Ce n'est pas pourtant que le patriotisme fit défaut ; mais

    rien, jusqu'à ce jour, n'avait fait pressentir l'éventualité de tels

    sacrifices. Beaucoup néanmoinsse montraient prêts à s'y soumettre ; à une condition toutefois, c'est qu'ils lussent commandés

    par l'intérêt de la France et ne fussent pas uniquement le fruit

    d'une héroïque folie ou d'un vain désir de se signaler. Dans tous

    les cas, on ne se souciait nullement d'abandonner à la discrétion

    du préfet la vie des citoyens et l'honneur de la Aille.

    En même temps, le préfet songeait aux moyens d'augmenter

    son effectif. Il avait déjà, depuis deux jours les mobilisés de la

    Mayenne, il les passe solennellement en revue dans la journée

    du 14, ainsi que la garde nationale sédentaire. C'était, il en faut

    convenir un triste assemblage. Je n'ai rien à dire des gardes

    nationales ;

    elles sont connues de vieille date. Si quelques-unes

    montrèrent, dans le cours de la campagne, de la solidité, de

    l'héroïsme, si l'on veut, ces belles exceptions ne sauraient infir-

    — 31 —

    mer la règle. Le fait est que la garde nationale, ni par sa composition, ni par son organisation, ni par son esprit, n'est préparée à une action militaire quelconque. La nôtre, en particulier, en valait Lien une autre ; mais ce seraitlui taire un honneur

    dont elle serait la première étonnée, que de vanter son humeur

    guerrière. Elle aurait pu fournir, en face de l'ennemi, une ou

    plusieurs compagnies de volontaires ; mais c'eût été s'exposer à

    une déception;que de la lancer indistinctement et en masse

    contre les hataillons ennemis.

    Quant aux mobilisés de la Mayenne, il n'était pas besoin d'attendre l'événement pour les juger et eux-mêmes avaient pris soin

    de donnerleur mesure. « Qu'on nous fasse faire chez nous,

    «

    disaient-ils, la guerre de buissons, et l'on verra de quoi nous

    « sommes capables ; mais pour Alençon, les Prussiens y peu-

    « vent venir ; ce n'est pas nous qui le défendrons. Alençon nous

    « a

    fait coucher sur la paille ; qu'il ne compte pas que nous

    «

    tirions pour lui un coup de fusil. » Les malheureux, ignoraient en effet que leurs chefs eux-mêmes ayant exprimé le désir

    de les avoir sous la main, de manière à pouvoir disposer d'eux à

    tout instant, on avait été à peu près forcé de les caserner tant

    bien que mal dans les halles et les monuments publics. Quelque

    peu donc qu'il y

    ait à attendre de troupes jeunes, sans expérience, sans discipline, armées de fusils à piston dont les cartouches n'étaient pas toujours de calibre, celles-là se montrèrent

    encore au dessous de ce qu'on pouvait raisonnablement présumer. Je tiens toutefois à ne pas laisser à un jugement aussi

    sévère plus d'étendue qu'il n'en doit comporter. Plusieurs compagnies, un bataillon presque entier même, cherchèrent en effet

    à racheter les mauvaises dispositions de leurs camarades.

    Voilà les hommes auxquels il s'agissait d'inspirer force et

    courage. On pouvait être surpris que M. Dubost fût chargé de

    ce soin. Quelle était donc la confusion qui présidait à la distribution des rôles, qu'il nous fût donné de voir le jeune journaliste

    passant fièrement la revue de ses troupes, pérorant, agissant,

    paradant ; et derrière lui, le général de Malherbe, le général de

    Boistertre, le Maire, muets et comme entraînés dans l'orbite de

    cet astre de nouvelle espèce ? Mais Gambetta s'était bien improvisé généralissime ; quoi d'étonnant à ce que ses lieutenants

    s'improvissassentchefs de corps ?

    — 32 —

    Mes amis, nous disait le Préfet, la France a les yeux sur

    vous. L'affaire peut être rude ; mais ne comptez pas les ennemis.

    Ne craignez pas la mort... Je ne veux avec moi que des hommes

    qui aient fait leur testament... Que l'ennemi ne pénèlre dans

    votre ville que sur vos cadavres amoncelés !... Oui, je vous le

    dis :

    faites-vous tous tuer ;

    tous, jusqu'au dernier, s'il le faut, et

    la France sera sauvée !

    L'anxiété était grande ;

    la garde nationale assez bien disposée.

    Plusieurs cependant auraient préféré voir le général, ou seulement leur commandant, leur indiquer la ligne de l'honneur et

    du devoir, les assurer de la possibilité et de l'utilité de la défense.

    Quelques cris de Vive la République ! firent écho aux paroles

    brûlantes du préfet ; mais, en somme, la passion des auditeurs

    était loin d'être à la hauteur de celle de l'orateur.

    De son côté, le conseil municipal était en séance depuis plusieurs heures et s'occupait des éventualités de la lutte. Le Général, dit le Maire,

    « pour être en mesure de repousser l'invasion,

    «

    si les troupes qui s'avancent ne sont pas en trop grand nombre,

    « a donné l'ordre de battre le rappel, pour avoir la garde natio.

    «

    nale à sa disposition, afin de soutenir au besoin les troupes

    «

    qui occupent la ville et doivent essayer de la défendre aux

    «

    points indiqués par le Comité de défense.

    » Les Prussiens

    étaient signalés à Beaumont. Il aurait pu ajouter, que Beaumont

    ne les avait pas arrêtés longtemps. (1) Gomme conséquence, le

    pont de Beaumont qui devait être détruit, restait debout, et les

    colonnes ennemies pénétraient sans obstacle jusqu'à La Hutte,

    Bourg-le-Roi et Ancinnes. (2)

    Cette affaire de Beaumont eut pour nous des résultats considérables. Son premier effet fut de nous priver du secours si

    vivement attendu de l'armée de Cherbourg. Alençon, comme

    Beaumont, était confié, en grande partie, au patriotisme des

    mobilisés de la Mayenne. N'était-il pas à redouter que ce patriotisme fît défaut à Alençon, comme il avait fait défaut à Beaumont ? Dans un tel doute, malheureusement trop fondé, le

    général Chanzy, craignant que les deux divisions de Cherbourg

    ne trouvassent Alençon déjà occupé, n'osa pas les exposer à une

    (1) Conseil municipal, 14 janvier, une heure du soir.

    (2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 351-581-582-585.

    — 33 —

    perte presque certaine, et demanda au Gouvernement-(car ils

    n'étaient pas encore partis !) de les faire arrêter à Fiers, sauf à

    les diriger ensuite sur Alençon, si Alençon était en état de les

    recevoir. Mais ce qui était possible alors, ce qui l'était encore le

    lendemain 15, ne l'était plus le 16. On aurait dû s'y prendre un

    ou deux jours plus tôt ; maintenant il était trop tard.

    Les télégrammes les plus contradictoires se croisèrent donc

    dans cette journée du 14, relativement à l'envoi des divisions de

    Cherbourg. Les termes pressants dans lesquels ils sont conçus

    montrent assez l'importance qui s'attachait à cette opération :

    «

    Guerre à Protais, agent général de la compagnie Ouest,

    « Granville, faire suivre; — général Gérard, Carentan, faire

    «

    suivre ; — chef de gare de chemin de fer, Carentan, à préfet,

    « Alençon et à général Chanzy, à Sillé-le-Guillaume.

    « Bordeaux, 14 janvier 1871.

    « Les deux divisions du XIXe corps d'armée s'embarqueront à

    « Carentan, par chemin de fer, demain jeudi (1), à 5 heures du

    «

    soir, et seront expédiées, de jour et de nuit, sans interruption,

    « sur Alençon, de manière que l'embarquementtotal soit terminé

    « en 48 heures. Les deux divisions comprennent 30,000 hommes,

    «

    12 batteries, de la cavalerie et les accessoires.Je compte sur le

    «

    patriotisme de la compagnie de l'Ouest et, en particulier, sur

    «

    celui de M. Protais., ainsi que sur la ponctualité et la vigilance

    «

    des chefs, pour que le transport ait lieu dans les conditions

    «

    sus-indiquées. La compagnie de l'Ouest est autorisée par la

    « présente à supprimerle service surtelles sectionsqu'elle jugera

    «

    utile, pour se procurer le matériel nécessaire et assurer la

    «

    circulation des trains militaires. Réponse urgente.

    « Signé : DE FREYCINET.

    »

    Reste un point à éclaircir : Comment se fait-il que le départ,

    demandé comme urgent dès le 11, annoncé positivement le 12,

    n'ait été ordonné que le 14 ?

    Autre télégramme :

    GAMBETTA A CHANZY

    « Bordeaux, 14 janvier 1871, 9 h. 40 m. du soir.

    «

    Je prends communication de votre dépêche de 2 h. 45 m. à

    (1) C'est une erreur ;

    le lendemain 15 janvier était un dimanche.

    3.

    — 34 —

    « mon délégué au ministère de la guerre, dont l'activité et l'ini-

    «

    tiative nous mettent à même de vous secourir au milieu de

    « votre retraite, parla présence du XIXe corps. Vous demandez la

    «

    composition et l'emplacement des troupes qu'il vous envoie.

    « Elles doivent débarquer à Alençon, sous les ordres du général

    «

    Gérard ;

    le général Saussier devant commander la 3e division,

    «

    à Argentan. Quant au général Dargent, les instructions qu'il a

    « entre les mains sont fort nettes ;

    il commande la 1" division

    « et, jusqu'à l'arrivée du général commandant le XIXe corps, il

    «

    remplira l'intérim. Dès lors, il n'a qu'à se rendre à Alençon,

    « comme on le lui a dit, pour surveiller le débarquement des

    «

    troupes. Quant au délai fixé pour l'ensemble de ces opérations,

    «

    il ne dépendra pas de M. de Freycinet qu'il ne soit, scrupuleu-

    « sèment respecté

    «

    Signé : Léon GAMBKTTA. »

    Mais à quoi bon toutes ces belles promesses ? Cbanzy venait

    lui-môme de réclamer un contre-ordre.

    « Le préfet d'Alençon, disait-il, signale les Prussiens à Bourg-

    «

    le-Roi et à Ancinnes, marchantsur Alençon. Je doute que les

    « mobilisés de la Mayenne puissent tenir mieux qu'à Beaumont.

