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Par cgs611 le 7 Juin 2009 à 20:46
Les Prussiens entrent en Normandie au cours des mois d'octobre et de novembre par le plateau du Vexin. De nombreux combats ont lieu entre les soldats prussiens et français. Mais les Prussiens dominent nettement les Français qui complètement désorganisés, abandonnent Rouen, dans laquelle les Prussiens entrent les 5 et 6 décembre. La ville est occupée et le général Manteuffel y installe un préfet et une administration prussienne. De plus les habitants subissent la confiscation de leurs biens par l'armée allemande.
A. Roland décrit l'arrivée de l'armée prussienne dans la ville :
- "13 décembre - Cette nuée que je veux qualifier de huitième plaie, s'abat dans les domiciles pauvres ou aisés par deux, par quatre ou six, malgré le nombre fixé par le billet de logement (nouvellement innové pour ces messieurs)."
Cependant l'armée française se replie et le général Briand ordonne le repli sur Honfleur afin d'embarquer pour Le Havre.
Cette retraite ne marque pas la fin des combats, le général Roy, à la tête de 10 550 hommes et 14 canons, tente de reconquérir Rouen.[26] Les Français arrivent à faire une percée, mais les Prussiens réalisent une contre-attaque, que les Français parviendront à repousser. Mais cette tentative sera la dernière, car le 25 janvier, le Grand duc de Mecklembourg fait son entrée dans Rouen et signe l'Armistice le 28 janvier. Une ligne de démarcation est alors dessinée, s'étendant d'<a-redirect href="/wiki/Etretat" title="Etretat"></a-redirect><a-redirect></a-redirect>Etretat à St Romain de Colbosc. A. Roland écrivit alors :
- "Le Havre était resté français et n'avait pas vu flotter sur ces murs le sombre drapeau noir et blanc".
Il s'avère que l'occupation se passa très mal et que les occupants furent assez violents avec les occupés.
Ces moments sombres semblent avoir forgé une certaine image de l'occupant qui se retrouvera dans l'envie de partir au combat , lors de la Première Guerre mondiale en 1914.
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Par cgs611 le 20 Janvier 2021 à 17:09
L'Occupation Prussienne a Alencon 1871 ; recit de 1896 retour chapitre 02 chapitre 03 chapitre 04
L'occupation d'Alcnçon par les Prussiens en 1871, par
M. Henri BEAUDOUIN.
Retranscription pour le groupe cgs61, Th Nicolle..
*******************
Le travail que je publie aujourd'hui a été composé en grande
partie en 1871, c'est-à-dire au moment où venaient de se passer
les événements que je rapporte II a été fait d'après ce que j'ai
vu et éprouvé, plus encore que sur ce que j'ai lu ou entendu dire.
C'est donc, s'il en fut, une oeuvre personnelle et en quelque sorte
vécue. Cela ne m'a pas empêché, bien entendu, de m'entourerde
tous les documents et de tous les renseignements que j'ai pu
découvrir. N'étant ni militaire ni stratégiste, j'avais particulièrement des motifs de me défier de mes jugements pour tout ce
qui concerne les opérations militaires. Voici du reste la liste
des principales autorités auxquelles j'ai eu recours :
1° La Deuxième Armée de la Loire, par le général Chanzy.
In-8° 1871.
2° La Guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la
section historique du Grand Etat-Major prussien. Traduction
par le chef d'escadron E. Costa de Serda, de l'état-major français. In-8° 1880, 2m9 partie. Tomes II et III (IV et V. de l'ouvrage
complet).
3° Les Combats d'Alençon, par M. Martin Le Neuf de
Neufville. In-8°.
4° Tableau statistique des perles des armées allemandes, etc.,
d'après les documents officiels allemands, par D. II. Leclerc,
capitaine au 101e régiment d'infanterie. 2me parlie.
5° Vandales et Vautours, par un franc
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tireur du corps
Lipowski.
6° Registre des délibérations du conseil municipal de la ville
d''Alençon (14 janvier à 28 avril 1871).
7° Délibérations du Comité Militaire de défense du département
de l'Orne.
8° Note explicative sur les circonstances qui ont précédé et
suivi la défense d'Alençon, par M. Antonin Dubost, Préfet de
l'Orne.
9° Note de M. Eugène Gautier, sur les négociations pour la
contribution de guerre pendant l'armistice.
10° Le dossier des opérations de la commission d'enquête sur
les charges de l'occupation.
11° La collection du Journal d'Alençon, notamment les nos du
22 au 26 janvier et du 11 février 1871, sur le combat et l'occupation ; du 6 et du 8 avril, note explicative du Préfet.
12° La collection du Courrier de l'Ouest, notamment les nos
du 25 et du 26 janvier 1871.
13° Quelques extraits de journaux, notamment du Journal de
Fiers, du 18 au 25 janvier 1871.
M. Lecointre, ancien maire d'Alençon a réuni en un gros
volume de 329 pages in-folio tous les documents qu'il a pu se
procurer sur l'invasion d'Alençon. Son manuscrit est extrêmement précieux.
***********chapitre 1 *************
LES PREMIERS MOIS DE LA GUERRE.
Jusqu'au moment où les Prussiens menacèrent notre département, Alençon fut ce qu'étaient à peu près toutes les villes
éloignées du théâtre des hostilités. Il avait accueilli avec joie la
déclaration de guerre, et le mouvement que nécessite toute
grande concentration de forces militaire n'avait fait qu'accroître
son ardeur. On ne pouvait voir sans émotion les levées
d'hommes, les passages de troupes, l'enthousiasme des soldats,
faisant retentir les rues de leurs transports bruyants, trop
bruyants même, ou inscrivant sur leurs wagons ces mots
,
hélas ! si peu prophétiques : Train de plaisir pourBerlin, payé
par le père Guillaume.
Tout d'ailleurs inspirait la confiance. Nos troupes étaient si
vaillantes, nos généraux paraissaient si habiles, le Maréchal Le
Boeuf se disait si bien préparé, nos arsenaux, nos magasins
étaient, à ce qu'on prétendait, si bien garnis.
Nos mobiles eux-mêmes, mal équipés, mal commandés, nullement exercés, ne laissaient pas que de présager un utile soutien, si tant est qu'on ait jamais besoin d'eux. On aimait à les
voir sur la place faire l'exercice ;
leur maladresse, la gaucherie
et l'inexpérience des officiers aussi bien que des soldats faisaient
sourire tout d'abord ; mais bientôt on constatait leur bonne
volonté, leur ardeur, leurs progrès étonnants.
A quiconque aurait dit que nous avions trois fois moins de
soldats que nos ennemis; que nos mobiles ne seraient pas en
état d'aller utilement au feu avant des mois; que notre organisation militaire était défectueuse en beaucoup de points ; en un
mot, que nous n'étions pas prêts, c'est à peine si l'on eût daigné
faire une réponse.
Cependant, pour ne négliger aucune force, on avait jugé utile
de réorganiserles gardes nationales ; précaution bien superflue,
à ce qu'il semblait, et bonne, tout au plus, à répondre à un
besoin d'ordre local. D'après la loi stricte, la garde nationale ne
devait comprendre que les hommes en état de s'habiller à leurs
frais. On jugea néanmoins plus prudent d'en élargir les cadres
et d'y inscrire tous les citoyens. La ville se réservait de fournir,
quand il en serait temps, des uniformesà ceux qui ne pourraient
pas en acheter ; quant aux armes, on ne pouvait disposer que
de 400 fusils à piston, ancien modèle. C'était peu pour douze ou
treize cents gardes nationaux ; mais à quoi bon s'en préoccuper?
Pendant qu'on songeait ainsi à s'organiser, bien des motifs de
déception étaient venus ébranler la confiance. Les nouvelles des
défaites du commencement d'août et de l'entrée des Prussiens
sur le territoire français arrivaient à Alençon coup sur coup,
dans la journée du dimanche 14 août, alors qu'on était en train
d'élire un nouveau conseil municipal. Puis, les progrès de
l'ennemi, les victoires de Bazaine, les débats de la Chambre,
les communications du Comte de Palikao, attristaient ou encourageaient, irritaient ou réconfortaient, mais ne pouvaient décourager que les pessimistes. Comment croire que la France pût
être définitivement vaincue ? On se précipitait aux dépêches
télégraphiques ; on se transmettait les nouvelles, on se plaignait
de n'en pas avoir assez, espérant toujours qu'il en allait arriver
d'heureuses et de décisives.
Enfin le désastre de Sedan vint jeter la consternationdans
les esprits, et deux jours après, la proclamation de la République augmentait les inquiétudes des uns, tandis qu'elle inspirait à d'autres les espérances les plus chimériques. De la personne de l'Empereur, on s'en inquiétait peu ; mais un changement de gouvernement dans un pareil moment, alors que l'ennemi assiégeait Strasbourg, Metz et d'autres places fortes,
occupait nos provinces de l'Est, menaçait et allait bientôt
investir Paris, avait de quoi effrayer pour l'avenir de la France,
non pas seulement pour son avenir politique, mais surtout, car
c'était pour le moment, l'unique préoccupation, pour le succès
de ses armes.
L'avènementde la République eut donc à Alençon, comnie
ailleurs, pour premier effet de diviser les esprits.
Les hommes d'ordre, tous ceux qui mettent la France au
dessus des intérêts d'un parti, l'acceptèrent comme une nécessité
d'un moment, et, faisant plus que de s'y soumettre, n'hésitèrent
pas à lui prêter leur concours actif et dévoué, sauf à régler plus
tard, s'il y
avait lieu, les questions politiques.
Malheureusement les chefs du nouveau gouvernement, je
parle surtout de la délégation de province, au moins aussi soucieux, peut-être, de fonder la République que de sauver la
France, n'apportèrent à la défense ni la même abnégation, ni
le même patriotisme. Troublés d'abord et comme écrasés sous
le poids d'une charge trop lourde pour leurs épaules, ils laissaient écouler le temps, sans paraître songer que chaquejour
hâtait notre ruine, s'il ne préparait notre délivrance, quand leur
arriva en ballon un auxiliaire tout à fait inattendu, qui ne manquait certes ni d'énergie, ni d'activité, et à qui toute responsabilité était légère. Bientôt donc Gambetta eut effacé et absorbé
ses collègues, et la France, à l'humiliation de voir son sol foulé
par l'étranger, sentit s'ajouter la honte de subir, pendant quatre
longs mois, la dictature d'un avocat sans expérience.
Et la France, devant ce représentant improvisé de la défense
nationale, se soumit encore, tant elle redoutait d'affaiblir la
résistance !
Levées extraordinaires
,
dilapidation de nos ressources
,
emprunts, désorganisation des services, dissolution de nos
assemblées issues du suffrage universel et. leur remplacement
par des commissions administratives, omnipotence des préfets,
sous la main de leur tout-puissant chef, et prédominance de
l'autorité civile sur l'autorité militaire, même en ce qui concernait les questions militaires, destitutions arbitraires d'officiers
ou de généraux, plans de campagne ou de batailles imposés à
des hommes de guerre par un avocat, mépris constant de toute
loi, de tout conseil et de tout contrôle, tel est le résumé du
système qui prévalut à cette fatale époque.
Plusieurs de ces mesures furent adoucies dans la pratique
par le bon vouloir de quelques préfets. Notre paisible cité eût
été difficile à révolutionner ; et pourtant, elle ne manqua pas
plus que d'autres de brouillons qui, à défaut de désordres maté-
riels, n'auraient pas mieux demandé que d'amener des excitations fâcheuses. Ce fut donc un bonheur pour Alençon d'avoir
un préfet modéré et intelligent, M. Christophle, à qui ses qualités gagnèrent dès l'abord presque tous les esprits. Dévoué,
autant que qui que ce soit, au salut du pays, il eut pour principe que la violence et le bruit, loin d'assurer ce résultat, ne font
que le compromettre. Alençon lui sut gré de sa modération et
l'en récompensa, d'abord en lui rendant par son bon esprit
l'administrationplus facile, et plus tard, en l'appelant à défendre
ses intérêts à l'Assemblée nationale.
M. Christophle avait à sa discrétion maires et conseils municipaux ;
il nous laissa notre conseil municipal tout entier, et se
montra aussi heureux que la population de la réélection de notre
maire, M. Lecointre. Aussi, le Maire et le Préfet marchèrent
constamment d'accord, au grand avantage de la ville.
Les rapports du préfet avec le général avaient quelque chose
de plus délicat. Les pouvoirs militaires, accordés si malencontreusement aux préfets, ne pouvaient être qu'une source de
fausses mesures et de conflits. L'esprit de conciliation du général
de Malherbe et de M. Christophle facilitèrent une entente que le
gouvernement, central semblait, comme à plaisir, rendre impossible. Le préfet sut s'incliner devant l'expérience militaire du
général, et ne pas se mêler outre mesure de ce qu'il ne pouvait
savoir. Là encore, les hommes chargés d'exécuter les décrets
corrigèrent ce que les décrets avaient d'excessif et de vicieux.
Je voudrais avoir à citer sur notre ville quelques faits particuliers ; mais ils furent rares et peu saillants, tant que les troupes
ennemies ne la menacèrent pas d'une manière immédiate.
Un Comité chargé de la défense du département fut institué.
Ce comité, placé dans le principe sous la présidence du préfet
ne tarda pas à passer sous celle du général de Malherbe ; commandant la subdivision militaire de l'Orne. Les autres membres
étaient le général de Boisterlre, commandant de la garde nationale d'Alençon ;
l'ingénieur en chef du département du HautPlessis, MM. Grollier, ancien député, Lherminier, avocat,
Libert, docteur médecin. Ces trois derniers se retirèrent au
bout de peu de temps. Firent aussi partie de ce comité, ensemble
ou successivement, le commandant d'infanterie Lemaître, le
colonel d'artillerie en retraite d'Hostel, le colonel Tardy, de s
mobilisés de l'Orne, l'ingénieur de Domfront de la Tournerie,
M. Boissière. Au dessous de ce Comité était placé dans chaque
canton un comité de défense cantonale (1).
La garde nationale faisait son service et ses exercices comme
à l'ordinaire, peut-être un peu mieux qu'à l'ordinaire ; mais à
côté de quelques membres zélés, combien ne comptait-elle pas
de négligents. Les chefs eux-mêmes, ne prévoyant pas sans
doute qu'on dût jamais avoirbesoin d'elle, ne faisaient rien pour
lui inspirer de l'ardeur et du courage. Les engagements volontaires se continuaient, quoique lentement, malgré les appels
réitérés du gouvernement et du préfet ;
le recrutement de l'artillerie surtout présentait de grandes difficultés. Une compagnie
de francs-tireurs alençonnais, sous les ordres de M. de Botot,
s'organisait péniblement, sauf à se dissoudre plus tard avec une
déplorable facilité. Une autre, recrutée dans des conditions
différentes, se retira, avant d'être définitivement constituée
,
devant le décret qui plaçait les compagnies franches sous les
ordres du ministre de la guerre, et les soumettait à un service
rigoureux en dehors des limites du département. Les levées, les
révisions, les exercices des mobilisés se poursuivaient activement, mais, hélas ! ne comblaient que bien imparfaitement les
vides qui se multipliaient chaque jour dans nos armées. Les
mobiles étaient le diminutif de l'armée active ;
les mobilisés
n'étaient, à leur tour, que le diminutif des mobiles. C'était
surtout une grande difficulté pour eux de se trouver des chefs,
et, quoique presque jusqu'à la fin les nominations aient eu lieu à
l'élection, les électeurs n'étaient pas peu embarrassés pour se
trouver des officiers qui ne fussent pas trop incapables. Les uns,
propriétaires, commerçants, se recommandaient par leur position sociale, leur instruction, leur influence, mais ne savaient
rien des choses de la guerre ;
les autres, anciens soldats, se
souvenant plus ou moins de l'exercice, ignoraient le commandement et l'art de diriger les hommes. Heureux donc quand le zèle
d'une part, l'esprit de discipline d'autre part, suppléaient plus ou
moins à ce qui manquait d'ailleurs. On a vu placer à la tête de
bataillons de simples ouvriers, n'ayant d'autre recommandation
(1) Circulaire de M. Christophle, préfet de l'Orne, sur l'organisation de
la défense départementale. 23 septembre 1870.
que leurs sept ans de service en qualité de simples soldats.
D'autres fois, on était obligé d'aller chercher hors du bataillon
un ancien militaire, sorti caporal, après trois ans de service.
Le plus souvent, les nouvelles recrues arrivaient sans équipement, sans armes, sans uniformes. Le Conseil général vola
2,500,000 francs, pour subvenir aux frais de la défense ;
le conseil municipal, de son côté, vota, pour le môme objet, un crédit
de 50,000 francs, acheta des chassepots pour ses mobilisés et
pourvut, autant qu'il était possible à leur équipement. Par suite,
certains travaux, qui d'abord avaient été conduits assez mollement, se poursuivirent avec une activité dévorante, à mesure que
les circonstances se firent plus impérieuses. La ville et les campagnes environnantes se transformèrent, en quelque sorte, en un
vaste atelier ; mais ne pouvaient qu'à grande peine fournir en
quantités suffisantes vareuses, pantalons, souliers, képis, sacs,
tentes de campement, etc.
Mais il n'y avait pas seulement à songer aux combattants :
la
guerre a ses nombreuses victimes, qu'on ne peut laisser sans
secours. Ce lut surtout de ce côté que la charité privée dirigea
son action. Qui n'avait à l'armée un fils, un frère, des parents,
des amis ? On espérait leur rendre le ciel favorable, leur épargner peut-être des blessures ou la mort, en venant au secours
de leurs camarades. On ne voyait dans toutes les mains que
charpie ou bandes de pansement. Puis, la saison froide approchant, des quêtes et des ateliers s'organisèrent pour acheter et
fabriquer des gilets de laine et des cache-nez. Des dames s'astreignirent à se trouver au passage de tous les trains, pour distribuer aux soldats blessés, malades ou simplement fatigués, des
vivres, du tabac, des rafraîchissements. Des particuliers offrirent des ambulances ; mais, à ce sujet, l'action privée était
évidemment insuffisante. Les malades, encore plus que les
blessés, affluant de tous côtés,' la petite vérole commençant ses
ravages, l'hôpital se vit obligé de renvoyer dans leurs famillesj
moyennant une rétribution convenable, ses vieillards,
.
ses
enfants, ceux de ses malades qu'il était possible d'évacuer, de
n'en plus admettre d'autres qu'à la dernière extrémité, et de
réserver presque tous ses lits pour les militaires. Plus tard, ce
ne fut pas seulement l'hôpital qui dut avoir cette destination
;
l'Ecole Normale d'instituteurs, la caserne de la Sénatorerie,
9
l'hôtel de la gare, l'ancienne maison de la Providence, un certain nombre de maisons particulières la reçurent, à leur tour.
Outre les aumôniers attachés 'à nos corps départementaux en
campagne, des aumôniers spéciaux voulurent se consacrer au
service de chacune de ces ambulances. Des religieuses de tout
ordre, spécialement celles de la Miséricorde, des personnes du
monde même se dévouèrent L. cette oeuvre, qui n'était pas sans
péril. Plusieurs payèrent de leur vie leur admirable charité.
Nous n'avions plus seulement à supporter les effets lointains
de la guerre ; son souffle brûlant s'approchait ; bientôt il allait,
en quelque sorte, nous envelopper.
Fin chapitre 01
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Par cgs611 le 20 Janvier 2021 à 17:10
L'Occupation Prussienne a Alencon 1871 ; recit de 1896 chapitre 02 Retour chapitre 01 chapitre 02
*******CHAPITRE II.*****
PREMIÈRES ALARMES, INVASION DU DÉPARTEMENT
La prise de Metz, en assurant les communications des Allemands avec leur pays, et en rendant disponibles les 200.000
hommes qu'ils étaient obligés d'immobiliser devant l'armée de
Bazaine, contribua puissamment à étendre le fléau de la guerre.
Elle eut encore, par contre-coup, d'autres résultats non moins
affligeants. Elle diminua à Paris la force du Gouvernement, et
augmenta, presque jusqu'au triomphe, celle de la Révolution.
Elle fit, par suite, avorter les négociations pour un armistice
dont nous avions grand besoin. Alors nos armées commençaient
à s'organiser ; quelques avantages aAraient été obtenus et en
faisaient présager de plus grands. Si Metz avait-pu tenir un ou
deux mois de plus, qui peut dire si l'issue de la guerre n'aurait
pas été totalement changée ? S'il eût tenu seulement encore une
semaine, l'émeute du 31 octobre eût-elle eu lieu ? l'armistice
n'aurait-il point été conclu ? une paix moins désastreuse n'en
eût-elle pas été la suite ?
Quoi qu'il en soit, des dangers plus pressants furent comme
un nouvel excitant à les conjurer, et à de plus grands désastres,
on se sentit disposé à opposer des efforts plus puissants. Il ne
fut plus question que de résistance à outrance, les brûlantes
proclamations de Gambetta ne retentirent plus que d'appels aux
armes et aux populations ;
la levée en masse fut décrétée, sauf
à être arrêtée plus tard par l'impossibilité matérielle d'armer et
d'équiper autant d'hommes ;
la résistance des Ailles, même au
risque de les faire écraser inutilement, la dépopulation des campagnes et le transport des vivres et des approvisionnementshors
de la portée de l'ennemifurent mis à l'ordre du jour. Mais que
pouvait, pour nous sauver, une énergie sans expérience et sans
sagesse?
— 11 —
Tant d'efforts cependant ne pouvaient manquer d'obtenir de
temps en temps quelques succès. Un moment, après la bataille
de Coulmiers et la sortie victorieuse de Trochu, Paris et la
Province se crurent prêts de se donner la main ; mais d'Aurelles
de Paladine, moins heureux, blâmé, révoqué, eut son armée
divisée ;
celle de la Loire, commandée par Chanzy, forcée,
malgré quelques succès, de se retirer devant des forces supérieures, fut obligée de reculerjusqu'au Mans.
11 était grand temps que le Comité de défense pourvût aux
nécessités de la situation. Parmi les mesures qu'il prescrivit, on
doit citer l'interdiction d'abattre des bois sans autorisation ;
l'ordre d'évacuer, le cas échéant, les bestiaux, les chevaux, les
voilures, les approvisionnements, hors de la portée des troupes
allemandes ; môme la limitation préalable des grains et des
farines à la halle et chez les boulangers, ainsi que la dénaturalisation des semences, de manière à les rendre impropres à la
nourriture de l'homme ;
l'établissement dans chaque commune
de tout un système de postes, de patrouilles de nuit, d'estafettes,
afin de se tenir au courant des mouvements de l'ennemi et de
pouvoir les signaler autour de soi. Il désigna seize points dans
le département et y fit exécuter plus ou moins complètement des
travaux : Coupures de routes
,
barricades
,
retranchements,
abattis d'arbres, fascinages, etc. Les points de défense les plus
voisins d'Alençon en étaient à 10 ou 12 kilomètres ;. au Neufchatel, à Ancinnes, à Saint-Denis, à Oisseau, aux Rablais, au
Menil-Brout. Quant à la ville elle-même, le Comité après avoir
examiné ses environs, ne reconnut pour elle d'autre moyen de
défense que le barricadement de ses rues et de ses maisons dans
le cas oùjie sacrifice des biens et de la vie des citoyens paraîtrait
commandé par des avantages d'une importance assez exceptionnelle ou au moins assez sérieuse pour la défense nationale.
Cependant, sur les observations du Conseil municipal, il prescrivit quelques abattis d'arbres aux environs de Champfleur et
de Bourg-le-Roi et une coupure de route entre le Mesnil-Erreux
et les Ventes-de-Bourse. Quant à la voie ferrée, il suffisait pour
l'intercepter, de jeter au dernier moment, des terres dans un
déblai (1).
(1) Délibérations du Comité de défense, 8 novembre 1870 à 2 janvier 1871.
avec carte. — Cabier Lecointre, p. 319 à 329. Circulaire du Préfet de l'Orne.
L'envahissement de notre contrée ne date pas seulement du
reste de la concentration au Mans de l'armée de Chanzy. Dès
avant cette époque, des engagements avaient eu lieu à Dreux et
vers Nogent, et l'on avait signalé les Prussiens sur plusieurs
points extrêmes du déparlement de l'Orne. C'est en vain que les
dépèches se multipliaient ; qu'on leur donnait les formes les plus
mitigées; qu'on noyait une mauvaise nouvelle sous un flot de détails rassurants; il n'était pas besoin d'une grande perspicacité
pour apercevoir,derrière ces phrases calculées, une situation chaque jour plus grave. Nos troupes prenaient ou tuaient quelques
ennemis; les Prussiens s'emparaient des villes et des canons,
nous tuaient ou nous prenaient des centaines ou des milliers
d'hommes. Nous étions vainqueurs dans les petits engagements,
ils l'étaient dans les batailles.
Le 23 novembre, il y eut grand émoi à Alençon. Des troupes,
ou plutôt des troupeaux d'hommes de toutes armes, mobiles,
francs-tireurs, soldats de ligne, se précipitaient dans la ville,
sales, exténués, quelques-uns sans armes. Fallait-il ajouter un
nouveau nom à la liste de nos défaites ? A les entendre, c'est à
peine si quelques hommes auraient échappé au désastre. Tel
racontait qu'il n'en restait que douze de sa compagnie ;
tel autre,
qu'il n'en restait pas quatre-vingts de son bataillon.Et, pourtant)
à voir tous ces soldats, sans blessures, fuyant au hasard, sans
lieu de ralliement, arrivant à rangs pressés pendant toute la
journée, on aurait dû songer à la part d'exagération que la
panique devait avoir dans ces nouvelles.
Un combat avait eu lieu en effet deux jours auparavant, à la
Fourche, vers l'extrémité est du département, entre les mobiles
de l'Orne, appuyés par quelques autres corps et par des francstireurs, et une partie de l'armée du duc de Mecklenbourg. Plusieurs de nos bataillons avaient bien tenu ; mais d'autres, n'ayant
pas montré la même solidité, avaient hâté une retraite inévitable,
ou plutôt, l'avaient changée en débandade. Une centaine des
nôtres, dont trente morts environ, avaient été mis hors de combat. Il y
avait loin de ces nouvelles, tout affligeantes qu'elles fussent, à l'anéantissementde nos forces départementales. Mais, ce
qu'il y avait de plus triste dans cette affaire, c'est qu'une armée
ennemie tout entière se mouvait près de nous ; c'est que la faute
des nôtres lui livrait le département; c'est qu'elle en occupait
— 13 —
déjà plusieurs points et ne pouvait manquer de nous arriver d'un
jour à l'autre.
Alençon l'attendait pour le lendemain ou le surlendemain ;
la
panique régnait dans la ville. Quant à ce qui serait fait pour recevoir les Prussiens, personne n'en avait seulement, le pressentiment
.
Le Comité de défense siégeait, à ce qu'ilparaît, presque en permanence; mais ses déterminations étaient peu connues dans le public. On se demandait avec anxiété où aurait lieu
la résistance, et même s'il y aurait résistance ? Quelles troupes
avait-on à mettre en ligne? La garde nationale fut pourtant
reunie ; des grand'gardes de trente hommes chacune furent postées pendant deux ou trois jours sur les routes de Mamers, de la
Fresnaie, d'Essay, de Sées et de Paris; des gendarmes furent
envoyés en éclaireurs. A quoi bon? Et ces quelques mesures
n'avaient-elles pas pour but de faire taire les partisans de la résistance et de donner une sorte de satisfaction au besoin de mouvement qu'on éprouve malgré soi dans des circonstances de cette
nature ? Ce qui portait à le croire, c'est que, d'un autre côté, la
préfecture et les administrations se retiraient à Domfront; c'est
qu'on éloignait le peu de troupes dont on pouvait disposer et
qu'on faisait évacuer au plus vite les fuyards, à mesure qu'ils
arrivaient.
Et cependant, cette fois encore, l'ennemi ne vint pas jusque
chez nous. Les Allemands, après quelques engagements, occupèrent Bellême, qu'ils firent cruellement souffrir, allèrent de là à
Mamers; mais n'osèrent pousser jusqu'au Mans. Ils rodèrent
ainsi, pendant plus de deux semaines, à quelques lieues de nous
sans nous visiter.
Ce temps ne se passa pas sans alertes. Vers le 15 décembre
notamment, on signalait, disait-on, les Prussiens à Mortagne, à
Mamers, même au Neufchâtel. Quelques concentrations de
troupes eurent lieu à Alençon ;
des reconnaissancesfurent faites
de tous les côtés ; mais cet appareil militaire s'évanouit de nouveau comme par enchantement, et de nouveau aussi les ennemis
nous laissèrent de côté.
Ces délais étaient employés à peu près aussi bien que le permettait le désarroi général. On en profita pour achever d'équiper les mobilisés ; pour commencer l'organisation de l'artillerie
départementale, qui venait d'être décrétée par la délégation de
-
14 -
Bordeaux' ; pour procéder aux réquisitions de .chevaux et de
voitures destinés aux service des armées ; pour donner des soins
à nos ambulances. Les blessés affluaient en plus grand nombre,
à mesure que se rapprochait le théâtre de la lutte. La générosité
des particuliers, principalement des dames, eut là un vaste
champ pour s'exercer et ne faillit pas à la tâche. De temps à
autre, on apprenait avec satisfaction que nos mobiles ou nos
francs-tireurs avaient remporté quelque avantage ou tenu vigoureusement tête à l'ennemi ; on espérait tous les jours de bonnes
nouvelles ; on en avait quelquefois ;
c'élait alors une grande
joie; plus souvent les dépêches ou les journaux ne nous apprenaient qu'un nouveau malheur.
Cependant, comme si les Prussiens n'avaient pas suffi à occuper l'activité d'un homme d'État, Gambetta en revenait, bon gré,
mal gré, à sa politique révolutionnaire. Parmi les nombreux
monuments de son despotisme, un de ceux quifroissèrent le plus
les populations, fut la dissolution des Conseils généraux et leur
remplacement par des Commissions administratives. Notre
Conseil général, à l'exemple de la plupart des autres, protesta ;
le Préfet insista auprès du ministre tout-puissant, pourle presser
de revenir sur sa décision, lui exposa le patriotisme du Conseil,
les services qu'il avait rendus au déparlement, les gages qu'il
avait donnés à la défense ; on lui répliqua par un nouvel ordre.
M. Christophle, ne voulant pas se faire l'exécuteur d'unemesure
qui répugnait à ses sentiments, répondit lui-même par l'envoi
de sa démission. M. de la Garenne, secrétaire général de la préfecture, le suivit dans sa retraite.
Dans toute circonstance, M. Christophle aurait été regretté ;
ses qualilés, son esprit de justice et de conciliation lui auraient
gagné les sympathies ;
le motif de sa retraite lui assurait un
nouveau titre à l'estime ; mais ce qui augmenta surtout les regrets qui le suivirent, ce fut le choix de son successeur.
M. Antonin Dubost était un homme d'environ 26 ans, ex-collaborateur de la, Marseillaise. Il avait été nommé secrétaire de la
Préfecture de Police après le 4 septembre, puis, il avait quitté
Paris en ballon. Son ami Gambetta n'avait trouvé rien de mieux
que de nous le donner pour préfet. Sa proclamation d'entrée en
fonctions ne pouvait d'ailleurs laisser aucim doute sur ses idées.
Le but qu'il poursuivait, c'était celui-là même qui s'était incarné
— 15 —
dans la Révolution du 4 septembre, à savoir; l'établissement définitif de la République, et par elle, l'indépendance absolue de la
Patrie. La cause du mal, il la trouvait tout entière dans le régimemonarchique. Quand aux complices conscients de ce régime,
qui a conduit la France à deux doigts de sa perte, la République
n'a qu'un mot à leur répondre : vous êtes des incapables;
qu'un
droit à leur laisser, le droit de se repentir.
Notre nouveauPréfet nousarrivaitd'ailleurs dans de tristes circonstances militaires. A l'en croire, il aurait trouvé nos légions
de mobilisés dans l'état le plus pitoyable, dispersées dans toutes
les directions, obéissant à leurs propres inspirations. Une seule
légion, sous les ordres du commandantRaulin, opérait utilement
dans l'arrondissement de Mortagne. En revanche, deux bataillons étaient si bien égarés que, pendant plusieurs jours, personne, dit-il, ne savait ce qu'ils étaient devenus. Il était à peine
installé qu'on signalait une nouvelle invasion dans notre département et dans la direction denotreville. La Fourche,Bretoncelles,
Laigle, Mortagne étaient occupés par l'ennemi ; Bellème venait,
au dire du Préfet, d'être occupé de nouveau par nos mobilisés.
Les mêmes démonstrations, les mêmes concentrations, les
mêmes reconnaissances, les mêmes mesures de défense que
par le passé furent reprises, mais avec une énergie et un appareil auquel nous n'étions pas accoutumés. Alençon, déshabitué
de voir nos vieilles troupes, fut surtout flatté d'être défendu par
un corps de cinq ou six cents gendarmes. (1)
Ces mouvements effrayaient plutôt les habitants pour leur
sûreté particulière, qu'ils ne les inquiétaient au point de vue des
opérations générales. Alençon, ville ouverte de tous les côtés, et
qui n'avait rien de militaire, ne pouvait supposer que l'ennemi
cherchât à l'envahir dans un autre but que celui de s'enrichir à
ses dépens, ou, tout au plus, de s'avancer davantage au coeur de
la France. Son sort, dans tous les cas, ne lui paraissait lié que
d'une manière bien éloignée et bien indirecte à celui des grandes
armées. Cependant, il n'en était pas ainsi, et nous eûmes pendant quelque temps une importance stratégique que nous ne songions même pas à soupçonner.
Cette persistance des Allemands à rôder autour de notre ville
(1) Note explicative du Préfet.
— 1G —
ne pouvait rester inaperçue aux hommes chargés de la défense,
et ne laissait pas que de leur donner à réfléchir. D'un autre côté,
Alençon entrait pour une large part dans le plan de campagne
du général Chanzy. Nos ennemis, avec cette sûreté de coup d'oeil
qui les abandonnait si rarement, ne faisaient donc ainsi que
contrarierses vues et gêner ses opérations, en même temps qu'ils
se ménageaient les moyens de l'attaquer de plusieurs côtés à la
fois, de se préparer, dans l'avenir, un de ces fameux mouvements tournants qui leur avaient réussi tant de fois, et peut-être,
au dernier moment, de lui couper la retraite.
Les projets du général Chanzy sur notre pays semblent dater
de l'arrivée à son camp du capitaine d'étal-major de Boisdeffre,
envoyé par Trochu pour mettre le gouvernement de la Province
au courant de l'état et des besoins de Paris. Deux points importants résultent de son rapport : premièrement, Paris complètement enfermé dans un cercle de fer, ne peut se sauver à luiseul,
ni nourrir l'espoir de faire une trouée avec les moyens dont il
dispose ; et, en second lieu, ses jours sont comptés;
il a encore
des vivres et des munitions pour un mois, et l'on peut fixer dès
maintenant aux environs du 20 janvier la date fatale de la capitulation.
La conclusionde ces renseignements s'imposait :
il n'y avait
pas un instant à perdre. Un mois pour aller jusqu'à Paris, avec
les obstacles de toute nature que l'ennemi ne manquerait pas de
nous opposer, c'était peu, trop peu même, à moins d'un effort
suprême et combiné des trois armées qui nous restaient encore.
Telle fut l'avis du général de l'armée de la Loire. Il le proposa
catégoriquement au Gouvernement ;
il insista auprès des autres
généraux ;
il lit appel à toutes les forces de la nation; et, chose
qui paraîtra difficile à croire, ce fut Gambetta, le bouillant dictateur, qui tempéra l'ardeur du général, et jugea à propos de
reviser ses projets en ce qu'il leur trouvait de trop hasardeux et
de trop prompt.