    «

    Dans le doute de ce qui va se passer, quoique nos projets de

    «

    résistance ne soient nullement modifiés, je crois utile de faire

    « arrêter les divisions du XIXe corps à Fiers, sauf à les diriger

    «

    plus tard, soit sur Alençon, soit sur Domfront, suivant le cas.

    « Vous avez prescrit les mouvements ;

    je vous prie de les modi-

    «

    lier dans ce sens... »

    (1).

    Il paraît toutefois que le préfet ne fut avisé que le 15, j'ignore

    à quelle heure, de ce changement de disposition, par un télégramme du ministre de la guerre. Le 14 encore, à 3 h. 40 m. du

    soir, le général Chanzy continuait à lui faire les mêmes promesses. «

    Je compte, disait-il, que le XIXe corps commenceraà arriver

    « à Alençon demain soir. Je fais occuper Fresnay par la division

    « Gougeard, qui y sera demain, et qui se reliera à Montreuil à

    «

    la droite du 21e corps. Faites savoir au colonel Lipowski que

    «

    je compte sur lui pour vous aider à défendre Alençon (2). »

    Cependant le préfet ne perdait pas son temps. Jugeant que

    (1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 582, 587, 588.

    (2) Note explicative du préfet.

    — 35 -

    nous ne serions pas attaqués par la forêt de Perseigne, il rappela

    à la hâte toutes les troupes qui en gardaient les débouchés, ainsi

    que les francs-tireurs Lipowski ;

    puis il réunit dans son cabinet

    le colonel Lipowski et le colonelTardy, commandant supérieur

    des mobilisés de l'Orne, afin de s'entendre avec eux sur les dispositions à prendre en cas d'attaque.

    Les troupes étant arrivées dans la soirée, il convint avec ses

    conseils de les envoyer dans la nuit occuper des positions en

    avant d'Alençon, échelonnées jusqu'à la Hutte, où se trouvaient

    déjà deux bataillons de la Mayenne. Il décida aussi que les voies

    de communication seraient barricadées et les ponts minés, afin

    d'arrêter la marche de l'ennemi. Le général Chanzy avait bien

    promis d'envoyer pour cette dernière opération l'ingénieur civil

    de l'armée avec son matériel et son personnel; mais en son

    absence, on dut s'adresser aux ingénieurs du département ou de

    la ville et aux hommes de bonne volonté (1).

    Qui eût dit, au milieu de cette agitation, que nous avions à

    Alençon un général et un comité de défense ? Restaient-ils donc

    inactifs ? Il ne faudrait pas le croire ; mais tandis que le préfet

    agissait à grand bruit et disposait de certaines forces, les autres,

    sans troupes et sans pouvoirs définis, en étaient réduits le plus

    souvent à des résolutions stériles. Peut-être auraient-ils pu et dû

    faire davantage. Peut-être eût-il mieux valu, au risque d'élever

    un conflit, qu'ils prissent d'autorité la direction des affaires. Ne

    connaissant ni leurs résolutions ni leurs motifs, il est difficile de

    les juger.

    Le conseil municipal y mit moins de formes et, tout en y

    apportant les précautions nécessaires, ne recula pas devant une

    lutte avec le préfet. Les projets de M. Dubost ne pouvaient manquer de l'émouvoir, comme ils avaient ému la population. La

    défense de la Aille à l'intérieur et la rupture des ponts lui paraissaient une folie qui devait infailliblement causer la ruine de la

    ville. Il prit à tâche de s'y opposer et de remettre le pouvoir en

    de meilleures mains.

    Il était en séance le 14 au soir, quand une députation des officiers de la garde nationale vint lui faire part des craintes de la

    population. Celui qui porte la parole expose que, par ordre du

    (1) Note explicative.

    -

    36 —

    préfet, des barricades doivent être éleArées dans la ville, en deçà

    des différents ponts; qu'il y a des ordres et des réquisitions du

    préfet pour préparer la rupture des ponts ; qu'il résulte de son

    allocution à la revue que la défense doit avoir lieu non seulement

    en dehors d'Alençon et sur les points où des travaux préparatoires

    ont été faits par ordre du Comité de défense, mais dans l'intérieur de la ville.

    Au nom de la garde nationale, cet officier proteste de l'entier

    dévouement du corps à la défense de la patrie ;

    déclare que la

    garde nationale est prête à tous les sacrifices pour repousser

    l'ennemi loin de la ville ; mais n'entend pas, par une défense à

    l'intérieur qui lui paraît impossible, exposer à la ruine la cité

    tout entière.

    L'ingénieur en chef entre alors et prévient le maire qu'il ait à

    mettre en réquisition les poudres qui peuvent se trouver dans les

    différents dépôts de la ville, afin de préparer la rupture des ponts.

    Il affirme en même temps qu'il lui a été communiqué par

    M. le Préfet un ordre du général Chanzy prescrivant cette

    mesure.

    M. Baudry répond que la gravité des circonstances sollicite

    l'intervention énergique du Conseil. Sans doute, si un ordre du

    général Chanzy réclame dans l'intérêt de la défense nationale les

    mesures signalées, si douloureux que soient les sacrifices imposés, le Conseil el la Ville doivent trouver dans leur patriotisme

    et leur amour pour la France le courage de les accepter sans

    limites. Mais il est du devoir étroit du Conseil de s'assurer que

    ces ordres viennent bien du général Chanzy ou du ministre de la

    guerre. A son avis, ils doivent avoir été transmis directement à

    l'autorité militaire, qu'un décret récent investit seule du droit de

    pourvoir à la défense. 11 demande que le maire s'informe auprès

    du général de Malherbe de la portée des ordres qu'il peut avoir

    reçus et lui soumette les observations qui, sans nuire à la

    défense générale, peuvent préserver la ville des malheurs qui la

    menacent. M. Baudry s'occupe ensuite de la position désastreuse

    faite par les projels du préfet au quartier de Montsort, des avis à

    donner et des mesures à prendre pour lui permettre de se réfugier à temps dans les autres quartiers.

    M. Lherminier, tout en s'associant à ce qui a été dit par

    M. Baudry, pense que c'est au préfet qu'on doit plus particulière-

    — 37 —

    ment réclamerdes communications, qu'il ne pourra ni ne voudra

    refuser.

    Néanmoins, d'après l'avis unanime, le maire se rend auprès

    du général.

    A son retour, il fait connaître que le général lui a déclaré

    n'avoir reçu aucun ordre du général Chanzy ni du ministre pour

    prescrire la rupture des ponts intérieurs, l'érection de barricades

    et la défense dans les rues; que le Comité de défense a toujours

    été d'avis que c'était aux environs qu'Alençon, ville ouverte,

    devait être défendu; qu'il partageait entièrement cet avis, ainsi

    que le commandant de la garde nationale ; que c'est en dehors

    de lui que les ordres communiqués au Conseil ont été donnés

    par le préfet.

    En conséquence, le Conseil se transporte en masse auprès du

    préfet, pour avoir de lui des explications sur ces ordres et. lui

    exposer la situation douloureuse qu'ils peuvent créer à la ville.

    A neuf heures et demie, le maire, introduit avec le Conseil,

    fait part au préfet de l'émotion causée par les ordres qu'il a

    donnés ;

    il lui en demande communication, ainsi que des nécessités de la défense nationale sur lesquels ils peuvent reposer.

    Le préfet, dans une vive et longue allocution, répond qu'il a

    reçu du ministre carte blanche pour diriger les opérations de la

    défense ; qu'il est en communication avec Chanzy ; que, par des

    considérations qu'il ne peut rendre publiques, ils regardent tous

    deux comme d'un intérêt véritable qu'Alençon se défende à

    outrance ; que le salut de la patrie peut être attaché à ce qu'il

    résiste pendant un certain temps ; que l'intérêt particulier de la

    ville doit céder à l'intérêt général ; qu'il faut que l'ennemi soit

    retardé dansson invasiond'Alençonpartous les moyens possibles,

    dût-il n'en pas rester pierre sur pierre. Il ajoute que, du reste,

    son intention est de n'avoir recours à la rupture des ponts et aux

    barricades à l'intérieur que si les positions avancées ne peuvent

    être maintenues.

    M. Romet, appuyé par ses collègues, insiste pour avoir communication des ordres prescrivant la rupture des ponts et la

    défense à outrance à l'intérieur de la ville, ordres qui n'ont

    encore été donnés pour aucune ville ouverte, quelle que soit son

    importance et la concentration des troupes chargées de la

    défendre.

    — 38 —

    Refus du préfet. Il consent néanmoins à donner des ordres

    qu'il a reçus une communication confidentielle au maire qui,

    dans la mesure d'une discrétion nécessaire, en pourra faire part

    au Conseil.

    Bientôt le maire déclare à ses collègues que la seule dépèche

    qui lui ail été communiquée a

    trait à la rupture des ponts entre

    Fresnay et Beaumont.

    Enfin le préfet annonce sa visite au Conseil pour le lendemain

    matin à 8 heures, pour diverses communications(1).

    Tout en faisant la part de l'emphase et de l'exagération, on

    doit convenir qu'il y

    avait du vrai dans les déclarations du préfet.

    Si la rupture des ponts de la ville et la défense à l'intérieur

    n'étaient pas expressément commandées, il n'en est pas moins

    vrai que les télégrammes du général Chanzy poussaient énergiquement à la résistance, et que ceu* du ministre donnaient un

    pouvoir considérahle au préfet (2). Mais alors, qui l'empêchait de

    produire ces pièces et d'établir ainsi son autorité contestée ? Ne

    les trouvait-il pas suffisamment claires? Ne craignait-il point

    aussi, par hasard, que le général investi de l'autorité de par la

    la loi, en relations suivies, lui aussi sans doute, avec le général

    Chanzy et avec le gouvernement

    ,

    ayant reçu de son côté des

    communications analogues à celles du préfet, peut-être les

    mêmes, mais leur ayant donné une interprétation différente,

    n'en prit occasion pour s'opposer à ses desseins ? On a dit aussi

    que la rupture des ponts sur la Sarthe, prescrite par Chanzy

    comme nécessaire à l'époque où il comptait effectuer sa retraite

    par Alençon et Prez-en-Pail et faire de la Sarthe une de ses

    grandes lignes de défense, n'ayant plus sa raison d'être depuis

    que Gambetla l'avait obligé à changer ses plans, avait dû être

    contremandée par lui, si elle ne l'était suffisamment par la force

    des choses. Dans cette hypothèse, le préfet, aurait simplement

    fait une erreur de date

    ,

    appliquant au 15 janvier des mesures

    qui ne pouvaient s'appliquer qu'au 12 ou au 13. Quoiqu'il en

    soit, il y a

    là un point obscur qu'il est difficile de trancher.

    Les points obscurs ne manquent pas d'ailleurs à celle triste

    époque.

    (1) Procès-verbaux des délibérations du Conseil municipal du 14 janvier,

    8 heures du soir.

    (2) Noie explicative du préfet.

    — 39 —

    Ces luttes intestines à l'approche de l'ennemi duraient encore

    le lendemain. Les travaux de mines et de barricades se poursuivaient, mais avec mollesse et lenteur; on sentait que ceux qui

    étaient chargés de les faire ne s'acquittaient de leur besogne qu'à

    contre-coeur. Un employé avait même osé pénétrer jusqu'au

    préfet et lui exposer respectueusementl'inutilité des travaux et le

    danger qu'ils constituaient pour la ville. Il ne fut pas tenté d'y

    revenir. F...-moi le camp, s'écria le haut magistrat en fureur. Je

    me f... pas mal de la ville. Périsse Alençon ; qu'il n'en reste pas

    pierre sur pierre. Ce que je veux, c'est la résistance,la résistance

    à outrance. Allez et obéissez. Cependant le 15 au matin, un seul

    pont important, celui du chemin de fer, sur la Sarthe, était

    détruit, et le général de Malherbe, défendant sous sa propre responsabilité la destruction des autres, se montrait disposé à

    l'empêcher, même par la force. Des pétitions se signaient, surtout dans le quartier de Montsort ;

    le Conseil municipal, en

    attendant le préfet qui ne venait pas, écoutait les observations

    de plusieurs de ses membres « contre un système de défense

    «

    qui ne peut, disaient-ils, avoir pour résultat que de prolonger

    «

    la résistance et qui, cependant, entraînerait la ruine de la

    «

    ville... Des communications verbales de M. le Préfet, il résulte,

    «

    ajoutaient ces membres, que c'est lui qui, par une interpréta-

    «

    tion qui lui appartient, s'est créé un système désastreux de

    «

    défense ; que son patriotisme, qui ne peut être éclairé par des

    «

    connaissances militaires auxquelles il est étranger, se fait illu-

    «

    sion sur la portée de ces mesures, et que le Conseil municipal,

    « par un silence qui serait coupable, ne peut les sanctionner.

    « Sur quoi, le Conseil municipal, à l'unanimité,

    «

    Proteste de son dévouement à la défense nationale. Déclare,

    « au nom de la ville et de la garde nationale tout entière, que la

    «

    défense aux postes en avant de la ville et qui ont été indiqués

    « par l'autorité supérieure, doit être énergiquement soutenue.

    « Mais, considérant que la rupture des ponts intérieurs et la

    «

    défense dans l'enceinte même de la ville essentiellement

    « ouverte ne sont prescrites par aucun ordre spécial du ministre

    «

    de la guerre ou du général Chanzy.

    «

    Considérant que l'autorité militaire et le Comité de défense

    « ont été d'avis que la ville ne devait et ne pouvait être défendue

    « que dans ses postes avancés.

    — 40 —

    « Considérant qu'après l'abandon de ceux-ci, toute autre

    «

    défense, en l'absence de forces et d'artillerie suffisantes, serait

    «

    désastreuse, sans être utile, compromettrait même le mouve-

    « ment de nos troupes.

    «

    Refuse énergiquement son concours aux ordres émanés de

    « M. le Préfet »

    (1).

    Une nouvelle séance fut indiquée pour 10 heures, afin d'entendre les explications du préfet. Le général y assista. Après des

    altercations assez vives entre le préfet, qui se dit muni d'ordres

    formels auxquels il ne peut faillir, le Conseil municipal, peu

    convaincu par ses déclarations et le général qui persiste dans son

    opinion de concentrer en avant toute la défense, sans exposer la

    ville aux dangers d'une résistance intérieure qui n'aurait aucune

    efficacité réelle, la rupture des ponts ne pouvant pas entraver

    sérieusement la marche de l'ennemi, on convint d'en référer

    au général Cbanzy et de s'en rapporter à sa décision (2).

    Et pendant ce temps-là, on se battait aux portes d'Alençon !

    Ces longues citations étaient nécessaires pour nous aider à

    juger, s'il est possible, une situation unique dans l'histoire de

    notre ville. Il ne s'agissait de rien moins en effet que de savoir

    si, oui ou non, elle allait être bombardée, détruite peut-être,

    livrée dans tous les cas aux horreurs de l'incendie et du pillage.

    Que faut-il penser, en définitive, du système du préfet? 11 est

    certain que, s'il avait dû avoir quelque efficacité, s'il avait été

    commandé par la nécessité ou par les ordres du général Chanzy

    comme devant contribuer au salut du pays, il n'y avait pas à se

    préoccuper des conséquences;

    il fallait s'y soumettre, coûte que

    coûte. Mais cette nécessité, cette efficacité, ces ordres existaientils ? On a vu les télégrammes de Chanzy cités par le préfet luimême ;

    avaient-ils ce caractère formel et positifd'un ordre militaire qui n'admet ni examen ni réplique ; ou ne prescrivaient-ils

    pas simplement la résistance dans les limites de la possibilité

    ordinaire? Y était-il question de défense dans les rues de la ville,

    de barricades, de rupture de ponts à l'intérieur? Le préfet, d'un

    autre côté, était-il apte à interpréter et à exécuter ces ordres?

    Ses décisions pouvaient-elles être autre chose que les décisions

    (1) Conseil municipal, 15 janvier, 8 heures du matin.

    (2) Conseil municipal, 15 janvier, 10 heures du malin.

    T-. 41 —

    d'un homme ardent, héroïque, si l'on veut; mais d'un homme

    qui n'y entend rien et que son défaut de lumières et de sagesse

    éloigne du but qu'il poursuit lui-même ? S'imaginait-il, par

    hasard, que les Prussiens allaient s'engager dans les rues de la

    ville et y livrer un combat incertain et inégal? C'eût été bien peu

    connaître leurs habitudes de prudence. Avant donc que d'entrer

    dans la ville, ils n'auraient pas manquer de s'y préparer un accès

    facile en la bombardant sans danger pour eux, jusqu'au moment

    où nous aurions trouvé assez de femmes et d'enfants tués ou

    blessés, assez d'incendies,assez de ruines pour leur ouvrir nousmêmes nos portes. Le préfet voulait le combat; de cette façon, il

    ne l'obtenait même pas et permettait à l'ennemi de nous faire du

    mal, presque sans représailles possibles.Au lieu doncde le laisser

    venir et de concentrer la résistance trop près de la ville, que

    n'allait-il l'attendre plus loin, dans des positions d'où ses obus ne

    pourraient atteindre les habitants inoffensifs et où il l'obligerait

    à se mesurer avec de véritables soldats ? Son système donc, bon

    tout au plus comme moyen extrême, après avoir essayé de tous

    les autres, et pour le cas seulement où l'attente d'un prompt

    secours et un intérêt puissant eussent déterminé à se laisser

    bombarder en silence, était inapplicable dans les conditions où il

    était proposé. On comprend la rupture du pont du chemin de

    fer; une gare est toujours une position importante, et il était bon.

    surtout si l'on attendait du secours, de la garder le plus longtemps possible. Mais ni nos barricades, ni nos ponts rompus

    n'étaient de nature à arrêter l'ennemi, par la raison bien simple

    que lui-même ne songeait pas à s'y heurter.

    Cette longue discussionnous a fait négligerlesfaits. D'ailleurs,

    ce n'est pas encore le jour des grands événements. Signalons

    toutefois, pour en finir avec cette journée du 14, les mesures

    de précaution pour s'éclairer et se mettre à l'abri d'une surprise.

    Des grand'gardes furent placées sur les routes; des éclaireurs à

    cheval eussent été bien utiles ; mais les cavaliers étaient rares.

    Quelques gendarmes, quelques chasseurs d'Afrique, c'était bien

    peu, et il eût été urgent d'en augmenter le nombre; néanmoins,

    malgré l'appel fait à la garde nationale, on ne put s'en procurer

    beaucoup.

    Signalons encore l'arrivée dans la soirée des mobilisés de

    l'Orne et des francs-tireurs Lipowski. Bon nombre d'habitants

    — 42 ^

    en prirent chez eux ; mais la plupart furent réduits à coucher

    dans les églises el les monuments publics. Triste nécessité, que

    les soins de l'intendance et de la municipalité auraient pu éviter,

    ce semble, à la majesté du culte et à la fatigue de ces malheureux. A Saint-Léonard, ils eurent au moins de la paille ; à NotreDame, ils furent obligés de dormir sur des chaises ou sur les

    dalles humides, par un froid rigoureux. Le matin, au moment

    de dire les premières messes, il en fallut réveiller un bon

    nombre qui étaient pressés sur les degrés des autels. Combien

    d'autres encore furent forcés de bivouaquer sur la place, au

    milieu de la neige.

    La garde nationale était convoquée pour le lendemain matin à

    6 heures, à moins que le tambour ne l'appelâtdans la nuit ; mais

    une partie resta jusqu'à 11 heures ou minuit sur la place et sous

    la coupole de la Halle au blé, dans l'attente des événements qui

    pouvaient surgir d'un moment à l'autre.

    fin chapitre 03


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    L'Occupation Prussienne a Alencon 1871 ; recit de 1896 chapitre 04

    LE COMBAT

    Un combat à Alençon !.... Contre les Prussiens! La France

    envahie sur une étendue de cinq ou six cents kilomètres ! Quelle

    impossibilité ! Aurait-on honoré d'une réponse celui qui, six

    mois auparavant, aurait fait, de telles prédictions ? Et pourtant,

    ces événements inouïs, impossibles, qui ne pouvaient, entrer

    dans les calculs de l'homme d'État ou du guerrier; qui ne pouvaient trouver place ni parmi les illusions du succès, ni parmi

    les craintes de revers ; que ni vainqueurs ni vaincus, ni Allemands ni Français n'auraient seulement osé supposer, nous en

    avons été les témoins, les acteurs, les victimes.