Voici en quels termes s'en explique le général Chanzy dans
une lettre au ministre : « La base d'opération d'où je partirai
« sera la Sarthe et la ligne ferrée du Mans àAlençon; la nouvelle
«
base sur laquelle je marcherai sera l'Eure, probablement de
« Dreux à Chartres. Là, j'apprécierai, d'après la situation, si je
« veux continuer nui marche sur Paris, ou si je trouve plus
— 17 —
« avantageux d'investir dans cette position, l'armée assié-
« géante. » Puis, après avoir montré la nécessité de combiner
ses opérations avec les généraux Bourbaki et Faidherbe, de
relierson action à celle du général Trochu, et enfin d'assurer
ses communications avec sa base d'opération et sa ligne de retraite, il reprend : « C'est pourquoi je vous ai demandé de me
«
faire connaître quelles troupes je pourrais tirer de l'Ouest,
« pour couvrir la ligne du Mans à Alençon, et même du Mans
«
à Tours Des concentrations de troupes dont je ne suis
«
nullement informé, se font sur divers points de la Norman-
«
die, notamment à Cherbourg ;
j'ignore dans quel but. Il im-
« porte, en ce moment, que rien ne soit détourné de mes forces
«
vives, etc. »
Puis, Gambetta faisant attendre sa réponse trop longtemps
au gré de l'impatience du général, celui-ci, quelquesjours après,
lui envoie le commandant de Boisdeffre (un Alençonnais), poulie presser, l'engager à adopter son plan et lui en expliquer les
détails : Action simultanée de Chanzy, Bourbaki et Faidherbe ;
Ghanzy partant du Mans, pour venir par notre pays s'établir sur
l'Eure, entre Evreux et Chartres;
les forces de Cherbourg
s'avançant le long du chemin de fer de Caen, jusques sur la
gauche de la deuxième armée ;
les forces réunies en Bretagne et
sur le cours inférieur de la Loire occupant fortement la Sarthe,
d'Alençon au Mans, et le Perche jusqu'au Loir, pour couvrir la
base et la ligne d'opération de l'armée et assurer ses derrières ;
les corps francs de Cathelineau et de Lipowski, en arrière du
Loir et de Châteaudun, pour couvrir l'aile droite et observer les
troupes ennemies de la vallée de la Loire ;
enfin les trois grandes
armées se rapprochant de Paris, et combinant. leurs attaques
avec celles de Trochu. Qu'une seule réussisse, c'est le ravitaillement de Paris et peut-être le succès (1).
Gambetta avait, à la vérité, 80,000 hommes, en formation à
Cherbourg et à Vierzon ;
il consentait à les mettre à la disposition du général, ce qui devait porter son armée à200,000hommes,
mais ils ne pourraient être prêts avant le 12 ou le 15 ;
il fallait
donc attendre jusques là pour commencer le mouvement, sur
(1) La Deuxième Armée de la Loire, par le Général Chanzy, 2m» édit.
p. 244.
2.
— 18 —
Paris. — Mais Paris lui-même pourrait-il attendre ? Chanzy,
qui ne le croyait pas, hâtait, autant que cela lui était permis,
l'exécution de ses projets. Il faisait établir à Beaumont-surSarthe, sur la route d'Alençon, les avant-postes de cavalerie du
XVIIe corps ;
il plaçait à Mamers et au Theil, ceux du XXIe
corps ;
il chargeait le général de Malherbe, cemmmandant la
subdivision de l'Orne, d'appuyer la colonne du général Rousseau, du côté de la Ferté-Bernard, du Theil et de Mamers;
il
dirigeait sur Mamers deux bataillons des mobilisés de l'Orne ;
il
donnait ordre au colonel Lipowski, des francs-tireurs de Paris,
de concourir aux mômes opérations (1).
Ces dispositions amenèrent sur divers points, à Nogent, à
Bellème, à la Fourche, à Condreceau (probablement, Condeau?),
à Regmalard, au Theil, etc., un grand nombre d'actions peu importantes, si on les considère chacune en particulier; mais qui,
avec des chances diverses, et après des débuts avantageux,
avaient eu pour résultat définitif la retraite, ralentie par la lutte,
mais presque générale de nos troupes (2).
Mentionnons encore parmi ces petits engagements la défense
de Longny, qui dura cinq jours, et fait le plus grand honneur à
ses habitants et à ses défenseurs, les francs-tireurs de Constantine (3).
Le moment était venu de couvrir Alençon directement, et le
7 janvier, après le combat du Theil, Lipowski devait être envoyé
dans notre direction, pour observer l'ennemi, qui menaçait
Mortagne. De leur côté, les mobilisés de l'Orne étaient échelonnés, d'une part, au Mesle-sur-Sarthe et à Montisambert, d'où ils
surveillaient les routes de Mortagne à Sées, par Sainle-Scolasse
et Courtomer; d'autre part, à laFresnaie, aux Aillères, au Neufchâtel, à Ancinnes, à Louvigny, de façon à garder la forêt de
Perseigne et à couvrir Alençon. Chanzy avait l'espoir qu'un
effort vigoureux en avant leur permettrait de reprendre Bellême
et avait donné des ordres en conséquence au général de Malherbe (4). Attaqué dans toutes ses positions à la lois, il donnait
(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 250, 256, 257.
(2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 285-287.
(3) Courrier de l'Ouest, 4 février 1871.
(4) La Deuxième Armée de la Loire. Notes et documents, p. 552 et 556. —
Note explicative du Préfet A. Dubost au Maire et aux Conseillers municipaux d'Alençon.
ordre de résister partout, autant que cela serait possible. Attendant de jour en jour une grande bataille, et obligé de rappeler à
lui ses meilleures troupes régulières, les difficultés de sa situation ne lui faisaient pas perdre de vue Alençon.
Dans sa pensée, le projet des Allemands était de nous attirer
en dehors de nos positions du Mans, pour chercher à nous battre
en détail ; ou bien de nous refouler sur ces positions et de nous
y bloquer, pour empêcher notre marche sur Paris. Les trois
lignes d'attaque de l'ennemi devaient être :
1° Par la vallée de
l'Huisne, l'armée du duc de Mecklenbourg, avec menace sur
Alençon, Bellême et Mortagne ; 2° par la route de Vendôme au
Mans, où se trouvait, dit-on, le prince Frédéric-Charles; 3° enfin au sud du Loir. Dans ces conditions, Chanzy, obligé de faire
tête à l'ennemi dans autant de directions, déclarait indispensable
de faire arriver à Alençon au moins une division du XIXe corps
et de diriger sur Tours ce que le XXVe avait de disponible. Il
renouvela également sa demande de faire venir à Alençon 9,000
mobilisés de la Mayenne, que le Préfet donnait comme prêts et
bien outillés. Tous ces mouvements, disait Chanzy, sont urgents
et doivent être faits par les voies les plus rapides. Il nous faut
être nombreux partout, et ne pas nous exposer à voir nos
lignes forcées en quelques endroits (1).
Et le même jour, annonçant au préfet de l'Orne les demandes
qu'il venait de faire et l'envoi à Mamers du colonel Lipowski,
pour couvrir Alençon, seul renfort immédiat qu'il puisse lui
donner, il ajoutait : « Le tout est de tenir quelques jours ; et
«
cela est d'autant plus facile que, par le temps qu'il fait, nous
« avons le choix des posilions de défense, et que l'ennemi ne
« peut faire grand usage de son artillerie. » Le 10 janvier, les
mobilisés étaient annoncés à la fois par le général de l'armée de
la Loire et par le Ministre de la Guerre. En attendant, le Préfet
avait ordre de défendre Alençon et le cours de la Sarthe, avec les
forces dont il disposait (2).
Nous voici arrivés au moment de la bataille du Mans. Je n'ai
point à raconter ce désastre, qui eut sur nos destinées une si
triste influence, et j'ai presque honte de direqu'elle causa la perte
(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 306 et 552.
(2) Lettre du Préfet au Maire, etc.
— 20 —
d'Alençon, quand je songe aux résultats infiniment plus funestes
qu'elle eut pour notre malheureuse patrie. Au moins est-ce une
sorte de triste consolation de penser que l'événement qui
consomma le malheur de notre ville fut celui-là même qui donna
le dernier coup à notre bien-aimée France.
Cette bataille de trois jours se présenta d'abord, comme c'était
assez l'ordinaire, sous des auspices avantageux. Jusqu'à la fin,
des dépêches favorables, commentées par le désir du succès,
grossies par les nouvelles particulières, entretinrent les espérances les plus magnifiques. Comment se fait-il, et quelle était donc
la confusion universelle, que des événements de cette importance,
se passant à douze lieues, aient été si peu, si tard et si mal
connus ?
Enfin, le 13 janvier, une dépêche, venue de Bordeaux, nous
apprit la triste vérité.
Mais, ce que nous ne savions pas, c'étaient les projets que le
général en chef de l'armée de la Loire avait nourris et continuait
à nourrir relativement à notre ville.
Quand, le 11 au soir, la perte de l'importante position de la
Tuilerie eut placé l'armée du Mans dans un état des plus critiques, ce contretemps, loin de changer l'idée que caressait
Chanzy de pousser sa marche sur Paris, ne fit en quelque sorte
que d'en bâter l'exécution. Il se proposait, avant la bataille,
d'aller à Paris par Alençon ;
le chemin étant encore ouvert, il
résolut d'en faire sa ligne de retraite, sauf à voir ensuite par où
il pourrait continuersa route. Sa première pensée donc, avant
môme d'avoir constaté sa défaite, est de se ménager, à tout
événement, un puissant renfort à Alençon.
«
Il est de la der-
«
nière importance, écrit-il au Ministre, que les deux divisions
«
du XIXe corps, que vous voulez bien m'annoncer, soient ren-
«
dues dans le plus bref délai possible à Alençon. Elles peuvent
« me donner le moyen d'un succès important sur les flancs de
«
l'ennemi. Prière de me faire savoir le jour où elles seront à
« Alençon. Je donnerais tout pour les y
savoir aujourd'hui. »
(1)
Enfin, la retraite étant définitivement commandée, les instructions du 12 au matin ne sont que la mise à exécution de la pensée
(1) La Deuxième Armée de la Loire. Télégramme du 11 janvier, 11 1). du
soir, p. 325.
— 21 —
du général. L'armée, disent-elles, devra aboutir entre Prez-enPail et Alençon, et s'établir, la gauche à la Sarlhe, au XIXe
corps, qui doit arriver à Alençon, la droite à Prez-en-Pail. La
marche s'effectuera en quatre jours, avec une moyenne de 14 à
16 kilomètres par jour. Le XXIe corps, formant l'aile gauche,
marchera le long de la Sarthe, directement sur Alençon; le
XVIIe corps, formant le centre, se rendra par Domfront-enChampagne, Ségrie, Fresnay, Assé-le-Boisne, Gesnes-le-Gandelain, Saint-Denis-sur-Sarthon;
le XVIe corps, formant l'aile
droite, ira par Chauffeur, Neuvi-en-Champagne,Conlie, Cressé,
Pont-la-Robert, Montreuil-le-Chétif, jusqu'à Prez-en-Pail. La
cavalerie avait pour mission d'arrêter les fuyards. Une arrièregarde solide devait achever les coupures des routes et couvrir la
retraite. Les Prussiens, d'ailleurs, toujours prudents et ne se
rendant pas bien compte de leur victoire, ne songèrent pas
d'abord à nous inquiéter (1).
Cette appréciation du général était-elle justifiée ? En tout cas,
dès le 13, le grand duc de Mecklenbourg, recevait du prince
Frédéric-Charles, l'ordre de suivre le XXIe corpsfrançaisjusqu'à
Alençon et d'y prendre une position d'attente.
Le plan de Chanzy plaçait, comme on voit, Alençon au coeur
de la défense, et l'exposait aux chances d'une bataille et aux
tristes effets du passage de deux armées. Que d'autres s'en
plaignent; pour moi, tout ce qui nous donnait l'occasion de nous
mesurer avec l'ennemi ei de contribuer à la lutte d'une manière
plus active est à mes yeux un honneur, dont il y a lieu d'être
content et fier. Mais il n'en devait pas être ainsi.
Gambetta ne parut pas d'abord s'opposer aux vues du général.
«
Je comprends, lui écrivait-il, votre impatience d'avoir le XIXe
« corps à Alençon, et, comme vous, je donnerais tout au monde
« pour qu'il y soit aujourd'hui ; mais je n'ai malheureusement
« pas le don de faire des miracles. Les deux divisions partiront
«
de Cherbourg demain. Elles fussent pallies aujourd'hui 12,
«
si vous aviez pu me donner plus tôt réponse à la dépêche
«
d'hier matin, par laquelle je vous demandais le point définitif
(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 329.
La Guerre franco-allemande de 1870-71, rédigée par la section historique du Grand État-Major prussien, traduction Costa de Sarda de l'ÉtatMajor français, 1880. T. IV, p. 851 à 855.
— 22 -
«
de destination. Ces deux divisions, à l'effectif d'environ 30,000
«
hommes, voyageant en chemin de fer, nous devrions nous
«
estimer heureux si elless'embarquentenquarante-huitheures.
«
Vous ne devez donc espérer les faire entrer en ligne, la prête mière, que le 15 au matin, et la deuxième, que le 16. A ces
«
dates, je crois qu'elles pourront coopérer avec vousd'Alençon ;
« mais plus tôt, il serait chimérique d'y compter. Faites-moi
«
connaître, le plus tôt possible, sur quel point vous voulez que
« se rende la troisième division. »
Chanzy répondait immédiatement : «
Je reçois à l'instant,
«
midi et demi, votre télégramme, au sujet du XIXe corps. Vous
«
connaissez les événements, je veux organiser la retraite de
«
façon à établir le 15 au soir mes divers corps d'armée entre
« Alençon et Prez-en-Pail, pour m'y reconstituer et reprendre
«
les opérations. Il est donc plus urgent que jamais que les deux
«
premières divisions du XIXe corps arrivent promptement à
« Alençon, pour me servir de base et d'appui. Quant à la 3eme
«
division, je désire la voir arriver le plus tôt possible à Argen-
«
tan, et connaître le jour.
»
(1)
Le général prévoyait une retraite diffflcile, des défections, des
découragements;
il craignait d'être inquiété, coupé peut-être. Il
prit les mesures qu'iljugea les plus propres à assurerl'exécution
de son plan. D'un côté, il chargea celui, peut-être de ses officiers
qui lui inspirait le plus de confiance, le général Jaurès, de protéger la retraite et de tenir la route ouverte. On savait qu'un
effort de l'ennemi devait être tenté vers Bonnétable ; cette localité eut ordre d'opposer une résistance énergique. Deux affaires
sérieuses et bien menées eurent lieu en effet, l'une à la fourche
de la route de Sillé, l'autre à Ballon, afin de conserver le pont
de Montbizot, le seul qui fût praticable à l'artillerie (2).
D'un autre côté, ce n'était pas un médiocre avantage de trouver
en avant un renfort puissant pour se reformer, et une force
capable de tenir l'ennemi en respect. Aussi le général Chanzy,
recommandait-il à Alençon de tenir, coûte que coûte, en l'attendant.
Les mobilisés de la Mayenne y
arrivèrent le 12 au matin, au
(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 578-579.
(2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 585.
— 23 —
nombre de 3,500. Le même jour, Beaumont les reçut, au nombre
de 4,500, en envoya une partie à Fresnay-sur-Sarlhe et à La
Hutte, et garda le reste, bien inutilement d'ailleurs ; car ces
soldats, débauchés, dit-on, par les habitants, ne surent pas tenir
devant l'ennemi (1). Ces mesures avaient pour but. croyait-on,
de barrer la route aux Prussiens venant du Mans ; dans la
réalité, leur destination était bien plus tôt de préparer la voie à
notre armée. Mais déjà, un ordre de Gambetta avait changé tout
cela, réduit à néant les projets du général, et imposé un autre
objectif à la retraite.
Chanzy eut de la peine à se soumettre et insislaénergiquement
auprès du ministre pour faire prévaloir ses idées.
«
Je ne prête
voyais certes pas hier, écrivait-il le 12 au soir, les défaillances
«
de la nuit dernière, ni la retraite à laquelle elles allaient me
«
contraindre. J'en suis le premier navré, mais ma confiance
«
était telle qu'elle a
résisté, et que c'est en m'en inspirant
«
qu'ont surgi les idées que vous n'admettez pas....
«
N« pouvant me séparer de la pensée que Paris est aux
«
abois ; me cramponnant à l'idée d'un mouvement dans cette
«
direction, notre but suprême, je portais ma droite à Alençon,
«
appuyé fortement au XIXe corps, que je croyais une force sé-
«
rieuse et immédiatement utilisable. Une fois établi d'Alençon
«
à Prez-en-Pail, pivotant sur ma droite avec les éléments réelle-
« ment résistants de mon armée, ralliant à Argentan le reste du
«
XIXe corps, je marchais, sans perdre un jour et sans presque
«
allonger les distances à parcourir, sur Dreux et sur Evreux,
«
dans la pensée d'appuyer ma gauche à la Seine et de forcer
«
l'Eure dans une partie moins préparée pour sa défense que
«
celle de Chartres à Dreux. Ce que je vois autour de moi,
« vos propres objections, vos préoccupations pour Rennes et
« Nantes, alors qu'à Josnes elles étaient surtout pour Cher-
«
bourg, me forcent à renoncer à une marche, hasardeuse sans
«
doute, mais qui pouvait tout sauver.
«
J'obéis donc et je change mes dispositions, pour me diriger
« vers Laval, etc. »
De telles observations demandaient une réponse ;
elle ne se
fit pas attendre. Le général espérait peut-être qu'elles engage-
(1) Note explicative, du Préfet — Grand Etat-Major Allemand, p. 854-856'
— 24 —
raient Gambetta à changer d'avis. Il n'en fut rien. Voici ce qu'il
lui écrivit :
« Quant au dessein que vous nourrissez, me dites-vous, de
« vous arrêter, s'il était possible, entre Alençon et Prez-en-
« Pail, pour, de là, tenter une marche hardie sur Paris, par
« Dreux et Evreux, je vous ferai remarquer que cette tentative
« généreuse était de nature à amener la perte de votre armée.
«
D'une part en effet, vous auriez couru le risque de ne point
«
refaire vos troupes avant de reprendre votre marche ; d'autre
« part, vous auriez infailliblement rencontré sur votre chemin
«
l'armée de Frédéric-Charles, commandant général des forces
«
prussiennes dans l'Ouest, laquelle parcourant, du Mans à
« Dreux ou à Mantes, une corde dont vous même parcourriez
«
l'arc, vous aurait nécessairement gagné de vitesse.
«
Nous estimons donc qu'à tous les points de vue, la retraite
« sur Mayenne et Laval est infiniment préférable.