    Le 14 janvier au soir, nous avons laissé notre petite armée

    bivaquant sur la Place, au milieu de la neige, ou couchée surles

    dalles des églises et des monuments publics. 11 m'en coûte de l'y

    laisser, et pourtant, avant la mettre aux prises avec l'ennemi, il y

    a plusieurs questions qu'il est nécessaire de vider.

    Le combat d'Alençon n'eut point l'importance d'une grande

    bataille. Ni le nombre des troupes qui y furent engagées, ni le

    chiffre des pertes qu'il nous occasionna ne permettent de le classer

    parmi les grands faits militaires de la campagne. Et quant à son

    influence surles résultats généraux de la guerre, les changements

    imposés aux plans de Chanzy la lui enlevaient en grande partie.

    Il eut cependant pour effets d'ouvrir à la Prusse la route de la

    basse Normandie et de gêner la retraite de nos troupes après la

    bataille du Mans. A un point de vue plus particulier, il nous

    valut l'occupation de tout notre pays par les Prussiens, Il fut

    d'ailleurs fécond en enseignements de toute sorte.

    Celui donc qui n'y verrait qu'une lutte malheureuse de quelques milliers de Français contre un plus grand nombre d'enne-

    mis ou, suivant l'expression d'un auteur, un court mais très vif

    engagement des troupes du grand duc de Mecklenbourg contre

    celles du général Lipowski (1), courrait risque de l'apprécier

    d'une manière incomplète et peut être inexacte. Le commandement, les dispositions demandent à être examinés à part et antérieurement à l'action. De ces trois points, l'action proprement

    dite est peut-être le moindre, se déduit presque comme une

    conséquence nécessaire et, pour la centième fois, fournit la solution de ce problème : étant donnés les éléments dont on pouvait

    disposer et les hommes chargés de les mettre en oeuvre, l'issue

    pouvait-elle être autre qu'elle ne fut?

    Dans toute guerre, le commandement est chose capitale, et la

    Prusse ne nous aurait peut-être pas vaincus, si nous avions eu

    un général en chef à opposer au sien. Qu'on suppose devant l'ennemi une autorité incertaine, contestée, ou seulement divisée,

    n'aura-t-elle pas pour effet de paralyser les troupes, de leur faire

    perdre l'enthousiasme, la confiance, et d'amener infailliblement

    la défaite ? Je ne parle pas d'une autorité nulle ;

    l'esprit se refuse

    à une telle hypothèse, et alors même qu'on ne peut découvrir le

    commandement, on le suppose toujours quelque part. Cela posé,

    quelle était, sous ce rapport, notre situation à Alençon? Je l'ai

    déjà dit, c'était l'anarchie. Mais au moins, au dernier moment,

    une main énergique allait-elle imposer son autorité? Il n'y fallait

    pas compter. L'ennemiapprochait ; nous devions, disait-on, aller

    à sa rencontre ; mais personne ne savait qui devait nous y conduire. Il était là, à nos portes; nous entendions le canon ; nous

    nous demandions avec anxiété quel général, quel officier dirigeait

    nos troupes, et personne ne pouvait répondre à cette question.

    Aujourd'hui encore, après des années, on voudrait savoir le nom

    de celui qui commanda ce jour-là, et la réponse laisse des doutes

    et est sujette à des distinctions

    Il est certain que, jusqu'à 10 heures 15 minutes, c'est le préfet

    qui eut presque toute l'autorité. C'est lui qui avait fait venir les

    troupes; c'est lui qui, de concert avec les colonels Lipowski e.t

    Tardy, les avait disposées ; c'est lui seul qu'on voyait agir; c'est

    donc sur lui que doit reposer en grande partie la responsabilité

    des préparatifs, du plan et des commencements de l'action.

    (1) La Guerre clans l'Ouest, par L. Bolin, ancien officier, p. 378.

    — 45 —

    Cependant, comme son pouvoir ne s'exerçait pas sans opposition,

    j'ai dit que, pour mettre fin à un conflit des plus regrettables, on

    avait dû recourir à l'intervention du Gouvernement et du général

    Chanzy.

    Il était près de dix heures quand des télégrammes leur furent

    adressés. A ce moment, on entendait déjà le canon dans les environs;

    il était temps de savoir qui commanderait la résistance.

    Heureusementla réponse ne se fit pas attendre. Elle était ainsi

    conçue :

    «

    Sillé, 10 h, 15 m. du matin, 15 janvier 1871.

    «

    Général Chanzy à Général, Alençon.

    « C'est au Comité de défense à prendre les mesures en vue de

    «

    la marche de l'ennemi sur cette localité. Je ne puis ni com-

    « mander directement dans cette direction, ne pouvant apprécier

    «

    les événements, ni prendre des mesures qui n'auraient peut-

    «

    être pas leur raison d'être. Je n'ai jamais eu l'idée d'enlever à

    «

    qui que ce soit sa part d'autorité et de responsabilité.

    « Signé : CHANZY.

    »

    (1)

    Il semble, du reste, que le préfet aurait pris lui-même les

    devants, car il parle d'une dépêche envoyée par lui plusieurs

    heures avant cette réponse, et qui était conçue en ces termes :

    «

    Préfet, Alençon à Guerre, Bordeaux et général

    « Chanzy, Sillé-le-Guillaume.

    « Vous m'avez recommandé de défendre à outrance Alençon

    « et ses environs. Pour assurer notre ligne de retraite, nous

    « avons cru indispensable de faire miner les ponts de l'intérieur

    «

    de la ville. Le Conseil municipal et le Général, qui ne sont pas

    «

    du même avis, protestent. Si vous voulez que je leur résiste,

    «

    donnez-moi par dépêche l'autorisationformelle.

    »

    (2)

    Enfin, vers une heure, le ministre prescrivait au général de

    prendre possessiondes mobilisés de l'Orne des mains du préfet(3).

    De cette façon, le général se trouvait donc chargé de pourvoira

    une situation qu'il n'avait pas faite, de poursuivre des opérations

    qu'il avait blâmées et auxquelles il s'était opposé.

    (1) Cons. municip. 15 janvier, 3 heures.

    (2) Note explicative du préfet.

    (3) Cons. munie. 15 janvier, 3 heures.

    — 46 —

    Il était connu de vieille date qu'Alençon, situé dans un fond,

    entouré de tous côtés par des hauteurs, ne pouvait résister

    qu'autant que ces positions restaient en notre pouvoir ; que l'ennemi, s'il en devenait le maître, pouvait facilement de là réduire la

    ville, avant même d'y entrer ; qu'Alençon, en conséquence devait

    être défendu, non dans Alençon même, mais hors de ses murs.

    Aussi le Comité de défense avait-il résolu d'occuper les hauteurs de Neufchâtel, Ancinnes, Champfleur, Oisseau etc. et de

    disputer aux Allemands l'approche, plutôt que l'entrée même de

    la ville. On a prétendu après coup (1) que, si la lutte n'eut pas

    lieu sur ces points, ce ne fut pas la faute du préfet, mais celle des

    mobilisés de la Mayenne, qui ne surent pas tenir devant les

    avant-gardes allemandes. Malgré l'obscurité qui, encore actuellement, couvre en partie les opérations de cette journée, il paraît

    que dés grand'gardes avaient, à la vérité, été envoyées dans ces

    directions; mais ces grand'gardes, suffisantes pour éclairer sur

    la marche de l'ennemi, n'avaient ni la mission, ni le pouvoir

    d'opposer une résistance sérieuse. Et pourtant, quel avantage,

    non pas seulement pour Alençon, je ne le place qu'au second

    plan, mais pour le succès de nos armes, si le combat, au lieu de

    s'être livré presque en rase campagne, aux portes d'une ville que

    la rupture de notre première ligne de défense livrait à l'ennemi,

    avait été porté sur des hauteurs boisées et accidentées, où se joignait à l'avantage de la position celui de travaux et de préparatifs

    étudiés et exécutés de longue main !

    Mais il n'y fallait plus songer. C'est l'ennemi qui maintenant

    occupe ces positions préparées pour le combattre. Il s'approche

    de la ville, et il ne s'agit plus que de lui en interdire l'entrée.

    C'est à cela du moins que se bornent, à ce qu'il paraît, les prétentions du préfet. Pour y

    réussir plus sûrement, il avait dressé au

    haut de la ville, à la jonction des routes de Mamers et du Mans,

    une sorte de barricade. Elle était élevée de deux à trois mètres et

    formée d'un double rang de charrettesrenversées et de madriers.

    L'intervalle était rempli de terre et de fumier ;

    de larges gradins

    servaient, suivant leur hauteur, à placer ou à abriter les défenseurs. Un seul passage de côté, tout juste suffisant pour une

    voiture, établissait la communication. Le préfet se persuadait

    (1) Communiqué du préfet, Journal d'Alençon, 26 janvier.

    — 47 —

    sans doute que les Allemands viendraient se heurter juste au

    point qu'il aurait fortifié.

    Quand il se vit obligé de remettre le commandement en des

    mains plus habiles, si tant est qu'il l'ait abandonné tout-à-fait, il

    n'en continua pas moins du reste à se montrer et à parader de

    tous côtés. Monté sur un petit cheval prussien que les francstireurs lui avaient donné, on le voyait galopant sur le front des

    troupes; allant de la Place d'Armes, où était le quartier général,

    surle champ de bataille, il haranguaitles uns, excitait les autres,

    et même, si l'on en croit un de ses amis, ramenait les fuyards

    au feu à coups de cravache (1); puis il revenait surla place, montrait un éclat d'obus en s'écriant, cela ne fait pas plus de mal que

    vous ne voyez. L'obus était-il, comme l'a prétendu le même ami,

    tombé à ses pieds ? Peu importe. Il n'y avait guère qu'au général

    de Malherbe qu'il n'adressât pas la parole. Il aurait été sans

    doute assez mal venu à lui proposer ses idées. N'avait-il pas d'ailleurs, pour le faire à sa place, ses deux amis Lipowski et Tardy ?