«
Je suis d'ailleursen mesure de vous dire que les vivres ne
« manquent nullement dans Paris, et que le général Trochu
«
lui-même recule la fatale échéance jusqu'à la fin du mois)
«
etc. »
(1)
Est-ce tout, et Chanzy va-t-il renoncer à son projet ? Pas
encore. C'était le moment où Alençon, apprenait enfin la défaite
qui avait eu lieu presque à sa porte. La dépêche qui lui annonçait cette nouvelle indiquait en même temps Laval, comme
objectif de la retraite. Le général cependant ne s'y soumettait
que positivement contraint. Même après en avoir donné l'ordre,
il écrivait encore au ministre : «
Je n'avais qu'une idée, donner
«
à mon armée l'occasion de laver cette tache, et arriver encore
«
à temps pour sauver Paris. Aussi, sans hésiter, je me décidai
«
à battre en retraite surAlençon.JLà, en me réunissant au XIXe
« corps, encore intact, ralliant autour de moi tout ce qui avait
«
du coeur dans la deuxième armée, j'aurais marché sur Paris.
« Tous, cette fois, prévenus qu'il fallait arriver ou mourir.
«
La grandeur du but à atteindre me semblait justifier ces
«
risques suprêmes. Vous en avez jugé autrement, j'obéis.
« La retraite s'opère convenablement sur la Mayenne...
«
Le XXIe corps, après avoir combattu toute la journée contre
(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 338-339.
— 25 —
«
trois divisions du Grand-Duc de Mecklenbourg, a pu opérer
« sa retraite en très bon ordre, et passer la Sarthe sur les ponts
«
de Montbizot, la Guerche, et Beaumont.
« L'ordre de cette nuit lui prescrivant de changer son mou-
« vement de retraite lui est arrivé ce matin, au moment où, en
«
très bon ordre, il marchait sur Alençon, où il serait arrivé
«
demain. »
Cependant, le lendemain 14, ce même corps, attardé par ses
impedimenta, était, encore échelonné sur la route de Beaumont,
à cheval sur les trois routes de Sillé au Mans, à Beaumont et à
Fresnay. (1)
Mais revenons à Alençon, et aux événements dont il ne pouvait manquer de devenir le théâtre. On était certes loin de s'y
douter des nombreuses dépêches dont il était l'objet, et de l'importance qu'il avait dans les pensées des hommes d'État. Tout
ce qu'on savait, c'est que les Prussiens étaient à quelques lieues
de nous, et qu'ils allaient infailliblementnous arriver du jour au
lendemain.
Comment les recevrait-on ?
Grave question, que chacun tranchait à sa manière, sans
avoir ni l'autorité, ni les éléments indispensables pour la
résoudre.
(1) La Deuxième Armée de la Loire. Télég. du 13 et du 14 janvier, p, 309,
— 580 et 581.
retour Chapitre 01 Chapitre 02 chapitre 03
votre commentaire -
Par cgs611 le 20 Janvier 2021 à 17:11
L'Occupation Prussienne a Alencon 1871 ; recit de 1896 chapitre 03 retour Chapitre 01 chapitre 02 chapitre 04
*****Chgapitre 03******
LA VEILLE DU COMBAT
Comment les recevrait-on ?
Nous ne pouvions, évidemment, songer à nous livrer sans
avoir au moins fait quelques efforts pour échapper à cette honte.
Une telle indignité n'entrait dans la pensée de personne. Tous,
sans doute, n'entendaient pas l'honneur de la même façon, et il
s'en trouve toujours trop qui partagent leur coeur entre le patriotisme et les considérations de la peur ou de l'intérêt personnel.
Je ne crains pas loutefois de le dire : personne à Alençon n'eût
osé proposer un parti en opposition constatée avec la dignité du
pays. Il fallait donc résister dans les limites du possible. Mais
quelles étaient ces limites ? Qu'est-ce qui était possible ? Qu'estce qui ne l'était pas ? Et ces limites elles-mêmes ne devaientelles pas être reculées plus ou moins, selon les intérêts plus ou
moins puissants de la défense ? Autant, par exemple, il est beau
et généreux de faire le sacrifice de sa vie quand la Patrie a
besoin de ce sacrifice ; autant il serait vain et absurde de se
faire tuer sans utilité, par gloriole et par entêtement. Quel était
donc au juste l'intérêt de la défense d'Alençon ? Etait-elle liée
au sort général de la campagne? Pouvait-elle être utile à l'armée
de Chanzy ? Pouvait-elle arrêter l'ennemi ? Ou bien, n'avionsnous à songer qu'à nous-mêmes ? à notre honneur, d'abord ;
mais aussi à nos femmes, à nos enfants, à nos propriétés ?
Et puis, quels étaient nos moyens et ceux de l'ennemi ? En
étions-nous réduits à notre garde nationale et à quelques milliers
de mobilisés ? Ou bien, comme quelques-uns commençaient à
le dire, mais sans parvenir à se faire croire, avions-nous lieu
d'attendre un prompt secours, et quel secours ? L'ennemi se
dirigeait-il en force de notre côté ? Ses masses les plus nom-
— 27 —
breuses étaient-elles, au contraire, à la'poursuite de l'armée de
Chanzy ? Toutes questions auxquelles personne ne pouvait satisfaire ;
auxquelles les hommes chargés de la responsabilité
eussent été peut-être fort embarrassés de donner une réponse
quelque peu nette et précise.
Autre question, non moins grave: quelle autorité était chargée
de décider de notre sort ?
C'est là, dans cesjours de péril, où les plus grands intérêts
sont en jeu, l'honneur, la vie, la fortune, qu'une autorité respectée et incontestée est absolument indispensable. C'est alors
qu'un homme capable et reconnu comme tel, investi de la confiance de ses concitoyens, peut tout sauver; comme aussi c'est
alors qu'un moment d'incertitude ou d'hésitation peut tout compromettre. Que dire de l'anarchie dans de telles circonstances ?
Et pourtant, il faut l'avouer, l'anarchie, tel fut à peu près le
régime auquel nous nous trouvâmes soumis.
A prendre les hommes d'après le degré d'évidence qu'ils
eurent, ou qu'ils se donnèrent, nous avions bien notre préfet'
homme nouveau, jeune et sans expérience des choses de la
guerre, peu au courant des besoins, du caractère et des aspirations de notre ville ;
très-remuant d'ailleurs, ne voyant que le
but, sans se préoccuper des moyens, et très-disposé à prendre
des paroles brûlantes et des appels au désespoirpour des raisons
et des procédés de victoire. La loi, croyait-on, plaçait sous ses
ordres les mobilisés ; pourtant, il n'en était pas bien sûr luimême ; et en effet, un décret venait de rendre à l'autorité militaire des droits qu'on n'aurait jamais dû lui enlever. Il était
donc à propos qu'un mot de Bordeaux fit taire ses scrupules et
lui décernât un brevet de vaillance. « Conservez, lui disait-on,
«
la dispositiondesmobilisés quevous avez sibienconduitsjusqu'à
« présent. Je suis heureux de savoir que la défense d'Alençon
«
et environs est entre vos mains. »
(1) C'est encore lui, à ce
qu'il paraît, qui était le plus au courant de la situation. C'est
avec lui que le Gouvernement, et peut-être Chanzy, avaient
échangé le plus de dépêches ;
c'est à lui qu'on avait annoncé
l'envoi des deux divisions de l'armée de Cherbourg, ' des mobilisés de la Mayenne, des francs-tireurs Lipowski ; c'est lui qui
(l^Note explicative du Préfet- Télégr. du 14 janvier,
— 28 —
avait fait venir, de son chef, les mobilisés de l'Orne ;
c'est à lui
qu'on avait demandé les -plus énergiques efforts pour résister
jusqu'au 16 au matin, époque où devaient commencer à arriver
les renforts de Cherbourg (1), Mais n'oublions pas, d'un autre
côté, qu'il avait dû être également avisé, et des premiers, que le
général Chanzy ayant été forcé de changer au dernier moment.
ses dispositions de retraite, Alençon avait ainsi perdu une grande
partie de son importance stratégique et par suite, n'avait plus
les mêmes motifs de résistance à outrance.
Comment un tel personnage se trouva-t-il investi d'une telle
mission ? Qu'avait-on affaire alors d'un homme d'administration ? N'était-ce pas bien plutôt un militaire qui nous fallait ?
Nous avions bien encore à Alençon le général de Malherbe,
vieil officier d'Afrique et de Crimée, commandant la subdivision
de l'Orne. Nous avions aussi le Comité de défense, que je ne
sépare point, dans ma pensée, du général, pas plus qu'il n'en
était séparé dans la réalité. Le général, en effet, en était le président, l'inspirateur, et se regardait comme l'exécuteur de ses
décisions (2). Quelle était donc au juste la position du Général,
assisté du Comité de défense ? En devait-il être réduit à exécuter les plans militaires éclos dans la cervelle d'un jeune préfet
et à commander sous ses ordres ? 11 faut convenir qu'une telle
perspective était peu de nature à élever ses pensées et à développer ses moyens. Sera-t-il au moins appelé dans les conseils
de notre homme de guerre improvisé ? Ou plutôt, n'était-ce pas
à lui, comme commandant militaire du département, ou même
en sa simple qualité de général, à mettre la haute main sur les
affaires et à décider de tout d'après ses lumières et son expérience, sauf à s'en entendre avec le préfet ?
Restait une troisième autorité :
le Maire et le conseil municipal. Elle avait sur le général le privilège de disposer de la
garde nationale; car, par une anomalie au moins singulière, la
plus haute autorité militaire était la seule qui n'eût pas un
soldat sous sa main. L'autorité municipale avait encore l'avan-
(1) Note explicative. Télég. du 14 janvier, etc.
(2) Les autres membres étaient : MM. le Général de Boisterlre, commandant de la garde nationale, le Commandant Lemaitre, le Colonel d'artillerie en retraite d'Hostel. le Colonel Tardy, l'Ingénieur en chef du Plessis,
l'Ingénieur de Domfrpnt, de la Tournerie,13oissière.
— 29 —
tage d'être, en quelque sorte chargée de la tutelle de la ville ;
mais par contre, n'était-il pas possible d'en inférer une disposition à se laisser entraîner à des vues étroites, exclusives et
inspirées surtout par l'amour du clocher. Enfin, elle n'avait rien
de militaire.
Par ces motifs, il eût été fâcheux de lui laisser la haute direction. Elle n'y prétendit pas d'ailleurs, et son but unique fut de
travailler à remettre les intérêts de ses administrés entre des
mains présentantles meilleures garanties de capacité, d'impartialité et de modération. Elle était alors dans son rôle. Elle n'y
réussit, comme nous le verrons, que bien tard. Elle y serait
arrivée plus tôt, que les conditions de la lutte auraient été améliorées, sans doute ; mais le résultat final n'eût pas été changé ;
il était inévitable.
De ces divers pouvoirs, le préfet seulse mit d'abord en avant.
Aussitôt que la fatale nouvelle de la défaite du Mans fut parvenue à Alençon, il fit placarder la proclamation suivante, dans le
but de préparer les habitants aux événements, quels qu'ils
fussent, d'exciter leur patriotisme, et de leur faire comprendre
sa résolution de résisterjusqu'à la dernière extrémité :
« Aux habitants d'Alençon.
« Un certain nombre de fuyards, venant du Mans, pénètrent
«
dans Alençon, y jettent le trouble et y provoquent des pani-
« ques. La plupart de ces hommes sont un danger dans un
«
pareil moment. Le général Chanzy a prescrit de ne pas les
«
laisser entrer dans la ville et, au besoin, de faire sur eux des
«
exemples nécessaires.
« Le Mans a été évacué par notre armée, qui s'est retirée en
«
bon ordre.
« Nous ne connaissonspas encore la marche de l'ennemi.
« Nous pensons toutefois, mais sans en avoir la certitude,
«
qu'Alençon ne sera pas de sitôt souillé par l'étranger. Mais,
«
quoi qu'il arrive, si après avoir défendu pied à pied les posi-
«
tions occupées par nos troupes, après avoir fait notre devoir,
« nous étions renversés par la force brutale, le gouvernement
« compte sur le sang-froid de la population Alençonnaise.
«' Dans une pareille hypothèse, la peur qu'engendre le désor-
«
dre ne fait jamais que des victimes. Avons-nous besoin d'ajou-
— 30 —
«
ter que nous sommes disposés à nous défendre, les armes à la
« main, jusqu'aux portes de la ville ?
« La garde nationale est composée de citoyens soucieux, je
« pense, de leur dignité et de leur honneur. Ils n'imiteront pas
« ces âmes pusillanimes, qui cherchent dans l'existence de leur
«
prétendue faiblesse un prétexte pour se soustraire à la mort.
« Citoyens ! si les Prussiens viennent jamais coucher dans
« nos lits, il faut que l'on puisse dire d'Alençon qu'elle fut vrai-
« ment digne de la République, de la Patrie et de la Liberté.
« Quant à votre Préfet, il ne se retirera que quand il sera
«
bien constaté que l'honneur et le droit n'ont rien pu contre la
«
force.
« Citoyens ! un grand homme a dit :
l'adversité est notre mère,
«
la prospérité n'est que notre marâtre.
«
Le jour n'est pas loin, je vous le jure, où la mère engen-
«
drera. Il n'y a pas de droit contre le droit. Les Prussiens ne
« peuvent tarder à en faire l'expérience.
« Alençon, le 13 janvier 1871, minuit. »
Si le préfet se proposait, par ces paroles, de rassurer, ou
môme d'enflammer la population, il avait bien manqué son but.
Déjà, on voyait la ville bombardée, incendiée peut-être ; on se
rappelait le sort de Saint-Calais, livré au pillage pour bien
moins. Ce n'est pas pourtant que le patriotisme fit défaut ; mais
rien, jusqu'à ce jour, n'avait fait pressentir l'éventualité de tels
sacrifices. Beaucoup néanmoinsse montraient prêts à s'y soumettre ; à une condition toutefois, c'est qu'ils lussent commandés
par l'intérêt de la France et ne fussent pas uniquement le fruit
d'une héroïque folie ou d'un vain désir de se signaler. Dans tous
les cas, on ne se souciait nullement d'abandonner à la discrétion
du préfet la vie des citoyens et l'honneur de la Aille.
En même temps, le préfet songeait aux moyens d'augmenter
son effectif. Il avait déjà, depuis deux jours les mobilisés de la
Mayenne, il les passe solennellement en revue dans la journée
du 14, ainsi que la garde nationale sédentaire. C'était, il en faut
convenir un triste assemblage. Je n'ai rien à dire des gardes
nationales ;
elles sont connues de vieille date. Si quelques-unes
montrèrent, dans le cours de la campagne, de la solidité, de
l'héroïsme, si l'on veut, ces belles exceptions ne sauraient infir-
— 31 —
mer la règle. Le fait est que la garde nationale, ni par sa composition, ni par son organisation, ni par son esprit, n'est préparée à une action militaire quelconque. La nôtre, en particulier, en valait Lien une autre ; mais ce seraitlui taire un honneur
dont elle serait la première étonnée, que de vanter son humeur
guerrière. Elle aurait pu fournir, en face de l'ennemi, une ou
plusieurs compagnies de volontaires ; mais c'eût été s'exposer à
une déception;que de la lancer indistinctement et en masse
contre les hataillons ennemis.
Quant aux mobilisés de la Mayenne, il n'était pas besoin d'attendre l'événement pour les juger et eux-mêmes avaient pris soin
de donnerleur mesure. « Qu'on nous fasse faire chez nous,
«
disaient-ils, la guerre de buissons, et l'on verra de quoi nous
« sommes capables ; mais pour Alençon, les Prussiens y peu-
« vent venir ; ce n'est pas nous qui le défendrons. Alençon nous
« a
fait coucher sur la paille ; qu'il ne compte pas que nous
«
tirions pour lui un coup de fusil. » Les malheureux, ignoraient en effet que leurs chefs eux-mêmes ayant exprimé le désir
de les avoir sous la main, de manière à pouvoir disposer d'eux à
tout instant, on avait été à peu près forcé de les caserner tant
bien que mal dans les halles et les monuments publics. Quelque
peu donc qu'il y
ait à attendre de troupes jeunes, sans expérience, sans discipline, armées de fusils à piston dont les cartouches n'étaient pas toujours de calibre, celles-là se montrèrent
encore au dessous de ce qu'on pouvait raisonnablement présumer. Je tiens toutefois à ne pas laisser à un jugement aussi
sévère plus d'étendue qu'il n'en doit comporter. Plusieurs compagnies, un bataillon presque entier même, cherchèrent en effet
à racheter les mauvaises dispositions de leurs camarades.
Voilà les hommes auxquels il s'agissait d'inspirer force et
courage. On pouvait être surpris que M. Dubost fût chargé de
ce soin. Quelle était donc la confusion qui présidait à la distribution des rôles, qu'il nous fût donné de voir le jeune journaliste
passant fièrement la revue de ses troupes, pérorant, agissant,
paradant ; et derrière lui, le général de Malherbe, le général de
Boistertre, le Maire, muets et comme entraînés dans l'orbite de
cet astre de nouvelle espèce ? Mais Gambetta s'était bien improvisé généralissime ; quoi d'étonnant à ce que ses lieutenants
s'improvissassentchefs de corps ?
— 32 —
Mes amis, nous disait le Préfet, la France a les yeux sur
vous. L'affaire peut être rude ; mais ne comptez pas les ennemis.
Ne craignez pas la mort... Je ne veux avec moi que des hommes
qui aient fait leur testament... Que l'ennemi ne pénèlre dans
votre ville que sur vos cadavres amoncelés !... Oui, je vous le
dis :
faites-vous tous tuer ;
tous, jusqu'au dernier, s'il le faut, et
la France sera sauvée !
L'anxiété était grande ;
la garde nationale assez bien disposée.
Plusieurs cependant auraient préféré voir le général, ou seulement leur commandant, leur indiquer la ligne de l'honneur et
du devoir, les assurer de la possibilité et de l'utilité de la défense.
Quelques cris de Vive la République ! firent écho aux paroles
brûlantes du préfet ; mais, en somme, la passion des auditeurs
était loin d'être à la hauteur de celle de l'orateur.
De son côté, le conseil municipal était en séance depuis plusieurs heures et s'occupait des éventualités de la lutte. Le Général, dit le Maire,
« pour être en mesure de repousser l'invasion,
«
si les troupes qui s'avancent ne sont pas en trop grand nombre,
« a donné l'ordre de battre le rappel, pour avoir la garde natio.
«
nale à sa disposition, afin de soutenir au besoin les troupes
«
qui occupent la ville et doivent essayer de la défendre aux
«
points indiqués par le Comité de défense.
» Les Prussiens
étaient signalés à Beaumont. Il aurait pu ajouter, que Beaumont
ne les avait pas arrêtés longtemps. (1) Gomme conséquence, le
pont de Beaumont qui devait être détruit, restait debout, et les
colonnes ennemies pénétraient sans obstacle jusqu'à La Hutte,
Bourg-le-Roi et Ancinnes. (2)
Cette affaire de Beaumont eut pour nous des résultats considérables. Son premier effet fut de nous priver du secours si
vivement attendu de l'armée de Cherbourg. Alençon, comme
Beaumont, était confié, en grande partie, au patriotisme des
mobilisés de la Mayenne. N'était-il pas à redouter que ce patriotisme fît défaut à Alençon, comme il avait fait défaut à Beaumont ? Dans un tel doute, malheureusement trop fondé, le
général Chanzy, craignant que les deux divisions de Cherbourg
ne trouvassent Alençon déjà occupé, n'osa pas les exposer à une
(1) Conseil municipal, 14 janvier, une heure du soir.
(2) La Deuxième Armée de la Loire, p. 351-581-582-585.
— 33 —
perte presque certaine, et demanda au Gouvernement-(car ils
n'étaient pas encore partis !) de les faire arrêter à Fiers, sauf à
les diriger ensuite sur Alençon, si Alençon était en état de les
recevoir. Mais ce qui était possible alors, ce qui l'était encore le
lendemain 15, ne l'était plus le 16. On aurait dû s'y prendre un
ou deux jours plus tôt ; maintenant il était trop tard.
Les télégrammes les plus contradictoires se croisèrent donc
dans cette journée du 14, relativement à l'envoi des divisions de
Cherbourg. Les termes pressants dans lesquels ils sont conçus
montrent assez l'importance qui s'attachait à cette opération :
«
Guerre à Protais, agent général de la compagnie Ouest,
« Granville, faire suivre; — général Gérard, Carentan, faire
«
suivre ; — chef de gare de chemin de fer, Carentan, à préfet,
« Alençon et à général Chanzy, à Sillé-le-Guillaume.
« Bordeaux, 14 janvier 1871.
« Les deux divisions du XIXe corps d'armée s'embarqueront à
« Carentan, par chemin de fer, demain jeudi (1), à 5 heures du
«
soir, et seront expédiées, de jour et de nuit, sans interruption,
« sur Alençon, de manière que l'embarquementtotal soit terminé
« en 48 heures. Les deux divisions comprennent 30,000 hommes,
«
12 batteries, de la cavalerie et les accessoires.Je compte sur le
«
patriotisme de la compagnie de l'Ouest et, en particulier, sur
«
celui de M. Protais., ainsi que sur la ponctualité et la vigilance
«
des chefs, pour que le transport ait lieu dans les conditions
«
sus-indiquées. La compagnie de l'Ouest est autorisée par la
« présente à supprimerle service surtelles sectionsqu'elle jugera
«
utile, pour se procurer le matériel nécessaire et assurer la
«
circulation des trains militaires. Réponse urgente.
« Signé : DE FREYCINET.
»
Reste un point à éclaircir : Comment se fait-il que le départ,
demandé comme urgent dès le 11, annoncé positivement le 12,
n'ait été ordonné que le 14 ?
Autre télégramme :
GAMBETTA A CHANZY
« Bordeaux, 14 janvier 1871, 9 h. 40 m. du soir.
«
Je prends communication de votre dépêche de 2 h. 45 m. à
(1) C'est une erreur ;
le lendemain 15 janvier était un dimanche.
3.
— 34 —
« mon délégué au ministère de la guerre, dont l'activité et l'ini-
«
tiative nous mettent à même de vous secourir au milieu de
« votre retraite, parla présence du XIXe corps. Vous demandez la
«
composition et l'emplacement des troupes qu'il vous envoie.
« Elles doivent débarquer à Alençon, sous les ordres du général
«
Gérard ;
le général Saussier devant commander la 3e division,
«
à Argentan. Quant au général Dargent, les instructions qu'il a
« entre les mains sont fort nettes ;
il commande la 1" division
« et, jusqu'à l'arrivée du général commandant le XIXe corps, il
«
remplira l'intérim. Dès lors, il n'a qu'à se rendre à Alençon,
« comme on le lui a dit, pour surveiller le débarquement des
«
troupes. Quant au délai fixé pour l'ensemble de ces opérations,
«
il ne dépendra pas de M. de Freycinet qu'il ne soit, scrupuleu-
« sèment respecté
«
Signé : Léon GAMBKTTA. »
Mais à quoi bon toutes ces belles promesses ? Cbanzy venait
lui-môme de réclamer un contre-ordre.
« Le préfet d'Alençon, disait-il, signale les Prussiens à Bourg-
«
le-Roi et à Ancinnes, marchantsur Alençon. Je doute que les
« mobilisés de la Mayenne puissent tenir mieux qu'à Beaumont.
«
Dans le doute de ce qui va se passer, quoique nos projets de
«
résistance ne soient nullement modifiés, je crois utile de faire
« arrêter les divisions du XIXe corps à Fiers, sauf à les diriger
«
plus tard, soit sur Alençon, soit sur Domfront, suivant le cas.
« Vous avez prescrit les mouvements ;
je vous prie de les modi-
«
lier dans ce sens... »
(1).
Il paraît toutefois que le préfet ne fut avisé que le 15, j'ignore
à quelle heure, de ce changement de disposition, par un télégramme du ministre de la guerre. Le 14 encore, à 3 h. 40 m. du
soir, le général Chanzy continuait à lui faire les mêmes promesses. «
Je compte, disait-il, que le XIXe corps commenceraà arriver
« à Alençon demain soir. Je fais occuper Fresnay par la division
« Gougeard, qui y sera demain, et qui se reliera à Montreuil à
«
la droite du 21e corps. Faites savoir au colonel Lipowski que
«
je compte sur lui pour vous aider à défendre Alençon (2). »
Cependant le préfet ne perdait pas son temps. Jugeant que
(1) La Deuxième Armée de la Loire, p. 582, 587, 588.
(2) Note explicative du préfet.
— 35 -
nous ne serions pas attaqués par la forêt de Perseigne, il rappela
à la hâte toutes les troupes qui en gardaient les débouchés, ainsi
que les francs-tireurs Lipowski ;
puis il réunit dans son cabinet
le colonel Lipowski et le colonelTardy, commandant supérieur
des mobilisés de l'Orne, afin de s'entendre avec eux sur les dispositions à prendre en cas d'attaque.
Les troupes étant arrivées dans la soirée, il convint avec ses
conseils de les envoyer dans la nuit occuper des positions en
avant d'Alençon, échelonnées jusqu'à la Hutte, où se trouvaient
déjà deux bataillons de la Mayenne. Il décida aussi que les voies
de communication seraient barricadées et les ponts minés, afin
d'arrêter la marche de l'ennemi. Le général Chanzy avait bien
promis d'envoyer pour cette dernière opération l'ingénieur civil
de l'armée avec son matériel et son personnel; mais en son
absence, on dut s'adresser aux ingénieurs du département ou de
la ville et aux hommes de bonne volonté (1).
Qui eût dit, au milieu de cette agitation, que nous avions à
Alençon un général et un comité de défense ? Restaient-ils donc
inactifs ? Il ne faudrait pas le croire ; mais tandis que le préfet
agissait à grand bruit et disposait de certaines forces, les autres,
sans troupes et sans pouvoirs définis, en étaient réduits le plus
souvent à des résolutions stériles. Peut-être auraient-ils pu et dû
faire davantage. Peut-être eût-il mieux valu, au risque d'élever
un conflit, qu'ils prissent d'autorité la direction des affaires. Ne
connaissant ni leurs résolutions ni leurs motifs, il est difficile de
les juger.
Le conseil municipal y mit moins de formes et, tout en y
apportant les précautions nécessaires, ne recula pas devant une
lutte avec le préfet. Les projets de M. Dubost ne pouvaient manquer de l'émouvoir, comme ils avaient ému la population. La
défense de la Aille à l'intérieur et la rupture des ponts lui paraissaient une folie qui devait infailliblement causer la ruine de la
ville. Il prit à tâche de s'y opposer et de remettre le pouvoir en
de meilleures mains.
Il était en séance le 14 au soir, quand une députation des officiers de la garde nationale vint lui faire part des craintes de la
population. Celui qui porte la parole expose que, par ordre du
(1) Note explicative.
-
36 —
préfet, des barricades doivent être éleArées dans la ville, en deçà
des différents ponts; qu'il y a des ordres et des réquisitions du
préfet pour préparer la rupture des ponts ; qu'il résulte de son
allocution à la revue que la défense doit avoir lieu non seulement
en dehors d'Alençon et sur les points où des travaux préparatoires
ont été faits par ordre du Comité de défense, mais dans l'intérieur de la ville.
Au nom de la garde nationale, cet officier proteste de l'entier
dévouement du corps à la défense de la patrie ;
déclare que la
garde nationale est prête à tous les sacrifices pour repousser
l'ennemi loin de la ville ; mais n'entend pas, par une défense à
l'intérieur qui lui paraît impossible, exposer à la ruine la cité
tout entière.
L'ingénieur en chef entre alors et prévient le maire qu'il ait à
mettre en réquisition les poudres qui peuvent se trouver dans les
différents dépôts de la ville, afin de préparer la rupture des ponts.
Il affirme en même temps qu'il lui a été communiqué par
M. le Préfet un ordre du général Chanzy prescrivant cette
mesure.
M. Baudry répond que la gravité des circonstances sollicite
l'intervention énergique du Conseil. Sans doute, si un ordre du
général Chanzy réclame dans l'intérêt de la défense nationale les
mesures signalées, si douloureux que soient les sacrifices imposés, le Conseil el la Ville doivent trouver dans leur patriotisme
et leur amour pour la France le courage de les accepter sans
limites. Mais il est du devoir étroit du Conseil de s'assurer que
ces ordres viennent bien du général Chanzy ou du ministre de la
guerre. A son avis, ils doivent avoir été transmis directement à
l'autorité militaire, qu'un décret récent investit seule du droit de
pourvoir à la défense. 11 demande que le maire s'informe auprès
du général de Malherbe de la portée des ordres qu'il peut avoir
reçus et lui soumette les observations qui, sans nuire à la
défense générale, peuvent préserver la ville des malheurs qui la
menacent. M. Baudry s'occupe ensuite de la position désastreuse
faite par les projels du préfet au quartier de Montsort, des avis à
donner et des mesures à prendre pour lui permettre de se réfugier à temps dans les autres quartiers.
M. Lherminier, tout en s'associant à ce qui a été dit par
M. Baudry, pense que c'est au préfet qu'on doit plus particulière-
— 37 —
ment réclamerdes communications, qu'il ne pourra ni ne voudra
refuser.
Néanmoins, d'après l'avis unanime, le maire se rend auprès
du général.
A son retour, il fait connaître que le général lui a déclaré
n'avoir reçu aucun ordre du général Chanzy ni du ministre pour
prescrire la rupture des ponts intérieurs, l'érection de barricades
et la défense dans les rues; que le Comité de défense a toujours
été d'avis que c'était aux environs qu'Alençon, ville ouverte,
devait être défendu; qu'il partageait entièrement cet avis, ainsi
que le commandant de la garde nationale ; que c'est en dehors
de lui que les ordres communiqués au Conseil ont été donnés
par le préfet.
En conséquence, le Conseil se transporte en masse auprès du
préfet, pour avoir de lui des explications sur ces ordres et. lui
exposer la situation douloureuse qu'ils peuvent créer à la ville.
A neuf heures et demie, le maire, introduit avec le Conseil,
fait part au préfet de l'émotion causée par les ordres qu'il a
donnés ;
il lui en demande communication, ainsi que des nécessités de la défense nationale sur lesquels ils peuvent reposer.
Le préfet, dans une vive et longue allocution, répond qu'il a
reçu du ministre carte blanche pour diriger les opérations de la
défense ; qu'il est en communication avec Chanzy ; que, par des
considérations qu'il ne peut rendre publiques, ils regardent tous
deux comme d'un intérêt véritable qu'Alençon se défende à
outrance ; que le salut de la patrie peut être attaché à ce qu'il
résiste pendant un certain temps ; que l'intérêt particulier de la
ville doit céder à l'intérêt général ; qu'il faut que l'ennemi soit
retardé dansson invasiond'Alençonpartous les moyens possibles,
dût-il n'en pas rester pierre sur pierre. Il ajoute que, du reste,
son intention est de n'avoir recours à la rupture des ponts et aux
barricades à l'intérieur que si les positions avancées ne peuvent
être maintenues.
M. Romet, appuyé par ses collègues, insiste pour avoir communication des ordres prescrivant la rupture des ponts et la
défense à outrance à l'intérieur de la ville, ordres qui n'ont
encore été donnés pour aucune ville ouverte, quelle que soit son
importance et la concentration des troupes chargées de la
défendre.
— 38 —
Refus du préfet. Il consent néanmoins à donner des ordres
qu'il a reçus une communication confidentielle au maire qui,
dans la mesure d'une discrétion nécessaire, en pourra faire part
au Conseil.
Bientôt le maire déclare à ses collègues que la seule dépèche
qui lui ail été communiquée a
trait à la rupture des ponts entre
Fresnay et Beaumont.
Enfin le préfet annonce sa visite au Conseil pour le lendemain
matin à 8 heures, pour diverses communications(1).
Tout en faisant la part de l'emphase et de l'exagération, on
doit convenir qu'il y
avait du vrai dans les déclarations du préfet.
Si la rupture des ponts de la ville et la défense à l'intérieur
n'étaient pas expressément commandées, il n'en est pas moins
vrai que les télégrammes du général Chanzy poussaient énergiquement à la résistance, et que ceu* du ministre donnaient un
pouvoir considérahle au préfet (2). Mais alors, qui l'empêchait de
produire ces pièces et d'établir ainsi son autorité contestée ? Ne
les trouvait-il pas suffisamment claires? Ne craignait-il point
aussi, par hasard, que le général investi de l'autorité de par la
la loi, en relations suivies, lui aussi sans doute, avec le général
Chanzy et avec le gouvernement
,
ayant reçu de son côté des
communications analogues à celles du préfet, peut-être les
mêmes, mais leur ayant donné une interprétation différente,
n'en prit occasion pour s'opposer à ses desseins ? On a dit aussi
que la rupture des ponts sur la Sarthe, prescrite par Chanzy
comme nécessaire à l'époque où il comptait effectuer sa retraite
par Alençon et Prez-en-Pail et faire de la Sarthe une de ses
grandes lignes de défense, n'ayant plus sa raison d'être depuis
que Gambetla l'avait obligé à changer ses plans, avait dû être
contremandée par lui, si elle ne l'était suffisamment par la force
des choses. Dans cette hypothèse, le préfet, aurait simplement
fait une erreur de date
,
appliquant au 15 janvier des mesures
qui ne pouvaient s'appliquer qu'au 12 ou au 13. Quoiqu'il en
soit, il y a
là un point obscur qu'il est difficile de trancher.
Les points obscurs ne manquent pas d'ailleurs à celle triste
époque.
(1) Procès-verbaux des délibérations du Conseil municipal du 14 janvier,
8 heures du soir.
(2) Noie explicative du préfet.
— 39 —
Ces luttes intestines à l'approche de l'ennemi duraient encore
le lendemain. Les travaux de mines et de barricades se poursuivaient, mais avec mollesse et lenteur; on sentait que ceux qui
étaient chargés de les faire ne s'acquittaient de leur besogne qu'à
contre-coeur. Un employé avait même osé pénétrer jusqu'au
préfet et lui exposer respectueusementl'inutilité des travaux et le
danger qu'ils constituaient pour la ville. Il ne fut pas tenté d'y
revenir. F...-moi le camp, s'écria le haut magistrat en fureur. Je
me f... pas mal de la ville. Périsse Alençon ; qu'il n'en reste pas
pierre sur pierre. Ce que je veux, c'est la résistance,la résistance
à outrance. Allez et obéissez. Cependant le 15 au matin, un seul
pont important, celui du chemin de fer, sur la Sarthe, était
détruit, et le général de Malherbe, défendant sous sa propre responsabilité la destruction des autres, se montrait disposé à
l'empêcher, même par la force. Des pétitions se signaient, surtout dans le quartier de Montsort ;
le Conseil municipal, en
attendant le préfet qui ne venait pas, écoutait les observations
de plusieurs de ses membres « contre un système de défense
«
qui ne peut, disaient-ils, avoir pour résultat que de prolonger
«
la résistance et qui, cependant, entraînerait la ruine de la
«
ville... Des communications verbales de M. le Préfet, il résulte,
«
ajoutaient ces membres, que c'est lui qui, par une interpréta-
«
tion qui lui appartient, s'est créé un système désastreux de
«
défense ; que son patriotisme, qui ne peut être éclairé par des
«
connaissances militaires auxquelles il est étranger, se fait illu-
«
sion sur la portée de ces mesures, et que le Conseil municipal,
« par un silence qui serait coupable, ne peut les sanctionner.
« Sur quoi, le Conseil municipal, à l'unanimité,
«
Proteste de son dévouement à la défense nationale. Déclare,
« au nom de la ville et de la garde nationale tout entière, que la
«
défense aux postes en avant de la ville et qui ont été indiqués
« par l'autorité supérieure, doit être énergiquement soutenue.
« Mais, considérant que la rupture des ponts intérieurs et la
«
défense dans l'enceinte même de la ville essentiellement
« ouverte ne sont prescrites par aucun ordre spécial du ministre
«
de la guerre ou du général Chanzy.
«
Considérant que l'autorité militaire et le Comité de défense
« ont été d'avis que la ville ne devait et ne pouvait être défendue
« que dans ses postes avancés.