    Et c'était bien force ;

    leur présence en effet était assez nécessaire

    pour mettre le général au courant d'une situation qu'il avait

    prise à l'improviste et qu'il connaissait à peine. Ainsi les deux

    colonels, après avoir partagé la direction avec le préfet, la partagèrent avec le général, et ce n'est pas sans une sorte de vérité

    que le Conseil municipal a dit : «

    le combat a été dirigé par le

    «

    colonel Lipowski, commandant les francs-tireurs, et par le

    «

    colonel Tardy, commandant les mobilisés de l'Orne, » et que

    le général Chanzy ne parle pas d'autre commandementque de

    celui du général Lipowski.

    Maintenant que nous avons essayé, inutilement peut-être, de

    savoir à qui appartint le commandement, il est bon de rechercher quels furent nos défenseurs. Nous avons déjà eu occasion

    d'en nommer la plus grande partie; c'étaient: 1° 1,500 francstireurs appartenant à des nationalités diverses, Français, Grecs,

    Polonais, etc. 2° 500 francs-tireurs venus tin peu de partout;

    d'Alençon, capitaine Huchet; des Basses-Pyrénées, capitaine

    Oustalet ; de Fiers, capitaine Bougon ; des Hautes-Pyrénées, de

    Tours, du Havre ;

    il y fallait encore joindre quelques fuyards du

    Mans. 3° Un escadron, peu complet, du 8e chasseurs. 4° Huit

    (1) Lettre publiée par le Journal d'Alençon, 11 février 1871.

    — 48 —

    petites pièces de montagne, composant la 32e Laiterie (bis) d'artillerie de marine, et commandées par le capitaine Charner et le

    lieutenant Lecuisinier.Ces troupes étaient sous les ordres immédiats du Colonel Lipowski et de son lieutenant La Cecilia, le

    futur général de la commune, le futur commandant du fort d'Issy.

    5° De plus, le colonel Tardy et le lieutenant colonel Raulin

    commandaient sept bataillons des mobilisés de l'Orne. 6° Enfin

    le colonel Bournel avait avec lui trois ou quatre bataillons des

    mobilisés de la Mayenne. Les mobilisés de l'Orne avaient six

    petites pièces de montagne.

    Le tout ensemble pouvait former un effectif de sept à huit

    mille hommes; mais quatre à cinq mille au plus prirent une

    part sérieuse à la lutte. Les uns aAraient été envoyés dans la nuit,

    ou le matin de bonne heure surles positions qu'ils devaient occuper; les autres attendaientsur la place, où était établi le quartier

    général, et d'où ils devaient partir au fur et à mesure du besoin.

    Voyons maintenant les forces prussiennes que nous avons eues

    à combattre. Nos ennemis ont pris soin de nous renseigner très

    exactement à cet égard (1)

    J'ai déjà dit qu'après la bataille du Mans, le grand-duc de

    Mecklenbourg avait reçu la mission de suivre les Français dans

    la direction d'Alençon, avec le XIIIe corps d'armée ; mais dans ce

    XIIIe corps lui-môme, il y a des distinctions à faire, à cause des

    troupes qui, pour divers motifs, se trouvaient disséminées de

    côtés et d'autres, dans un rayon de quelques lieues, à Ballon, à

    Beaumont, à Mamers, à Fresnay, etc. Voici celles qui nous

    furent directement opposées.

    1° Une forte avant-garde de la 22° division, commandée par le

    colonel de Foerster et composée du 83e régiment d'infanterie, des

    2e et 3e escadrons du 13e hussards, de la 6e batterie lourde du

    XIe corps d'armée et de la moitié de la 3e compagnie des pionniers de campagne.

    2° Le 1er bataillon du 95e régiment d'infanterieet le 4e escadron

    du 13e hussards, sous le major de Conring,

    3° La 2e batterie légère et la 4e batterie lourde de la 22e division.

    4° La 10e brigade de cavalerie, appartenant à la 4e division, avec

    le 1er bataillon du 32e et le 2e bataillonà chevaldu XIe corps d'armée.

    (1) La Guerrefranco-allemandepar le Grand État-Majorprussien, tome IV,

    p. 861 et suivantes.

    -49 -

    J)* Trois escçtdrpns de la 12" brigade de cavalerie : à savoir, le

    3e escadron du 7e régiment de cuirassiers, un escadron combiné

    du 16e de uhlans et du 5e escadron du 13e de dragons, avec l'infanterie et l'artillerie affectées à cette brigade : 2e bataillon du

    du 94e et deux batteries à cheval du XIe corps d'armée.

    Toutes ces troupes étaient sous le commandement supérieur

    du général de Bredpw.

    Je ne parle pas ici de celles qui étaient dispersées dans des

    localités peu éloignées et qu'il eût été facile, en cas de besoin, de.

    rassembler en quelques heures.

    Les premiers coups de canon se firententendre vers neufheures

    et demie. Ils étaient encore assez lointains et étaient dus à un

    petit combat engagé à Bethon, dit le document allemand; plus

    exactement, crpyons-npus, à la butte de la Feuillère, à 6 kilomètres environ de la ville. Quarante-troisfrancs-tireurs, envoyés le

    matin pour faire sauter un pont de chemin de fer, s'étaient embusqués dans le village, guettant le passage de l'ennemi. Il ne

    tarda pas en effet à se montrer ; c'était l'avant-garde de la 22e

    division. Les francs-tireurs l'accueillirent par une vive fusillade.

    Ils étaient dans une bonne position ;

    aussi lui firent-ils éprouver

    quelques pertes; niais celui-ci étantnombreux et muni d'artillerie,

    ils durent bientôt songer à la retraite. Ce petit engagement,

    presque dû au hasard, pourrait, au besoin, servir à démontrer le

    parti que nous aurions pu tirer d'une occupation plus forte de ces

    bpnnes positions. Que serait-il advenusi, au lieud'y être quarante,

    nous y avions été quatre ou cinq cents ? Sans dpute, nous n'auripns pas été viçtprieux; notre petit nombre ne nous le permettant pas; mais .npus aurions au mpins disputé plus Ipngtemps la,

    victpire.

    A partir de ce moment, la canonnade ne cessa plus jusqu'au

    soir. Cependant les Allemands purent faire aumpins quatre kilomètres sans être sensiblement inquiétés, et l'on peut supppser

    que le feu de leurs canons, dirigé contre quelques francs-tireurs

    disséminés ou les grand'gardes se repliant sur leur centre/

    avaient plutôt pour but de nous effrayer que de npus faire du

    mal.

    Jusqu'au hameau du Coudray, à deux kilpmètres de la ville,

    ils purent dpnc crpire que perspnne ne leur disputerait le terrain;

    mais arrivés là, nos coups les mirent à même de constater que

    4.

    - 50 -

    nous n'étions pas décidés à nous rendre sans combat. C'étaient

    encore les francs-tireurs qui leur envoyaient les premiers obus.

    Les Prussiens établirent alors une batterie dans un champ à

    gauche de la route ;

    la nôtre était sur la route même, sur une

    petite éminence, au hameau delà Détourbe, à quelques centaines

    de mètres de la ville.

    Lipowski averti par ses cavaliers qu'une forte colonne ennemie

    s'avançait, avait disposé en cet endroit deux compagnies avec

    deux pièces de canon. Ce fut là véritablement le commencement

    de l'action. Il était onze heures et demie. Mais une aussi petite

    troupe n'aurait pu arrêter les bataillons allemands. Mobiles et

    francs-tireurs sont envoyés,sous les ordres du lieutenant-colonel

    Raulin et du capitaine Oustalet, pour prêter main-forte à leurs

    camarades. Les uns, prenant position à proximité de nos canons,

    s'installent dans une maison appartenant à un sieur Leroux,

    d'où ils peuvent à leur aise fusiller les Prussiens; ou bien, avec

    les meubles de la maison, ils élèvent à la hâte, pour abriter leurs

    feux, une demi-barricade barrant la moitié de la route. D'autres

    se répandant sur les flancs des envahisseurs, depuis la route de

    Mamers jusqu'à Hauteclair, se portent dans la ferme, s'embusquent dans les bois, s'abritent derrière les arbres, les haies, les

    talus, et font éprouver à leurs adversaires des perles sensibles.

    Pendant ce temps, nos batteries se sont renforcées et nos canons,

    au nombre de huit, répondent énergiquementà ceux de l'ennemi.

    Enfin celui-ci faiblit, il recule et se voit même obligé de reporter

    ses batteries en arrière.

    Le document allemand ne fait d'ailleurs que de confirmer, en

    quelque sorte, cette bonne nouvelle.

    «

    En arrière d'Arçonnay,

    «

    dit-il, l'avant-garde de la 22e division se trouvait en présence

    «

    d'une résistance plus sérieuse. L'ennemi ne se bornait pas à

    « montrer une infanterie nombreuse ; plusieurs pièces avanta-

    « geusement placées répondaient à la batterie d'avant-garde, qui

    «

    avait pris position sur la droite de la route; le 1er bataillon

    « occupe Arçonnay, où la colonne de droite (le corps du major

    «

    de Conring) arrivait de son côté vers trois heures et demie,

    «

    après une marche fort pénible par des chemins non frayés. Le

    « gros avait débouché entre temps, et la 2e batterie légère était

    « venue à côté de la batterie d'avant-garde.

    »

    (1)

    (1) Grand État-Major prussien. T. IV, p. 861.

    — 01 —

    Si toutes nos troupes avaient valu nos francs-tireurs, nos mobiles, et même une notable partie de nos mobilisés, aurions-nous

    été de force à continuer et à accentuer notre léger succès ? C'est

    peu probable; ou plutôt, le contraire n'est que trop certain.

    Mais, malheureusement, un certain nombre des nôtres donna

    l'exemple de la plus déplorable défection. Des mobilisés de la

    Mayenne, chargés en effet d'appuyer nos troupes, n'eurent pas

    plutôt reçu dans leurs rangs quelques obus, que, sans môme

    déchargerleurs armes, ils s'enfuirent en désordre, compromettant ainsi l'opération qu'ils venaient assurer.

    C'est en vain que les francs-tireurs les accueillent à coups de

    fusil;

    il arrive ce qui arrive souvent dans les paniques :

    la peur

    ne laisse plus de place à la raison, et ces indignes soldats aiment

    mieux périr d'une balle française que de s'exposer aux coups des

    Prussiens. On prétend que plusieurs en effet furent victimes de

    leur lâcheté.

    J'ai été, comme bien d'autres, témoin des hésitations du

    général et de son inquiétude en envoyant au feu des troupes si

    peu sûres. Mieux valait encore pourtant en essayer que d'abandonner la partie ; et de nouveaux bataillons allèrent pour remplacer ceux qui fuyaient. Ils prirent hélas ! la fuite comme eux

    et plus vite qu'eux.

    Il suffisait d'ailleurs d'assister à leur départ pour prévoir ce

    qu'ils feraient. A voir ces hommes cachant leurs armes dans la

    neige, s'esquivant quand ils le pouvaient, se glissant le long du

    chemin dans les maisons, se cachant dans les caves et dans les

    greniers, il n'était pas difficile de conclure ce qu'on pouvait

    attendre d'eux.

    Quand on vint dire au général que des mobilisés cachaient

    leurs fusils dans la neige, il ordonna de les surveiller et de les

    empêcher. Bientôt on lui annonça que vingt au moins s'étaient

    rendus coupables du même fait ; puis, un moment après, une

    soixantaine. Il menaça d'en faire passer quelques-uns par les

    armes. Cette juste punition aurait-elle rendu les autres plus

    braves ?

    Pour comble de malheur, ces hommes déjà si mal disposés

    rencontrèrent, chemin faisant, six de nos pièces qui rentraient

    en ville faute de munitions. Ils crurent naturellement à une

    défaite et pensèrent qu'on les envoyait à la boucherie. Je ne sais

    — 52 —

    s'ils tirèrent un coup de fusil. Et il aurait fallu là des héros! Il

    ne nous restait plus sur ce point que deux canons. Vers 4 heures

    il y en eut un de démonté ; on eut quelque peine à le sauver.

    A une certaine distance de là, de l'autre côté de la route du

    Mans, avaient lieu d'autres engagements. Les Prussiens en effet,

    maîtres de la route, jugeant une diversion utile, envoyèrent

    quelques troupes dans la direction de Gesnes-le-Gandelain.

    «

    La 4e batterie lourde en particulier, prenant position auprès

    «

    du hameau de Saint-Biaise, canonnait de là, avec un succès

    « marqué, les colonnes françaises en marche de la Chapelle sur

    « Alençon »

    (1). Disons plutôt, car on ne voit pas pourquoi des

    colonnes françaises dans cette direction, que cette attaque avait

    pour but et eut pour résultat de prendre entre deux feux et de

    déloger des soldais français que les péripéties de la lutte avaient

    éloignés de leur centre et forcés de se réfugier dans les bois

    de Hauteclair.

    Le succès de nos ennemis ne laissa pas toutefois que de leur

    coûter des sacrifices sérieux. La Fosse aux Renards notamment

    et les carrières de l'Hôpital, si propices à la guerre de partisans,

    servirent de tombeau à bon nombre des leurs.

    « Les Français cependant, continue le document prussien,

    «

    résistaient avec une opiniâtreté extrême et ne se renfermaient

    «

    point dans une défensive passive. Leurs feux de mousquetérie

    «

    infligeaient aux batteries des perles assez sensibles. Les

    «

    contingents du 83e, qui prenaient l'offensive vers quatre

    a

    heures, ne parvenaient pas à avoir entièrement raison de

    «

    l'adversaire »

    (2).

    Ainsi nous avions l'avantage. La nouvelle s'en répand promptement dans l'armée et dans la ville, enflamme les courages,

    rend à tous l'espoir. Qui sait si nous n'échapperons pas cette

    fois encore à l'invasion ? Mais c'était compter sans les renforts

    dont nos ennemis pouvaient disposer, en quelque sorte, à leur

    gré. Aussi, plutôt que de s'acharner à un combat inégal ou seulement douteux, alors qu'ils avaient entre les mains le succès

    certain, ils aimèrent mieux retarder de quelques heures une

    victoire qui ne pouvait leur échapper.

    (1) Grand État-Major .prussien, p. 8C1.

    (?) Idem.

    — 53 —

    «Le général'de Wittick après en avoir référé au Grand Duc,

    «

    ajournait donc au lendemain l'effort décisif et installait, la

    «

    22e division en cantonnements dans Bethon et aux alen-

    «

    tours. Pendant ce temps, el conformément à ses instructions,

    «'• là 17e division avait pris des cantonnements sur la ligne

    '« Assé-le-Boisne— Rouessé-Fontaine. Le Grand Duc établis-

    «

    sait sonquartier général à Beaumont.

    »

    (1)

    Ces mesures de prudence étaient hélas ! bien superflues et le

    lendemain ne devait exiger aucun effort de la part de nos

    ennemis.

    Mais nous n'avons vu jusqu'ici qu'un des côtés du combat.

    A gauche de la route du Mans en effet, surla route de Mamers

    et un peu sur celle d'Ancinnes, il s'étendait et s'était propagé

    avec non moins'de A'ivacilé.

    Dès le matin, nos francs-tireurs envoyés en éclaireurs pour

    surveiller la forêt de Perseigne, avaient rencontré vers le Neufehàtel et Saint-Rémy-du-Plain la cavalerie et l'artillerie du

    général de Bredow venant dé Mamers. Ils eurent à essuyer

    quelques coups de eanon, qui ne leur firent pas grand mal ; mais

    n'élant pas en force, ils durent se replier sïir Alençon. (2)

    "Un-autre corps allemand,

    «

    la 10e brigade de cavalerie, que

    <i là 4* division avait mise en marche par Ancinnes était arrivée

    « vers 3 heures auprès de la Chaussée. Des contingentsennemis

    «

    (français) débouchant du chemin de fer dans cette direction,

    «le 1" bataillon du 32e, qui accompagnait la brigade,

    «

    oecùpe la Chaussée et fait tête à l'attaque, avec l'aide de la

    «

    2e batterie à cheval du XIe corps. A la chute du jour, la bri-

    «

    gade se cantonnait à Ancinnes et à Louvigny, en maintenant

    «

    des avant-postes auprès de la Chaussée.

    »

    (3).

    Une autre action, très vive et remplie d'épisodes intéressants,

    s'engageait non loin de là. Ou plutôt, je suis porté à croire que

    ce fut en partie la même, mais racontée sous une autre forme,

    avec plus de détails et d'après les témoignagesfrançais.

    Les Prussiens donc, dit M. de Neufville, afin de garder leur

    droite contre toute surprise, n'avaient pas tardé à envoyer des

    forces du village du Coudray vers celui de Saint-Gilles et le

    (1) Grand Etat Major Allemand, p. 862.

    (2) Idem p. 862.

    (3) Idem.

    -

    bourg de Saint-Paterne; mais elles y avaient été vigoureusement

    accueillies par une batterie établie au carrefour des routes de

    Mamers et d'Ancinnes et par la fusillade des mobilisés de

    l'Orne. Ces derniers, cachés derrière les murs, les haies et les

    fossés, se virent bientôt en état, par la vigueur de leur défense,

    de prendre l'offensive à leur tour et repoussèrent l'ennemi avec

    énergie et entrain. Ce fut le plus beau moment de la journée,

    celui où les Prussiens reculaient également sur la route du

    Mans. Mais nos soldats ne tardèrent pas à être arrêtés dans leur

    poursuite par le bruit du canon et de la fusillade qui se faisait

    entendre derrière eux. C'était le général de Bredow qui arrivait.

    Jusques-là, il n'avait pas éprouvé une grande résistance ; mais

    vers 3 heures, en s'approchant de Saint-Paterne, il s'aperçut

    qu'il lui faudrait pour s'en emparer, faire un effort énergique. (1) Cependant, plutôt que d'engager d'abord un combat

    dans les rues et de nous laisser l'avantage d'une position plus

    solide et mieux abritée, il préféra,suivantlacoutumeprussienne,

    nous attaquer de loin et nous faire subir un commencement de

    bombardement. Quelques instants lui suffirent pour établir une

    batterie sur la route de Mamers, à 500 mètres du village. Et les

    obus de pleuvoir sur les maisons ;

    le presbytère en reçut six pour

    sa part ;

    le curé, absent pour les devoirs de son ministère,

    trouva en rentrant murailles effondrées, mobilier brisé et dut

    encore s'estimer heureux de sauver sa maison de l'incendie. Le

    château fut également le point de mire de nombreux projectiles.

    Enfin, quand les Allemandsjugèrent que l'accès leur était rendu

    suffisamment facile, ils pénétrèrent dans le village ; mais non

    sans y subir une rude résistance et des pertes sensibles. Nos

    mobilisés, avec lesquels, disons-le à leur louange, étaient aussi

    des mobilisés de la Mayenne, tiennent presque comme de vieilles

    troupes :

    ils tirent derrière les murs des jardins et par les fenêtres des maisons ;

    forcés de reculer sur un point, ils vont se

    reformer quelques pas plus loin et y

    soutiennent un nouveau

    choc ;

    chaque rue devient le théâtre d'un combat ; mais le nombre doit l'emporter à la fin, et les nôtres sont forcés de reculer

    peu-à-peu et d'abandonner le village.

    En tout cas, « ce n'est, dit l'ouvrage allemand, qu'après un

    (1) Grand Etat Major Allemand, p. 862.

    — oo; —-

    « engagement prolongé de mousqueterie, que le 2e bataillon du

    «

    94e prenait possession, à 5 heures, des Evants, de Saint-

    « Paterne et de la ligne ferrée tracée en arrière. »

    (I)

    Dans ce mouvement de retraite qui s'effectue du côté de la

    ville, c'est nous qui désormais allons avoir le désavantage de la

    position, et les Prussiens, abrités derrière les murs et les maisons, peuvent nous fusiller à leur aise. Arrivés près de la bar-,

    rière du chemin de fer, les mobilisés tentent cependant de se

    reformer. Un moment, ils croient voir venir à eux des chasseurs

    d'Afrique ; mais, ô malheur, ce sont des uhlans ;

    c'est une attaque de plus à essuyer. Il faut céder

    ;

    l'ennemi, en possession du

    chemin d'Ozé, menace de les tourner.

    Cependant, avant d'abandonner la place, plusieurs, enflammés

    par la lutte, veulent apprendre aux Allemands ce que peut le

    soldat français et engagent près de la maison du garde-barrière

    ,

    et dans la maison même, un combat corps à corps, à la baïonnette, qui leur fait le plus grand honneur. Il est intéressant de

    signaler un combat à la baïonnette entre Prussiens et mobilisés.