— 40 —
« Considérant qu'après l'abandon de ceux-ci, toute autre
«
défense, en l'absence de forces et d'artillerie suffisantes, serait
«
désastreuse, sans être utile, compromettrait même le mouve-
« ment de nos troupes.
«
Refuse énergiquement son concours aux ordres émanés de
« M. le Préfet »
(1).
Une nouvelle séance fut indiquée pour 10 heures, afin d'entendre les explications du préfet. Le général y assista. Après des
altercations assez vives entre le préfet, qui se dit muni d'ordres
formels auxquels il ne peut faillir, le Conseil municipal, peu
convaincu par ses déclarations et le général qui persiste dans son
opinion de concentrer en avant toute la défense, sans exposer la
ville aux dangers d'une résistance intérieure qui n'aurait aucune
efficacité réelle, la rupture des ponts ne pouvant pas entraver
sérieusement la marche de l'ennemi, on convint d'en référer
au général Cbanzy et de s'en rapporter à sa décision (2).
Et pendant ce temps-là, on se battait aux portes d'Alençon !
Ces longues citations étaient nécessaires pour nous aider à
juger, s'il est possible, une situation unique dans l'histoire de
notre ville. Il ne s'agissait de rien moins en effet que de savoir
si, oui ou non, elle allait être bombardée, détruite peut-être,
livrée dans tous les cas aux horreurs de l'incendie et du pillage.
Que faut-il penser, en définitive, du système du préfet? 11 est
certain que, s'il avait dû avoir quelque efficacité, s'il avait été
commandé par la nécessité ou par les ordres du général Chanzy
comme devant contribuer au salut du pays, il n'y avait pas à se
préoccuper des conséquences;
il fallait s'y soumettre, coûte que
coûte. Mais cette nécessité, cette efficacité, ces ordres existaientils ? On a vu les télégrammes de Chanzy cités par le préfet luimême ;
avaient-ils ce caractère formel et positifd'un ordre militaire qui n'admet ni examen ni réplique ; ou ne prescrivaient-ils
pas simplement la résistance dans les limites de la possibilité
ordinaire? Y était-il question de défense dans les rues de la ville,
de barricades, de rupture de ponts à l'intérieur? Le préfet, d'un
autre côté, était-il apte à interpréter et à exécuter ces ordres?
Ses décisions pouvaient-elles être autre chose que les décisions
(1) Conseil municipal, 15 janvier, 8 heures du matin.
(2) Conseil municipal, 15 janvier, 10 heures du malin.
T-. 41 —
d'un homme ardent, héroïque, si l'on veut; mais d'un homme
qui n'y entend rien et que son défaut de lumières et de sagesse
éloigne du but qu'il poursuit lui-même ? S'imaginait-il, par
hasard, que les Prussiens allaient s'engager dans les rues de la
ville et y livrer un combat incertain et inégal? C'eût été bien peu
connaître leurs habitudes de prudence. Avant donc que d'entrer
dans la ville, ils n'auraient pas manquer de s'y préparer un accès
facile en la bombardant sans danger pour eux, jusqu'au moment
où nous aurions trouvé assez de femmes et d'enfants tués ou
blessés, assez d'incendies,assez de ruines pour leur ouvrir nousmêmes nos portes. Le préfet voulait le combat; de cette façon, il
ne l'obtenait même pas et permettait à l'ennemi de nous faire du
mal, presque sans représailles possibles.Au lieu doncde le laisser
venir et de concentrer la résistance trop près de la ville, que
n'allait-il l'attendre plus loin, dans des positions d'où ses obus ne
pourraient atteindre les habitants inoffensifs et où il l'obligerait
à se mesurer avec de véritables soldats ? Son système donc, bon
tout au plus comme moyen extrême, après avoir essayé de tous
les autres, et pour le cas seulement où l'attente d'un prompt
secours et un intérêt puissant eussent déterminé à se laisser
bombarder en silence, était inapplicable dans les conditions où il
était proposé. On comprend la rupture du pont du chemin de
fer; une gare est toujours une position importante, et il était bon.
surtout si l'on attendait du secours, de la garder le plus longtemps possible. Mais ni nos barricades, ni nos ponts rompus
n'étaient de nature à arrêter l'ennemi, par la raison bien simple
que lui-même ne songeait pas à s'y heurter.
Cette longue discussionnous a fait négligerlesfaits. D'ailleurs,
ce n'est pas encore le jour des grands événements. Signalons
toutefois, pour en finir avec cette journée du 14, les mesures
de précaution pour s'éclairer et se mettre à l'abri d'une surprise.
Des grand'gardes furent placées sur les routes; des éclaireurs à
cheval eussent été bien utiles ; mais les cavaliers étaient rares.
Quelques gendarmes, quelques chasseurs d'Afrique, c'était bien
peu, et il eût été urgent d'en augmenter le nombre; néanmoins,
malgré l'appel fait à la garde nationale, on ne put s'en procurer
beaucoup.
Signalons encore l'arrivée dans la soirée des mobilisés de
l'Orne et des francs-tireurs Lipowski. Bon nombre d'habitants
— 42 ^
en prirent chez eux ; mais la plupart furent réduits à coucher
dans les églises el les monuments publics. Triste nécessité, que
les soins de l'intendance et de la municipalité auraient pu éviter,
ce semble, à la majesté du culte et à la fatigue de ces malheureux. A Saint-Léonard, ils eurent au moins de la paille ; à NotreDame, ils furent obligés de dormir sur des chaises ou sur les
dalles humides, par un froid rigoureux. Le matin, au moment
de dire les premières messes, il en fallut réveiller un bon
nombre qui étaient pressés sur les degrés des autels. Combien
d'autres encore furent forcés de bivouaquer sur la place, au
milieu de la neige.
La garde nationale était convoquée pour le lendemain matin à
6 heures, à moins que le tambour ne l'appelâtdans la nuit ; mais
une partie resta jusqu'à 11 heures ou minuit sur la place et sous
la coupole de la Halle au blé, dans l'attente des événements qui
pouvaient surgir d'un moment à l'autre.
fin chapitre 03
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Par cgs611 le 20 Janvier 2021 à 17:12
L'Occupation Prussienne a Alencon 1871 ; recit de 1896 retour chapitre 01 chapitre 02 chapitre 03
LE COMBAT
Un combat à Alençon !.... Contre les Prussiens! La France
envahie sur une étendue de cinq ou six cents kilomètres ! Quelle
impossibilité ! Aurait-on honoré d'une réponse celui qui, six
mois auparavant, aurait fait, de telles prédictions ? Et pourtant,
ces événements inouïs, impossibles, qui ne pouvaient, entrer
dans les calculs de l'homme d'État ou du guerrier; qui ne pouvaient trouver place ni parmi les illusions du succès, ni parmi
les craintes de revers ; que ni vainqueurs ni vaincus, ni Allemands ni Français n'auraient seulement osé supposer, nous en
avons été les témoins, les acteurs, les victimes.
Le 14 janvier au soir, nous avons laissé notre petite armée
bivaquant sur la Place, au milieu de la neige, ou couchée surles
dalles des églises et des monuments publics. 11 m'en coûte de l'y
laisser, et pourtant, avant la mettre aux prises avec l'ennemi, il y
a plusieurs questions qu'il est nécessaire de vider.
Le combat d'Alençon n'eut point l'importance d'une grande
bataille. Ni le nombre des troupes qui y furent engagées, ni le
chiffre des pertes qu'il nous occasionna ne permettent de le classer
parmi les grands faits militaires de la campagne. Et quant à son
influence surles résultats généraux de la guerre, les changements
imposés aux plans de Chanzy la lui enlevaient en grande partie.
Il eut cependant pour effets d'ouvrir à la Prusse la route de la
basse Normandie et de gêner la retraite de nos troupes après la
bataille du Mans. A un point de vue plus particulier, il nous
valut l'occupation de tout notre pays par les Prussiens, Il fut
d'ailleurs fécond en enseignements de toute sorte.
Celui donc qui n'y verrait qu'une lutte malheureuse de quelques milliers de Français contre un plus grand nombre d'enne-
mis ou, suivant l'expression d'un auteur, un court mais très vif
engagement des troupes du grand duc de Mecklenbourg contre
celles du général Lipowski (1), courrait risque de l'apprécier
d'une manière incomplète et peut être inexacte. Le commandement, les dispositions demandent à être examinés à part et antérieurement à l'action. De ces trois points, l'action proprement
dite est peut-être le moindre, se déduit presque comme une
conséquence nécessaire et, pour la centième fois, fournit la solution de ce problème : étant donnés les éléments dont on pouvait
disposer et les hommes chargés de les mettre en oeuvre, l'issue
pouvait-elle être autre qu'elle ne fut?
Dans toute guerre, le commandement est chose capitale, et la
Prusse ne nous aurait peut-être pas vaincus, si nous avions eu
un général en chef à opposer au sien. Qu'on suppose devant l'ennemi une autorité incertaine, contestée, ou seulement divisée,
n'aura-t-elle pas pour effet de paralyser les troupes, de leur faire
perdre l'enthousiasme, la confiance, et d'amener infailliblement
la défaite ? Je ne parle pas d'une autorité nulle ;
l'esprit se refuse
à une telle hypothèse, et alors même qu'on ne peut découvrir le
commandement, on le suppose toujours quelque part. Cela posé,
quelle était, sous ce rapport, notre situation à Alençon? Je l'ai
déjà dit, c'était l'anarchie. Mais au moins, au dernier moment,
une main énergique allait-elle imposer son autorité? Il n'y fallait
pas compter. L'ennemiapprochait ; nous devions, disait-on, aller
à sa rencontre ; mais personne ne savait qui devait nous y conduire. Il était là, à nos portes; nous entendions le canon ; nous
nous demandions avec anxiété quel général, quel officier dirigeait
nos troupes, et personne ne pouvait répondre à cette question.
Aujourd'hui encore, après des années, on voudrait savoir le nom
de celui qui commanda ce jour-là, et la réponse laisse des doutes
et est sujette à des distinctions
Il est certain que, jusqu'à 10 heures 15 minutes, c'est le préfet
qui eut presque toute l'autorité. C'est lui qui avait fait venir les
troupes; c'est lui qui, de concert avec les colonels Lipowski e.t
Tardy, les avait disposées ; c'est lui seul qu'on voyait agir; c'est
donc sur lui que doit reposer en grande partie la responsabilité
des préparatifs, du plan et des commencements de l'action.
(1) La Guerre clans l'Ouest, par L. Bolin, ancien officier, p. 378.
— 45 —
Cependant, comme son pouvoir ne s'exerçait pas sans opposition,
j'ai dit que, pour mettre fin à un conflit des plus regrettables, on
avait dû recourir à l'intervention du Gouvernement et du général
Chanzy.
Il était près de dix heures quand des télégrammes leur furent
adressés. A ce moment, on entendait déjà le canon dans les environs;
il était temps de savoir qui commanderait la résistance.
Heureusementla réponse ne se fit pas attendre. Elle était ainsi
conçue :
«
Sillé, 10 h, 15 m. du matin, 15 janvier 1871.
«
Général Chanzy à Général, Alençon.
« C'est au Comité de défense à prendre les mesures en vue de
«
la marche de l'ennemi sur cette localité. Je ne puis ni com-
« mander directement dans cette direction, ne pouvant apprécier
«
les événements, ni prendre des mesures qui n'auraient peut-
«
être pas leur raison d'être. Je n'ai jamais eu l'idée d'enlever à
«
qui que ce soit sa part d'autorité et de responsabilité.
« Signé : CHANZY.
»
(1)
Il semble, du reste, que le préfet aurait pris lui-même les
devants, car il parle d'une dépêche envoyée par lui plusieurs
heures avant cette réponse, et qui était conçue en ces termes :
«
Préfet, Alençon à Guerre, Bordeaux et général
« Chanzy, Sillé-le-Guillaume.
« Vous m'avez recommandé de défendre à outrance Alençon
« et ses environs. Pour assurer notre ligne de retraite, nous
« avons cru indispensable de faire miner les ponts de l'intérieur
«
de la ville. Le Conseil municipal et le Général, qui ne sont pas
«
du même avis, protestent. Si vous voulez que je leur résiste,
«
donnez-moi par dépêche l'autorisationformelle.
»
(2)
Enfin, vers une heure, le ministre prescrivait au général de
prendre possessiondes mobilisés de l'Orne des mains du préfet(3).
De cette façon, le général se trouvait donc chargé de pourvoira
une situation qu'il n'avait pas faite, de poursuivre des opérations
qu'il avait blâmées et auxquelles il s'était opposé.
(1) Cons. municip. 15 janvier, 3 heures.
(2) Note explicative du préfet.
(3) Cons. munie. 15 janvier, 3 heures.
— 46 —
Il était connu de vieille date qu'Alençon, situé dans un fond,
entouré de tous côtés par des hauteurs, ne pouvait résister
qu'autant que ces positions restaient en notre pouvoir ; que l'ennemi, s'il en devenait le maître, pouvait facilement de là réduire la
ville, avant même d'y entrer ; qu'Alençon, en conséquence devait
être défendu, non dans Alençon même, mais hors de ses murs.
Aussi le Comité de défense avait-il résolu d'occuper les hauteurs de Neufchâtel, Ancinnes, Champfleur, Oisseau etc. et de
disputer aux Allemands l'approche, plutôt que l'entrée même de
la ville. On a prétendu après coup (1) que, si la lutte n'eut pas
lieu sur ces points, ce ne fut pas la faute du préfet, mais celle des
mobilisés de la Mayenne, qui ne surent pas tenir devant les
avant-gardes allemandes. Malgré l'obscurité qui, encore actuellement, couvre en partie les opérations de cette journée, il paraît
que dés grand'gardes avaient, à la vérité, été envoyées dans ces
directions; mais ces grand'gardes, suffisantes pour éclairer sur
la marche de l'ennemi, n'avaient ni la mission, ni le pouvoir
d'opposer une résistance sérieuse. Et pourtant, quel avantage,
non pas seulement pour Alençon, je ne le place qu'au second
plan, mais pour le succès de nos armes, si le combat, au lieu de
s'être livré presque en rase campagne, aux portes d'une ville que
la rupture de notre première ligne de défense livrait à l'ennemi,
avait été porté sur des hauteurs boisées et accidentées, où se joignait à l'avantage de la position celui de travaux et de préparatifs
étudiés et exécutés de longue main !
Mais il n'y fallait plus songer. C'est l'ennemi qui maintenant
occupe ces positions préparées pour le combattre. Il s'approche
de la ville, et il ne s'agit plus que de lui en interdire l'entrée.
C'est à cela du moins que se bornent, à ce qu'il paraît, les prétentions du préfet. Pour y
réussir plus sûrement, il avait dressé au
haut de la ville, à la jonction des routes de Mamers et du Mans,
une sorte de barricade. Elle était élevée de deux à trois mètres et
formée d'un double rang de charrettesrenversées et de madriers.
L'intervalle était rempli de terre et de fumier ;
de larges gradins
servaient, suivant leur hauteur, à placer ou à abriter les défenseurs. Un seul passage de côté, tout juste suffisant pour une
voiture, établissait la communication. Le préfet se persuadait
(1) Communiqué du préfet, Journal d'Alençon, 26 janvier.
— 47 —
sans doute que les Allemands viendraient se heurter juste au
point qu'il aurait fortifié.
Quand il se vit obligé de remettre le commandement en des
mains plus habiles, si tant est qu'il l'ait abandonné tout-à-fait, il
n'en continua pas moins du reste à se montrer et à parader de
tous côtés. Monté sur un petit cheval prussien que les francstireurs lui avaient donné, on le voyait galopant sur le front des
troupes; allant de la Place d'Armes, où était le quartier général,
surle champ de bataille, il haranguaitles uns, excitait les autres,
et même, si l'on en croit un de ses amis, ramenait les fuyards
au feu à coups de cravache (1); puis il revenait surla place, montrait un éclat d'obus en s'écriant, cela ne fait pas plus de mal que
vous ne voyez. L'obus était-il, comme l'a prétendu le même ami,
tombé à ses pieds ? Peu importe. Il n'y avait guère qu'au général
de Malherbe qu'il n'adressât pas la parole. Il aurait été sans
doute assez mal venu à lui proposer ses idées. N'avait-il pas d'ailleurs, pour le faire à sa place, ses deux amis Lipowski et Tardy ?
Et c'était bien force ;
leur présence en effet était assez nécessaire
pour mettre le général au courant d'une situation qu'il avait
prise à l'improviste et qu'il connaissait à peine. Ainsi les deux
colonels, après avoir partagé la direction avec le préfet, la partagèrent avec le général, et ce n'est pas sans une sorte de vérité
que le Conseil municipal a dit : «
le combat a été dirigé par le
«
colonel Lipowski, commandant les francs-tireurs, et par le
«
colonel Tardy, commandant les mobilisés de l'Orne, » et que
le général Chanzy ne parle pas d'autre commandementque de
celui du général Lipowski.
Maintenant que nous avons essayé, inutilement peut-être, de
savoir à qui appartint le commandement, il est bon de rechercher quels furent nos défenseurs. Nous avons déjà eu occasion
d'en nommer la plus grande partie; c'étaient: 1° 1,500 francstireurs appartenant à des nationalités diverses, Français, Grecs,
Polonais, etc. 2° 500 francs-tireurs venus tin peu de partout;
d'Alençon, capitaine Huchet; des Basses-Pyrénées, capitaine
Oustalet ; de Fiers, capitaine Bougon ; des Hautes-Pyrénées, de
Tours, du Havre ;
il y fallait encore joindre quelques fuyards du
Mans. 3° Un escadron, peu complet, du 8e chasseurs. 4° Huit
(1) Lettre publiée par le Journal d'Alençon, 11 février 1871.
— 48 —
petites pièces de montagne, composant la 32e Laiterie (bis) d'artillerie de marine, et commandées par le capitaine Charner et le
lieutenant Lecuisinier.Ces troupes étaient sous les ordres immédiats du Colonel Lipowski et de son lieutenant La Cecilia, le
futur général de la commune, le futur commandant du fort d'Issy.
5° De plus, le colonel Tardy et le lieutenant colonel Raulin
commandaient sept bataillons des mobilisés de l'Orne. 6° Enfin
le colonel Bournel avait avec lui trois ou quatre bataillons des
mobilisés de la Mayenne. Les mobilisés de l'Orne avaient six
petites pièces de montagne.