    Ce petit engagement ne pouvait avoir d'autre résultat que de

    prolonger un peu la défense.

    Je viens de dire que les Prussiens avaient essayé de nous

    tourner par le chemin d'Ozé ; mais là encore ils éprouvèrent une

    résistance sérieuse. M. Sauron, chef de gare, à la tête de ses

    employés et de quelques citoyens courageux, leur causa des

    pertes sensibles, les arrêta et les obligea même à se replier.

    Je n'ai rien dit de la garde nationale. On doit penser que son

    rôle ne put être que fort effacé. Dès le commencement de l'action, un certain nombre de gardes nationaux, huit ou dix peutêtre, s'étaient joints comme volontaires aux mobilisés de l'Orne

    ou aux francs-tireurs ;

    le reste, ceux du moins qui étaient sous

    les armes, au nombre de 300 ou 350, attendaient sur la place

    l'ordre de partir. Dès midi, alors que les détonations commençaient à se rapprocher, plusieurs, M. de la Garenne entre autres,

    ;

    demandèrent qu'on nous envoyât au feu pour défendre nos

    foyers, moi-même; je fis signer autour de moi et je présentai

    une pétition tendant à ce qu'au moins on fitappel aux plus zélés ;

    mais le général, qui ne pouvait avoir une grande confiance dans

    (1) Grand Etal Major Allemand, p. 862.

    .......

    - 56 —

    là garde nalionale, déclara constamment qu'il la regardait comme

    sa dernière réserve, et qu'il ne l'emploierait qu'en cas d'absolue

    nécessité.

    Pendant la journée, les Prussiens, non contents de~ combaltre

    ceux qui leur faisaient la guerre, avaient jugé à propos de lancer

    sur la ville vingt ou trente obus. 11 en tomba rue des Tisons,

    rue du Pont-Neuf, sur l'église de Noire-Dame, rue du Bercail,

    sur le bâtiment des bureaux de la Préfecture. Ils ne firent aucune

    victime et ne causèrent que des dégâls matériels insignifiants.

    Ce procédé, peu conforme, si je ne me trompe, aux usages de la

    guerre était sans doute, dans la pensée de nos ennemis, comme

    une sommation de se rendre, et devait avoir pour but d'effrayer'

    la population. Si telle était leur intention, ils perdirent complètement leur poudre et leur temps. Quelques personnes cherchèrent à la vérité un abri dans leurs caves ; mais la plupart ne

    firent qu'une médiocre attention aux projectiles qui tombaient de

    loin en loin sur la ville :

    l'esprit était ailleurs. Toutefois

    ,

    le

    maire donna ordre, pour le cas où des obus menaceraient la

    mairie, de mettre en sûreté les papiers les plus précieux des

    archives municipales et le général, supposant que la Place

    d'Armes serait le principal point de mire, la fit évacuer par tout

    ce qui n'était pas militaires. Ces précautions furent, par le fait,

    inutiles.

    La place d'ailleurs se dégarnissait de plus en plus. Il n'y restait guère que la garde nationale. Vers 4 heures, elle avait ellemême été envoyée aux extrémités de la ville, pour arrêter les

    fuyards. Une centaine d'hommes notamment furent placés au

    carrefour de la rue des Tisons et de la rue du Mans. Mesure

    bien insuffisante, il en faut convenir. Que pouvaient faire cent

    gardes nationaux contre le flot toujours croissant des fuyards ?

    M. l'abbé Lesimple et M. Grollier, furent obligés d'exercer une

    surveillance sévère à la porte de l'hospice, pour empêcher d'entrer les faux blessés. Bientôt, ce ne sont plus seulement les

    mobilisés, ce sont les francs-tireurs eux-mêmes qui affluent. Ils

    conservent des allures plus martiales, un ordre plus régulier ;

    mais il n'en est pas moins vrai qu'eux aussi battent en retraite.

    Le combat tirait à sa fin et l'issue n'en pouvait plus être douteuse. Du côté de Saint-Paterne, le champ de bataille louchait

    aux pieinières maisons de la rue des Tisons ; du côté de la route

    — 57 -

    du Mans, il s'approchait également. D'ailleurs, ûné plus longue

    résistance devait être sans profit, et probablement aussi, saris

    honneur. Il devenait difficile d'exiger des troupes engagées de

    nouveaux efforts, et il n'y avait plus personne pourles remplacer,

    ou seulement pour les appuyer. Vers 5 heures, un conseil de

    guerre décida que la retraite seraitordonnée. Ce fut aux francstireurs Lipowski, soutenus par les mobilisés de l'Orne, que fut

    confié l'honneur de la protéger.

    : Us s'acquittèrent de leur mission, surtout du côté de la route

    du Mans, de la façon la plus brillante. Le brave capitaine Duchamp n'hésita pas à prendre position, avec sa compagnie de

    francs-tireurs, derrière le cimetière de Montsort, à 300 mètres

    seulement des batteries ennemies. Son audace lui coûta la vie ;

    mais ses soldats et les autres compagnies, électrisés par son

    exemple, s'élancèrent, à la baïonnette, avec une telle ardeur

    qu'ils repoussèrent encore une fois les Allemands presque jusqu'à l'avenue de Hauteclair.

    Malheureusementce succès était trop léger et trop tardit pour

    influer sur le résultat de la journée. Nous n'avions plus qu'une

    chose à faire : nous retirer sans tarder. Nous avons vu d'ailleurs

    que les Prussiens étonnés par l'énergie de notre résistance;

    avaient résolu d'en faire autant et de remettre la partie au

    lendemain.

    Il m'a été donné d'assister, de la barricade de la rue du Mans,

    à la retraite de nos troupes. Quelle tristesse ! et comment oublier

    jamais un pareil spectacle ? En face, un vaste incendie ;

    c'est un

    chantier de bois auquel les obus ont mis le feu ; à côté, les

    mobilisés se pressant, se bousculant, se précipitant en foule

    serrée par l'étroit passage ;

    ils conservent pourtant encore leur

    ordre de compagnies et leurs chefs ; de temps à autre, un brancard ou une voiture d'ambulance amène quelques blessés. Un

    officier supérieur à cheval, immobile et silencieux, semble pré- '

    sider à la triste opération. La barricade est gardée parlesfrancstireurs du Havre; mais à un moment donné, et comme par'

    enchantement, elle se trouve vide de ses défenseurs. Pas un coup

    de canon, pas un coup de fusil, à peine un éclat dé voix rompant

    cette sorte de lugubre silence. Comment se fait-il que les Prussiens oublient de nous inquiéter dans un moment où il leur

    serait si facile de le faire ? Ils craignent évidemment de s'appro-

    -

    — 58 —

    cher de la ville à l'entrée de la nuit ; peut-être sont-ils peu.

    renseignés sur nos moyens ; peut-être redoutent-ils quelque,

    piège. Dans tous les cas, la barricade serait, pour un certain

    temps, un excellent rempart contre eux. Pourquoi se trouve-t-elle

    abandonnée ? Bientôt cependant, une cinquantaine de mobilisés

    de bonne volonté, avec leur lieutenant, consentent à la garder,,

    à condition qu'on les relèvera au bout d'une demi-heure. Heureusement, rien ne vint les troubler ; qu'auraient-ils fait ?

    Du reste, ils ne restèrent pas seulement une demi-heure: on

    les avait oubliés, et ils n'eurent que tout juste le temps de courir

    après leur bataillon qui quittait la ville par un autre côté.

    La mission qui nous avait été marquée, de garder la ville jusqu'au dimanche soir était accomplie avec conscience et honneur.-

    Encore en ce momenl, un secours par la ligne du chemin de fer

    de Caen eût pu entrer librement à Alençon; mais on savait,

    depuis plusieurs heures que l'armée de Cherbourg avait reçu

    contre-ordre et qu'il n'y avait de renforts à attendre d'aucun,

    côté. Du moment donc qu'un retour offensifde notre petite armée

    n'était pas possible pour le lendemain matin, il était urgent de

    pourvoir à son salut. Grâce à la prolongation de la luttejusqu'au

    soir, la retraite ne paraissait pas devoir être inquiétée immédia-

    .

    tement ; mais ce répit durerait-il seulement la nuit tout entière ?..

    Nous ignorions que l'ennemi, de son côté, n'était pas pleinement

    rassuré, et dans la crainte d'un renouvellement de la lutte avec

    de nouvelles troupes, allait travaillerune partie de la nuit à élever

    une barricade au Coudray.

    Nos soldats furent dirigés sans retard par la route de Bretagne

    sur Carrouges, afin d'y former, selon l'occurrence, une nouvelle

    ligne de défense, ou de se rallier à l'armée de Chanzy du côté de

    Laval. La garde nationale dépouille ses uniformes, rend ses-,

    armes; et, fusils, munitions, effets d'habillement et d'équipement

    sont chargés sur des charrettes et expédiés en lieu sûr, sous la

    -,

    protection de nos troupes ;

    le poste de la Mairie et la police de la

    ville sont confiés aux sapeurs-pompiers;

    la barricade de la rue

    du Mans, si compromettantepour nous, est démolie, non sans

    quelque danger par M. Leguernay ;

    enfin, pendant que le Conseil

    municipal se déclare en permanence et se prépare à faire face aux

    événements, le préfet quitte la ville avec les troupes,sans prévenir

    personne, et c'est par hasard que le maire apprend son départ.

    — 59 —

    Maintenant que nos soldats sont en sûreté, et qu'il est bien

    constaté que nous ne pouvons plus éviter le malheur de l'occupation, quelques membres du Conseil municipal sont d'avis

    d'envoyer des parlementaires au quartier général allemand; mais

    le maire trouve plus digne et plus convenable d'attendre à

    l'Hôtel-de-Ville, et l'on se borne à faire placer sur la Mairie et

    sur les clochers de Notre-Dame et de Montsort le drapeauparlementaire à côté du drapeau national.

    Que faisaient les Allemands pendant ce temps-là? On peut être

    sûr qu'ils ne perdaient pas leur temps. S'ils ne brûlaient pas

    leurs morts, ainsi que le prétendait la crédulité publique, ils

    avaient au moins à les enterrer. Ils avaient aussi des blessés àpanser et à évacuer sur d'autres lieux, des désordres à réparer.