Le tout ensemble pouvait former un effectif de sept à huit
mille hommes; mais quatre à cinq mille au plus prirent une
part sérieuse à la lutte. Les uns aAraient été envoyés dans la nuit,
ou le matin de bonne heure surles positions qu'ils devaient occuper; les autres attendaientsur la place, où était établi le quartier
général, et d'où ils devaient partir au fur et à mesure du besoin.
Voyons maintenant les forces prussiennes que nous avons eues
à combattre. Nos ennemis ont pris soin de nous renseigner très
exactement à cet égard (1)
J'ai déjà dit qu'après la bataille du Mans, le grand-duc de
Mecklenbourg avait reçu la mission de suivre les Français dans
la direction d'Alençon, avec le XIIIe corps d'armée ; mais dans ce
XIIIe corps lui-môme, il y a des distinctions à faire, à cause des
troupes qui, pour divers motifs, se trouvaient disséminées de
côtés et d'autres, dans un rayon de quelques lieues, à Ballon, à
Beaumont, à Mamers, à Fresnay, etc. Voici celles qui nous
furent directement opposées.
1° Une forte avant-garde de la 22° division, commandée par le
colonel de Foerster et composée du 83e régiment d'infanterie, des
2e et 3e escadrons du 13e hussards, de la 6e batterie lourde du
XIe corps d'armée et de la moitié de la 3e compagnie des pionniers de campagne.
2° Le 1er bataillon du 95e régiment d'infanterieet le 4e escadron
du 13e hussards, sous le major de Conring,
3° La 2e batterie légère et la 4e batterie lourde de la 22e division.
4° La 10e brigade de cavalerie, appartenant à la 4e division, avec
le 1er bataillon du 32e et le 2e bataillonà chevaldu XIe corps d'armée.
(1) La Guerrefranco-allemandepar le Grand État-Majorprussien, tome IV,
p. 861 et suivantes.
-49 -
J)* Trois escçtdrpns de la 12" brigade de cavalerie : à savoir, le
3e escadron du 7e régiment de cuirassiers, un escadron combiné
du 16e de uhlans et du 5e escadron du 13e de dragons, avec l'infanterie et l'artillerie affectées à cette brigade : 2e bataillon du
du 94e et deux batteries à cheval du XIe corps d'armée.
Toutes ces troupes étaient sous le commandement supérieur
du général de Bredpw.
Je ne parle pas ici de celles qui étaient dispersées dans des
localités peu éloignées et qu'il eût été facile, en cas de besoin, de.
rassembler en quelques heures.
Les premiers coups de canon se firententendre vers neufheures
et demie. Ils étaient encore assez lointains et étaient dus à un
petit combat engagé à Bethon, dit le document allemand; plus
exactement, crpyons-npus, à la butte de la Feuillère, à 6 kilomètres environ de la ville. Quarante-troisfrancs-tireurs, envoyés le
matin pour faire sauter un pont de chemin de fer, s'étaient embusqués dans le village, guettant le passage de l'ennemi. Il ne
tarda pas en effet à se montrer ; c'était l'avant-garde de la 22e
division. Les francs-tireurs l'accueillirent par une vive fusillade.
Ils étaient dans une bonne position ;
aussi lui firent-ils éprouver
quelques pertes; niais celui-ci étantnombreux et muni d'artillerie,
ils durent bientôt songer à la retraite. Ce petit engagement,
presque dû au hasard, pourrait, au besoin, servir à démontrer le
parti que nous aurions pu tirer d'une occupation plus forte de ces
bpnnes positions. Que serait-il advenusi, au lieud'y être quarante,
nous y avions été quatre ou cinq cents ? Sans dpute, nous n'auripns pas été viçtprieux; notre petit nombre ne nous le permettant pas; mais .npus aurions au mpins disputé plus Ipngtemps la,
victpire.
A partir de ce moment, la canonnade ne cessa plus jusqu'au
soir. Cependant les Allemands purent faire aumpins quatre kilomètres sans être sensiblement inquiétés, et l'on peut supppser
que le feu de leurs canons, dirigé contre quelques francs-tireurs
disséminés ou les grand'gardes se repliant sur leur centre/
avaient plutôt pour but de nous effrayer que de npus faire du
mal.
Jusqu'au hameau du Coudray, à deux kilpmètres de la ville,
ils purent dpnc crpire que perspnne ne leur disputerait le terrain;
mais arrivés là, nos coups les mirent à même de constater que
4.
- 50 -
nous n'étions pas décidés à nous rendre sans combat. C'étaient
encore les francs-tireurs qui leur envoyaient les premiers obus.
Les Prussiens établirent alors une batterie dans un champ à
gauche de la route ;
la nôtre était sur la route même, sur une
petite éminence, au hameau delà Détourbe, à quelques centaines
de mètres de la ville.
Lipowski averti par ses cavaliers qu'une forte colonne ennemie
s'avançait, avait disposé en cet endroit deux compagnies avec
deux pièces de canon. Ce fut là véritablement le commencement
de l'action. Il était onze heures et demie. Mais une aussi petite
troupe n'aurait pu arrêter les bataillons allemands. Mobiles et
francs-tireurs sont envoyés,sous les ordres du lieutenant-colonel
Raulin et du capitaine Oustalet, pour prêter main-forte à leurs
camarades. Les uns, prenant position à proximité de nos canons,
s'installent dans une maison appartenant à un sieur Leroux,
d'où ils peuvent à leur aise fusiller les Prussiens; ou bien, avec
les meubles de la maison, ils élèvent à la hâte, pour abriter leurs
feux, une demi-barricade barrant la moitié de la route. D'autres
se répandant sur les flancs des envahisseurs, depuis la route de
Mamers jusqu'à Hauteclair, se portent dans la ferme, s'embusquent dans les bois, s'abritent derrière les arbres, les haies, les
talus, et font éprouver à leurs adversaires des perles sensibles.
Pendant ce temps, nos batteries se sont renforcées et nos canons,
au nombre de huit, répondent énergiquementà ceux de l'ennemi.
Enfin celui-ci faiblit, il recule et se voit même obligé de reporter
ses batteries en arrière.
Le document allemand ne fait d'ailleurs que de confirmer, en
quelque sorte, cette bonne nouvelle.
«
En arrière d'Arçonnay,
«
dit-il, l'avant-garde de la 22e division se trouvait en présence
«
d'une résistance plus sérieuse. L'ennemi ne se bornait pas à
« montrer une infanterie nombreuse ; plusieurs pièces avanta-
« geusement placées répondaient à la batterie d'avant-garde, qui
«
avait pris position sur la droite de la route; le 1er bataillon
« occupe Arçonnay, où la colonne de droite (le corps du major
«
de Conring) arrivait de son côté vers trois heures et demie,
«
après une marche fort pénible par des chemins non frayés. Le
« gros avait débouché entre temps, et la 2e batterie légère était
« venue à côté de la batterie d'avant-garde.
»
(1)
(1) Grand État-Major prussien. T. IV, p. 861.
— 01 —
Si toutes nos troupes avaient valu nos francs-tireurs, nos mobiles, et même une notable partie de nos mobilisés, aurions-nous
été de force à continuer et à accentuer notre léger succès ? C'est
peu probable; ou plutôt, le contraire n'est que trop certain.
Mais, malheureusement, un certain nombre des nôtres donna
l'exemple de la plus déplorable défection. Des mobilisés de la
Mayenne, chargés en effet d'appuyer nos troupes, n'eurent pas
plutôt reçu dans leurs rangs quelques obus, que, sans môme
déchargerleurs armes, ils s'enfuirent en désordre, compromettant ainsi l'opération qu'ils venaient assurer.
C'est en vain que les francs-tireurs les accueillent à coups de
fusil;
il arrive ce qui arrive souvent dans les paniques :
la peur
ne laisse plus de place à la raison, et ces indignes soldats aiment
mieux périr d'une balle française que de s'exposer aux coups des
Prussiens. On prétend que plusieurs en effet furent victimes de
leur lâcheté.
J'ai été, comme bien d'autres, témoin des hésitations du
général et de son inquiétude en envoyant au feu des troupes si
peu sûres. Mieux valait encore pourtant en essayer que d'abandonner la partie ; et de nouveaux bataillons allèrent pour remplacer ceux qui fuyaient. Ils prirent hélas ! la fuite comme eux
et plus vite qu'eux.
Il suffisait d'ailleurs d'assister à leur départ pour prévoir ce
qu'ils feraient. A voir ces hommes cachant leurs armes dans la
neige, s'esquivant quand ils le pouvaient, se glissant le long du
chemin dans les maisons, se cachant dans les caves et dans les
greniers, il n'était pas difficile de conclure ce qu'on pouvait
attendre d'eux.
Quand on vint dire au général que des mobilisés cachaient
leurs fusils dans la neige, il ordonna de les surveiller et de les
empêcher. Bientôt on lui annonça que vingt au moins s'étaient
rendus coupables du même fait ; puis, un moment après, une
soixantaine. Il menaça d'en faire passer quelques-uns par les
armes. Cette juste punition aurait-elle rendu les autres plus
braves ?
Pour comble de malheur, ces hommes déjà si mal disposés
rencontrèrent, chemin faisant, six de nos pièces qui rentraient
en ville faute de munitions. Ils crurent naturellement à une
défaite et pensèrent qu'on les envoyait à la boucherie. Je ne sais
— 52 —
s'ils tirèrent un coup de fusil. Et il aurait fallu là des héros! Il
ne nous restait plus sur ce point que deux canons. Vers 4 heures
il y en eut un de démonté ; on eut quelque peine à le sauver.
A une certaine distance de là, de l'autre côté de la route du
Mans, avaient lieu d'autres engagements. Les Prussiens en effet,
maîtres de la route, jugeant une diversion utile, envoyèrent
quelques troupes dans la direction de Gesnes-le-Gandelain.
«
La 4e batterie lourde en particulier, prenant position auprès
«
du hameau de Saint-Biaise, canonnait de là, avec un succès
« marqué, les colonnes françaises en marche de la Chapelle sur
« Alençon »
(1). Disons plutôt, car on ne voit pas pourquoi des
colonnes françaises dans cette direction, que cette attaque avait
pour but et eut pour résultat de prendre entre deux feux et de
déloger des soldais français que les péripéties de la lutte avaient
éloignés de leur centre et forcés de se réfugier dans les bois
de Hauteclair.
Le succès de nos ennemis ne laissa pas toutefois que de leur
coûter des sacrifices sérieux. La Fosse aux Renards notamment
et les carrières de l'Hôpital, si propices à la guerre de partisans,
servirent de tombeau à bon nombre des leurs.
« Les Français cependant, continue le document prussien,
«
résistaient avec une opiniâtreté extrême et ne se renfermaient
«
point dans une défensive passive. Leurs feux de mousquetérie
«
infligeaient aux batteries des perles assez sensibles. Les
«
contingents du 83e, qui prenaient l'offensive vers quatre
a
heures, ne parvenaient pas à avoir entièrement raison de
«
l'adversaire »
(2).
Ainsi nous avions l'avantage. La nouvelle s'en répand promptement dans l'armée et dans la ville, enflamme les courages,
rend à tous l'espoir. Qui sait si nous n'échapperons pas cette
fois encore à l'invasion ? Mais c'était compter sans les renforts
dont nos ennemis pouvaient disposer, en quelque sorte, à leur
gré. Aussi, plutôt que de s'acharner à un combat inégal ou seulement douteux, alors qu'ils avaient entre les mains le succès
certain, ils aimèrent mieux retarder de quelques heures une
victoire qui ne pouvait leur échapper.
(1) Grand État-Major .prussien, p. 8C1.
(?) Idem.
— 53 —
«Le général'de Wittick après en avoir référé au Grand Duc,
«
ajournait donc au lendemain l'effort décisif et installait, la
«
22e division en cantonnements dans Bethon et aux alen-
«
tours. Pendant ce temps, el conformément à ses instructions,
«'• là 17e division avait pris des cantonnements sur la ligne
'« Assé-le-Boisne— Rouessé-Fontaine. Le Grand Duc établis-
«
sait sonquartier général à Beaumont.
»
(1)
Ces mesures de prudence étaient hélas ! bien superflues et le
lendemain ne devait exiger aucun effort de la part de nos
ennemis.
Mais nous n'avons vu jusqu'ici qu'un des côtés du combat.
A gauche de la route du Mans en effet, surla route de Mamers
et un peu sur celle d'Ancinnes, il s'étendait et s'était propagé
avec non moins'de A'ivacilé.
Dès le matin, nos francs-tireurs envoyés en éclaireurs pour
surveiller la forêt de Perseigne, avaient rencontré vers le Neufehàtel et Saint-Rémy-du-Plain la cavalerie et l'artillerie du
général de Bredow venant dé Mamers. Ils eurent à essuyer
quelques coups de eanon, qui ne leur firent pas grand mal ; mais
n'élant pas en force, ils durent se replier sïir Alençon. (2)
"Un-autre corps allemand,
«
la 10e brigade de cavalerie, que
<i là 4* division avait mise en marche par Ancinnes était arrivée
« vers 3 heures auprès de la Chaussée. Des contingentsennemis
«
(français) débouchant du chemin de fer dans cette direction,
«le 1" bataillon du 32e, qui accompagnait la brigade,
«
oecùpe la Chaussée et fait tête à l'attaque, avec l'aide de la
«
2e batterie à cheval du XIe corps. A la chute du jour, la bri-
«
gade se cantonnait à Ancinnes et à Louvigny, en maintenant
«
des avant-postes auprès de la Chaussée.
»
(3).
Une autre action, très vive et remplie d'épisodes intéressants,
s'engageait non loin de là. Ou plutôt, je suis porté à croire que
ce fut en partie la même, mais racontée sous une autre forme,
avec plus de détails et d'après les témoignagesfrançais.
Les Prussiens donc, dit M. de Neufville, afin de garder leur
droite contre toute surprise, n'avaient pas tardé à envoyer des
forces du village du Coudray vers celui de Saint-Gilles et le
(1) Grand Etat Major Allemand, p. 862.
(2) Idem p. 862.
(3) Idem.
-
bourg de Saint-Paterne; mais elles y avaient été vigoureusement
accueillies par une batterie établie au carrefour des routes de
Mamers et d'Ancinnes et par la fusillade des mobilisés de
l'Orne. Ces derniers, cachés derrière les murs, les haies et les
fossés, se virent bientôt en état, par la vigueur de leur défense,
de prendre l'offensive à leur tour et repoussèrent l'ennemi avec
énergie et entrain. Ce fut le plus beau moment de la journée,
celui où les Prussiens reculaient également sur la route du
Mans. Mais nos soldats ne tardèrent pas à être arrêtés dans leur
poursuite par le bruit du canon et de la fusillade qui se faisait
entendre derrière eux. C'était le général de Bredow qui arrivait.
Jusques-là, il n'avait pas éprouvé une grande résistance ; mais
vers 3 heures, en s'approchant de Saint-Paterne, il s'aperçut
qu'il lui faudrait pour s'en emparer, faire un effort énergique. (1) Cependant, plutôt que d'engager d'abord un combat
dans les rues et de nous laisser l'avantage d'une position plus
solide et mieux abritée, il préféra,suivantlacoutumeprussienne,
nous attaquer de loin et nous faire subir un commencement de
bombardement. Quelques instants lui suffirent pour établir une
batterie sur la route de Mamers, à 500 mètres du village. Et les
obus de pleuvoir sur les maisons ;
le presbytère en reçut six pour
sa part ;
le curé, absent pour les devoirs de son ministère,
trouva en rentrant murailles effondrées, mobilier brisé et dut
encore s'estimer heureux de sauver sa maison de l'incendie. Le
château fut également le point de mire de nombreux projectiles.
Enfin, quand les Allemandsjugèrent que l'accès leur était rendu
suffisamment facile, ils pénétrèrent dans le village ; mais non
sans y subir une rude résistance et des pertes sensibles. Nos
mobilisés, avec lesquels, disons-le à leur louange, étaient aussi
des mobilisés de la Mayenne, tiennent presque comme de vieilles
troupes :
ils tirent derrière les murs des jardins et par les fenêtres des maisons ;
forcés de reculer sur un point, ils vont se
reformer quelques pas plus loin et y
soutiennent un nouveau
choc ;
chaque rue devient le théâtre d'un combat ; mais le nombre doit l'emporter à la fin, et les nôtres sont forcés de reculer
peu-à-peu et d'abandonner le village.
En tout cas, « ce n'est, dit l'ouvrage allemand, qu'après un
(1) Grand Etat Major Allemand, p. 862.
— oo; —-
« engagement prolongé de mousqueterie, que le 2e bataillon du
«
94e prenait possession, à 5 heures, des Evants, de Saint-
« Paterne et de la ligne ferrée tracée en arrière. »
(I)
Dans ce mouvement de retraite qui s'effectue du côté de la
ville, c'est nous qui désormais allons avoir le désavantage de la
position, et les Prussiens, abrités derrière les murs et les maisons, peuvent nous fusiller à leur aise. Arrivés près de la bar-,
rière du chemin de fer, les mobilisés tentent cependant de se
reformer. Un moment, ils croient voir venir à eux des chasseurs
d'Afrique ; mais, ô malheur, ce sont des uhlans ;
c'est une attaque de plus à essuyer. Il faut céder
;
l'ennemi, en possession du
chemin d'Ozé, menace de les tourner.
Cependant, avant d'abandonner la place, plusieurs, enflammés
par la lutte, veulent apprendre aux Allemands ce que peut le
soldat français et engagent près de la maison du garde-barrière
,
et dans la maison même, un combat corps à corps, à la baïonnette, qui leur fait le plus grand honneur. Il est intéressant de
signaler un combat à la baïonnette entre Prussiens et mobilisés.
Ce petit engagement ne pouvait avoir d'autre résultat que de
prolonger un peu la défense.
Je viens de dire que les Prussiens avaient essayé de nous
tourner par le chemin d'Ozé ; mais là encore ils éprouvèrent une
résistance sérieuse. M. Sauron, chef de gare, à la tête de ses
employés et de quelques citoyens courageux, leur causa des
pertes sensibles, les arrêta et les obligea même à se replier.