    Au bout de quelques heures, un autre genre de besogne, le pillage

    et l'incendie, occupa leur activité. Les habitants de la route de

    Mamers et du haut de la rue des Tisons s'en souviendront longtemps. Alors que chacun croyait pouvoir au moins jouir de la

    paix de la nuit, tout à coup on entend un grand bruit ;

    les patrouilles sillonnent les rues ;

    lés soldatsfrappent aux portes, les

    défoncent si l'on n'ouvre pas assez vite, menacent de leurs pistolets et de leurs injures quiconque eût osé cacher un militaire ou

    faire une observation, et après avoir pris aux habitants ce qui

    tente leur cupidité, ne craignent pas de mettre le feu sous leurs

    yeux à leur mobilier. D'autres enduisent de pétrole enflammé

    les portes et les fenêtres et écartent à coups de fusil les voisins

    qui tentent de porter secours. Les détonations retentissent ;

    la

    lueur des incendies porte au loin l'effroi. Cinquante mille

    bourrées brûlent à la fois à la briqueterie Papillon et Fouet ;

    les

    maisons Jarry, Pianchant et Delrue (1) sont dévorées par le feu;

    le café Prudent est pillé. Triste prélude de l'envahissement qui

    se prépare !

    Ainsi donc, il n'y a plus à en douter ; Alençon va s'ajouter à

    la longue liste des villes envahies! Au moins, peut-il se rendre

    le témoignge qu'il n'a pas été au devant de sa honte et ne s'est:

    pas servilement courbé devant la menace de quatre uhlans ou

    les injonctions d'un officier subalterne. Ne peut-il pas aussi

    s'étonner que sa petite armée, si peu nombreuse, si peu aguerrie,

    (1) M. Delrue a raconté dans le Courrier de l'Ouest du 23 mars les

    indignes traitements dont il fut l'objet.

    .-=,

    60 ~

    si peu disciplinée, ait réussi à arrêter celle des Prussiens pendant une journée tout entière ? Deux causes ont. contribué à

    nous obtenir ce résultat inespéré :

    la valeur de nos défenseurs,

    jl n'en faut pas douter; mais aussi l'ignorance de nos ennemis

    sur l'état véritable de nos forces. De là leurs hésitations et leurs

    lenteurs. Us possédaient des canons pour combattre de loin ;

    ils

    avaient de la discipline, de la solidité ; mais ils manquaient de

    cet élan qui n'abandonne jamais le soldat français, pour peu

    qu'il sache être lui-môme.

    .

    Les mêmes causes peuvent servir à expliquer le chiffre relativement restreint dé nos pertes. Il est certain que si, dès le matin,

    les Prussiens avaient fait un effort vigoureux ;

    si, même le soir,

    ils avaient osé entrer dans la ville à la suite de nos troupes, ils

    auraient obtenu plus sûrement et plus vite la victoire ; peut-être

    auraient-ils réussi à nous envelopper et à faire tous nos

    soldats prisonniers. Sans prétendre donner des chiffres exacts,

    nos quatre ou cinq mille soldats eurent en face d'eux un nombre

    d'ennemis qu'on peut évaluer à près du double. Et si ces huit

    mille hommes n'avaient pas suffi, les Allemands pouvaient être

    deux fois, trois fois plus nombreux.

    :

    Nos francs-tireurs cachés derrière les murs ou les haies, dans

    les fossés ou dans les bois ; nos mobilisés déployés en tirailleurs,

    donnaient peu de prises aux projectiles prussiens ; nos balles et

    nos obus au contraire portaient bien plus sûrement dans les

    masses plus compactes des ennemis. Aussi, tousles témoignages'

    français sont-ils unanimes à déclarer que leurs pertes furent plus

    considérables que les nôtres.

    Le rapport officiel du colonel LipoAvski parle de 40 artilleurs

    tués.ou blessés et de 120 francs-tireurs mis hors de combat ;

    mais comme il n'est pas question ici des mobilisés, on doit estimer nos pertes à 300 hommes pour le moins.

    Quant à ce qui concerne les Prussiens, les chiffres qu'on a

    apportés sont si variables, pour ne pas dire si fantaisistes qu'il

    est difficile d'asseoir sur ces évaluationsunjugement quelque peu

    sûr ou seulement probable. On a parlé de cinq ou six cents tués

    ou blessés ; on a parlé de neuf cents ; on a même parlé de quinze

    cents ; mais que ne dit-on pas ? Dans un autre sens, si l'onpréférait s'en rapporter au témoignage officiel des Prussiens, il ne

    resterait plus à leur compte qu'une perte de six tués et de dix-neuf

    — 61 —

    blessés, mais ces derniers chiffres sont si évidemmentau-dessous

    de la vérité, que le mieux, à mon avis, est de n^en tenir aucun

    compte (1).

    Le nombre de nos morts fut d'une soixantaine sur le champ

    de bataille ; mais il faut ajouter ceux qui allèrent mourir dans

    les hôpitaux ou les ambulances, des suites de leurs blessures ou

    de la petite vérole. Le lendemain du combat, M. Grollier avec

    M. l'abbé Lesimple, sur la route du Mans, M. l'abbé Poirieravec

    des infirmiers de l'hospice, sur celle de Saint-Paterne, allèrent,

    non sans être inquiétés par les ennemis, à la recherche des

    morts. Ils en recueillirent 30 d'un côté, 28 de l'autre et ramenèrent quelques blessés. Les jours suivants, M. Grollier et M. de

    Neufville, avec les frères des écoles chrétiennes en retrouvèrent

    encore quelques-uns

    D'après le témoignage du préfet, notre artillerie'de l'Orne mérite une mention spéciale et paya largement sa dette de sang.

    Des 70 hommes qu'elle comptait au commencement de l'action,

    elle en aurait eu 35 de tués ou de blessés. On cite un marin de

    passage qui, plusieurs fois, chargea, rechargea et tira tout seul

    un de nos canons dont tous les servants avaient été mis hors de

    combat (2). On doit encore signaler comme s'étant particulièrement distingué le capitaine Oustalet, pour sa charge à la baïonnette, et M. Charles Davoust, petit-neveu du maréchal Davoust

    et simple soldat dans la garde nationale sédentaire. Il fut blessé

    pendant l'action ;

    la: croix de la légion d'honneur a été la récompense de son courage.

    Du reste, à en croire le préfet, il faudrait donner des éloges à

    tout le monde où à peu près. Que dis-je ? nous pourrionsinscrire

    une victoire de plus dans nos fastes militaires. Son bulletin,

    comparé avec la vérité, est tristement curieux.

    «

    Nous avons,

    «

    dit-il, battu les Prussiens en avant d'Alençon ; mais nous

    «

    n'avons pas cru prudent de conserver nos positions, étant afta-

    « qués par trop de monde, et nous avons évacué la ville. Je suis

    «

    à Carrouges ;

    je rallie mes troupes ;

    je Tais me transporter de

    « moi-même à Fiers.

    »

    (3)!

    (1) Tableau statistique des perles des armées allemandes, d'après les

    documents officiels allemands, p. 462.

    ;(2) Journal de Fiers du 18 janvier. Récit du Combat attribué an-Préfet

    (3) Bulletin télégraphique du Préfet au Sous-Préfet de Domfront, 16 janvier, 8 h. 13 m. du soir.

    — 62 —

    Sa proclamation à ses troupes mérite également d'être citée

    comme un modèle de vanité satisfaite.

    «

    .Citoyens,

    .

    «

    Nous étions chargés de défendre Alençon. Malgré votre petit

    «

    nombre, vous attendiez avec impatience le moment de vous

    « mesurer avec l'ennemi. Ce moment est venu plus tôt que vous

    « ne l'espériez.

    «

    Le 15 ati matin, l'ennemi, qui n'avait pu être arrêté à Beau-

    « mont, était signalé à quelques kilomètres de vos points de

    «

    concentration. Dès la veille, des mesures énergiques avaient

    «

    été prises pour défendre Alençon jusqu'à la dernière extrémité.

    «

    Les voies de communicationavaient été barricadées, afin que,

    «

    repoussés en pleine campagne, vous puissiez encore continuer

    «

    la lutte.

    «

    Conduits par des chefs habiles, j'ai nommé les colonels

    «

    Lipowski et Tardy, vous avez abordé sans hésitation l'ennemi,

    «

    qui vous attendait avec des forces supérieures aux nôtres. Sept

    «

    heures durant, vous l'avez tenu en échec ; vous lui avez fait

    «

    subir des pertes considérables; vous l'avez fait reculer ;

    la

    «

    prudence de vos chefs vous a empêchés de le poursuivre. Mais

    «

    les Prussiens ne sont entrés dans Alençon que lorsque le der-

    «

    nier d'entre vous en a été sorti.

    «

    Ainsi une ville ouverte a pu être défendue au point de retar-

    «' der efficacement la marche de l'ennemi. C'est d'un fécond

    «

    exemple pour les autres qui, ne comprenant pasla nécessitéde

    « multiplier partout des obstacles, cherchent dans je ne sais

    *

    quelle préoccupation d'intérêts matériels et locaux un prétexte

    « pour s'endormir dans les bras des vainqueurs.

    «

    Citoyens, au nom de la République, je vous remercie ! Il y a

    « eu parmi vous quelques défaillances; mais que sont-elles au

    «

    milieu d'actes de bravoure si nombreux qu'il serait impossible

    «

    de tous les récompenser? Elles ne se justifient pas, sans doute ;

    «

    mais elles s'expliquent dans une certaine mesure par l'im-

    «

    pression que cause le canon sur ceux qui l'entendent gronder

    « pour la première fois.

    «

    Citoyens, bientôtvous marcherez de nouveau à l'ennemi, et

    «

    j'ai la certitude que le Gouvernementet le Pays peuvent comp-

    — 63 —

    « 1er sur vous. J'en ai pour garants yotre amour du devoir, votre

    «

    honneur, le souci que vous avez de votre dignité et de votre

    «

    patriotisme.

    «

    Fiers, le 18 janvier 1871.

    «

    Le Préfet de l'Orne :

    « ANTONIN DUBOST.

    »

    Si l'on n'avait que de tels documents, comment s'y prendrait on pour écrire l'histoire ?

    H. BEAUDOUIN.

     

    FIN


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