Je n'ai rien dit de la garde nationale. On doit penser que son
rôle ne put être que fort effacé. Dès le commencement de l'action, un certain nombre de gardes nationaux, huit ou dix peutêtre, s'étaient joints comme volontaires aux mobilisés de l'Orne
ou aux francs-tireurs ;
le reste, ceux du moins qui étaient sous
les armes, au nombre de 300 ou 350, attendaient sur la place
l'ordre de partir. Dès midi, alors que les détonations commençaient à se rapprocher, plusieurs, M. de la Garenne entre autres,
;
demandèrent qu'on nous envoyât au feu pour défendre nos
foyers, moi-même; je fis signer autour de moi et je présentai
une pétition tendant à ce qu'au moins on fitappel aux plus zélés ;
mais le général, qui ne pouvait avoir une grande confiance dans
(1) Grand Etal Major Allemand, p. 862.
.......
- 56 —
là garde nalionale, déclara constamment qu'il la regardait comme
sa dernière réserve, et qu'il ne l'emploierait qu'en cas d'absolue
nécessité.
Pendant la journée, les Prussiens, non contents de~ combaltre
ceux qui leur faisaient la guerre, avaient jugé à propos de lancer
sur la ville vingt ou trente obus. 11 en tomba rue des Tisons,
rue du Pont-Neuf, sur l'église de Noire-Dame, rue du Bercail,
sur le bâtiment des bureaux de la Préfecture. Ils ne firent aucune
victime et ne causèrent que des dégâls matériels insignifiants.
Ce procédé, peu conforme, si je ne me trompe, aux usages de la
guerre était sans doute, dans la pensée de nos ennemis, comme
une sommation de se rendre, et devait avoir pour but d'effrayer'
la population. Si telle était leur intention, ils perdirent complètement leur poudre et leur temps. Quelques personnes cherchèrent à la vérité un abri dans leurs caves ; mais la plupart ne
firent qu'une médiocre attention aux projectiles qui tombaient de
loin en loin sur la ville :
l'esprit était ailleurs. Toutefois
,
le
maire donna ordre, pour le cas où des obus menaceraient la
mairie, de mettre en sûreté les papiers les plus précieux des
archives municipales et le général, supposant que la Place
d'Armes serait le principal point de mire, la fit évacuer par tout
ce qui n'était pas militaires. Ces précautions furent, par le fait,
inutiles.
La place d'ailleurs se dégarnissait de plus en plus. Il n'y restait guère que la garde nationale. Vers 4 heures, elle avait ellemême été envoyée aux extrémités de la ville, pour arrêter les
fuyards. Une centaine d'hommes notamment furent placés au
carrefour de la rue des Tisons et de la rue du Mans. Mesure
bien insuffisante, il en faut convenir. Que pouvaient faire cent
gardes nationaux contre le flot toujours croissant des fuyards ?
M. l'abbé Lesimple et M. Grollier, furent obligés d'exercer une
surveillance sévère à la porte de l'hospice, pour empêcher d'entrer les faux blessés. Bientôt, ce ne sont plus seulement les
mobilisés, ce sont les francs-tireurs eux-mêmes qui affluent. Ils
conservent des allures plus martiales, un ordre plus régulier ;
mais il n'en est pas moins vrai qu'eux aussi battent en retraite.
Le combat tirait à sa fin et l'issue n'en pouvait plus être douteuse. Du côté de Saint-Paterne, le champ de bataille louchait
aux pieinières maisons de la rue des Tisons ; du côté de la route
— 57 -
du Mans, il s'approchait également. D'ailleurs, ûné plus longue
résistance devait être sans profit, et probablement aussi, saris
honneur. Il devenait difficile d'exiger des troupes engagées de
nouveaux efforts, et il n'y avait plus personne pourles remplacer,
ou seulement pour les appuyer. Vers 5 heures, un conseil de
guerre décida que la retraite seraitordonnée. Ce fut aux francstireurs Lipowski, soutenus par les mobilisés de l'Orne, que fut
confié l'honneur de la protéger.
: Us s'acquittèrent de leur mission, surtout du côté de la route
du Mans, de la façon la plus brillante. Le brave capitaine Duchamp n'hésita pas à prendre position, avec sa compagnie de
francs-tireurs, derrière le cimetière de Montsort, à 300 mètres
seulement des batteries ennemies. Son audace lui coûta la vie ;
mais ses soldats et les autres compagnies, électrisés par son
exemple, s'élancèrent, à la baïonnette, avec une telle ardeur
qu'ils repoussèrent encore une fois les Allemands presque jusqu'à l'avenue de Hauteclair.
Malheureusementce succès était trop léger et trop tardit pour
influer sur le résultat de la journée. Nous n'avions plus qu'une
chose à faire : nous retirer sans tarder. Nous avons vu d'ailleurs
que les Prussiens étonnés par l'énergie de notre résistance;
avaient résolu d'en faire autant et de remettre la partie au
lendemain.
Il m'a été donné d'assister, de la barricade de la rue du Mans,
à la retraite de nos troupes. Quelle tristesse ! et comment oublier
jamais un pareil spectacle ? En face, un vaste incendie ;
c'est un
chantier de bois auquel les obus ont mis le feu ; à côté, les
mobilisés se pressant, se bousculant, se précipitant en foule
serrée par l'étroit passage ;
ils conservent pourtant encore leur
ordre de compagnies et leurs chefs ; de temps à autre, un brancard ou une voiture d'ambulance amène quelques blessés. Un
officier supérieur à cheval, immobile et silencieux, semble pré- '
sider à la triste opération. La barricade est gardée parlesfrancstireurs du Havre; mais à un moment donné, et comme par'
enchantement, elle se trouve vide de ses défenseurs. Pas un coup
de canon, pas un coup de fusil, à peine un éclat dé voix rompant
cette sorte de lugubre silence. Comment se fait-il que les Prussiens oublient de nous inquiéter dans un moment où il leur
serait si facile de le faire ? Ils craignent évidemment de s'appro-
-
— 58 —
cher de la ville à l'entrée de la nuit ; peut-être sont-ils peu.
renseignés sur nos moyens ; peut-être redoutent-ils quelque,
piège. Dans tous les cas, la barricade serait, pour un certain
temps, un excellent rempart contre eux. Pourquoi se trouve-t-elle
abandonnée ? Bientôt cependant, une cinquantaine de mobilisés
de bonne volonté, avec leur lieutenant, consentent à la garder,,
à condition qu'on les relèvera au bout d'une demi-heure. Heureusement, rien ne vint les troubler ; qu'auraient-ils fait ?
Du reste, ils ne restèrent pas seulement une demi-heure: on
les avait oubliés, et ils n'eurent que tout juste le temps de courir
après leur bataillon qui quittait la ville par un autre côté.
La mission qui nous avait été marquée, de garder la ville jusqu'au dimanche soir était accomplie avec conscience et honneur.-
Encore en ce momenl, un secours par la ligne du chemin de fer
de Caen eût pu entrer librement à Alençon; mais on savait,
depuis plusieurs heures que l'armée de Cherbourg avait reçu
contre-ordre et qu'il n'y avait de renforts à attendre d'aucun,
côté. Du moment donc qu'un retour offensifde notre petite armée
n'était pas possible pour le lendemain matin, il était urgent de
pourvoir à son salut. Grâce à la prolongation de la luttejusqu'au
soir, la retraite ne paraissait pas devoir être inquiétée immédia-
.
tement ; mais ce répit durerait-il seulement la nuit tout entière ?..
Nous ignorions que l'ennemi, de son côté, n'était pas pleinement
rassuré, et dans la crainte d'un renouvellement de la lutte avec
de nouvelles troupes, allait travaillerune partie de la nuit à élever
une barricade au Coudray.
Nos soldats furent dirigés sans retard par la route de Bretagne
sur Carrouges, afin d'y former, selon l'occurrence, une nouvelle
ligne de défense, ou de se rallier à l'armée de Chanzy du côté de
Laval. La garde nationale dépouille ses uniformes, rend ses-,
armes; et, fusils, munitions, effets d'habillement et d'équipement
sont chargés sur des charrettes et expédiés en lieu sûr, sous la
-,
protection de nos troupes ;
le poste de la Mairie et la police de la
ville sont confiés aux sapeurs-pompiers;
la barricade de la rue
du Mans, si compromettantepour nous, est démolie, non sans
quelque danger par M. Leguernay ;
enfin, pendant que le Conseil
municipal se déclare en permanence et se prépare à faire face aux
événements, le préfet quitte la ville avec les troupes,sans prévenir
personne, et c'est par hasard que le maire apprend son départ.
— 59 —
Maintenant que nos soldats sont en sûreté, et qu'il est bien
constaté que nous ne pouvons plus éviter le malheur de l'occupation, quelques membres du Conseil municipal sont d'avis
d'envoyer des parlementaires au quartier général allemand; mais
le maire trouve plus digne et plus convenable d'attendre à
l'Hôtel-de-Ville, et l'on se borne à faire placer sur la Mairie et
sur les clochers de Notre-Dame et de Montsort le drapeauparlementaire à côté du drapeau national.
Que faisaient les Allemands pendant ce temps-là? On peut être
sûr qu'ils ne perdaient pas leur temps. S'ils ne brûlaient pas
leurs morts, ainsi que le prétendait la crédulité publique, ils
avaient au moins à les enterrer. Ils avaient aussi des blessés àpanser et à évacuer sur d'autres lieux, des désordres à réparer.
Au bout de quelques heures, un autre genre de besogne, le pillage
et l'incendie, occupa leur activité. Les habitants de la route de
Mamers et du haut de la rue des Tisons s'en souviendront longtemps. Alors que chacun croyait pouvoir au moins jouir de la
paix de la nuit, tout à coup on entend un grand bruit ;
les patrouilles sillonnent les rues ;
lés soldatsfrappent aux portes, les
défoncent si l'on n'ouvre pas assez vite, menacent de leurs pistolets et de leurs injures quiconque eût osé cacher un militaire ou
faire une observation, et après avoir pris aux habitants ce qui
tente leur cupidité, ne craignent pas de mettre le feu sous leurs
yeux à leur mobilier. D'autres enduisent de pétrole enflammé
les portes et les fenêtres et écartent à coups de fusil les voisins
qui tentent de porter secours. Les détonations retentissent ;
la
lueur des incendies porte au loin l'effroi. Cinquante mille
bourrées brûlent à la fois à la briqueterie Papillon et Fouet ;
les
maisons Jarry, Pianchant et Delrue (1) sont dévorées par le feu;
le café Prudent est pillé. Triste prélude de l'envahissement qui
se prépare !
Ainsi donc, il n'y a plus à en douter ; Alençon va s'ajouter à
la longue liste des villes envahies! Au moins, peut-il se rendre
le témoignge qu'il n'a pas été au devant de sa honte et ne s'est:
pas servilement courbé devant la menace de quatre uhlans ou
les injonctions d'un officier subalterne. Ne peut-il pas aussi
s'étonner que sa petite armée, si peu nombreuse, si peu aguerrie,
(1) M. Delrue a raconté dans le Courrier de l'Ouest du 23 mars les
indignes traitements dont il fut l'objet.
.-=,
60 ~
si peu disciplinée, ait réussi à arrêter celle des Prussiens pendant une journée tout entière ? Deux causes ont. contribué à
nous obtenir ce résultat inespéré :
la valeur de nos défenseurs,
jl n'en faut pas douter; mais aussi l'ignorance de nos ennemis
sur l'état véritable de nos forces. De là leurs hésitations et leurs
lenteurs. Us possédaient des canons pour combattre de loin ;
ils
avaient de la discipline, de la solidité ; mais ils manquaient de
cet élan qui n'abandonne jamais le soldat français, pour peu
qu'il sache être lui-môme.
.
Les mêmes causes peuvent servir à expliquer le chiffre relativement restreint dé nos pertes. Il est certain que si, dès le matin,
les Prussiens avaient fait un effort vigoureux ;
si, même le soir,
ils avaient osé entrer dans la ville à la suite de nos troupes, ils
auraient obtenu plus sûrement et plus vite la victoire ; peut-être
auraient-ils réussi à nous envelopper et à faire tous nos
soldats prisonniers. Sans prétendre donner des chiffres exacts,
nos quatre ou cinq mille soldats eurent en face d'eux un nombre
d'ennemis qu'on peut évaluer à près du double. Et si ces huit
mille hommes n'avaient pas suffi, les Allemands pouvaient être
deux fois, trois fois plus nombreux.
:
Nos francs-tireurs cachés derrière les murs ou les haies, dans
les fossés ou dans les bois ; nos mobilisés déployés en tirailleurs,
donnaient peu de prises aux projectiles prussiens ; nos balles et
nos obus au contraire portaient bien plus sûrement dans les
masses plus compactes des ennemis. Aussi, tousles témoignages'
français sont-ils unanimes à déclarer que leurs pertes furent plus
considérables que les nôtres.
Le rapport officiel du colonel LipoAvski parle de 40 artilleurs
tués.ou blessés et de 120 francs-tireurs mis hors de combat ;
mais comme il n'est pas question ici des mobilisés, on doit estimer nos pertes à 300 hommes pour le moins.
Quant à ce qui concerne les Prussiens, les chiffres qu'on a
apportés sont si variables, pour ne pas dire si fantaisistes qu'il
est difficile d'asseoir sur ces évaluationsunjugement quelque peu
sûr ou seulement probable. On a parlé de cinq ou six cents tués
ou blessés ; on a parlé de neuf cents ; on a même parlé de quinze
cents ; mais que ne dit-on pas ? Dans un autre sens, si l'onpréférait s'en rapporter au témoignage officiel des Prussiens, il ne
resterait plus à leur compte qu'une perte de six tués et de dix-neuf
— 61 —
blessés, mais ces derniers chiffres sont si évidemmentau-dessous
de la vérité, que le mieux, à mon avis, est de n^en tenir aucun
compte (1).
Le nombre de nos morts fut d'une soixantaine sur le champ
de bataille ; mais il faut ajouter ceux qui allèrent mourir dans
les hôpitaux ou les ambulances, des suites de leurs blessures ou
de la petite vérole. Le lendemain du combat, M. Grollier avec
M. l'abbé Lesimple, sur la route du Mans, M. l'abbé Poirieravec
des infirmiers de l'hospice, sur celle de Saint-Paterne, allèrent,
non sans être inquiétés par les ennemis, à la recherche des
morts. Ils en recueillirent 30 d'un côté, 28 de l'autre et ramenèrent quelques blessés. Les jours suivants, M. Grollier et M. de
Neufville, avec les frères des écoles chrétiennes en retrouvèrent
encore quelques-uns
D'après le témoignage du préfet, notre artillerie'de l'Orne mérite une mention spéciale et paya largement sa dette de sang.
Des 70 hommes qu'elle comptait au commencement de l'action,
elle en aurait eu 35 de tués ou de blessés. On cite un marin de
passage qui, plusieurs fois, chargea, rechargea et tira tout seul
un de nos canons dont tous les servants avaient été mis hors de
combat (2). On doit encore signaler comme s'étant particulièrement distingué le capitaine Oustalet, pour sa charge à la baïonnette, et M. Charles Davoust, petit-neveu du maréchal Davoust
et simple soldat dans la garde nationale sédentaire. Il fut blessé
pendant l'action ;
la: croix de la légion d'honneur a été la récompense de son courage.
Du reste, à en croire le préfet, il faudrait donner des éloges à
tout le monde où à peu près. Que dis-je ? nous pourrionsinscrire
une victoire de plus dans nos fastes militaires. Son bulletin,
comparé avec la vérité, est tristement curieux.
«
Nous avons,
«
dit-il, battu les Prussiens en avant d'Alençon ; mais nous
«
n'avons pas cru prudent de conserver nos positions, étant afta-
« qués par trop de monde, et nous avons évacué la ville. Je suis
«
à Carrouges ;
je rallie mes troupes ;
je Tais me transporter de
« moi-même à Fiers.
»
(3)!
(1) Tableau statistique des perles des armées allemandes, d'après les
documents officiels allemands, p. 462.
;(2) Journal de Fiers du 18 janvier. Récit du Combat attribué an-Préfet
(3) Bulletin télégraphique du Préfet au Sous-Préfet de Domfront, 16 janvier, 8 h. 13 m. du soir.
— 62 —
Sa proclamation à ses troupes mérite également d'être citée
comme un modèle de vanité satisfaite.
«
.Citoyens,
.
«
Nous étions chargés de défendre Alençon. Malgré votre petit
«
nombre, vous attendiez avec impatience le moment de vous
« mesurer avec l'ennemi. Ce moment est venu plus tôt que vous
« ne l'espériez.
«
Le 15 ati matin, l'ennemi, qui n'avait pu être arrêté à Beau-
« mont, était signalé à quelques kilomètres de vos points de
«
concentration. Dès la veille, des mesures énergiques avaient
«
été prises pour défendre Alençon jusqu'à la dernière extrémité.
«
Les voies de communicationavaient été barricadées, afin que,
«
repoussés en pleine campagne, vous puissiez encore continuer
«
la lutte.
«
Conduits par des chefs habiles, j'ai nommé les colonels
«
Lipowski et Tardy, vous avez abordé sans hésitation l'ennemi,
«
qui vous attendait avec des forces supérieures aux nôtres. Sept
«
heures durant, vous l'avez tenu en échec ; vous lui avez fait
«
subir des pertes considérables; vous l'avez fait reculer ;
la
«
prudence de vos chefs vous a empêchés de le poursuivre. Mais
«
les Prussiens ne sont entrés dans Alençon que lorsque le der-
«
nier d'entre vous en a été sorti.
«
Ainsi une ville ouverte a pu être défendue au point de retar-
«' der efficacement la marche de l'ennemi. C'est d'un fécond
«
exemple pour les autres qui, ne comprenant pasla nécessitéde
« multiplier partout des obstacles, cherchent dans je ne sais
*
quelle préoccupation d'intérêts matériels et locaux un prétexte
« pour s'endormir dans les bras des vainqueurs.
«
Citoyens, au nom de la République, je vous remercie ! Il y a
« eu parmi vous quelques défaillances; mais que sont-elles au
«
milieu d'actes de bravoure si nombreux qu'il serait impossible
«
de tous les récompenser? Elles ne se justifient pas, sans doute ;
«
mais elles s'expliquent dans une certaine mesure par l'im-
«
pression que cause le canon sur ceux qui l'entendent gronder
« pour la première fois.
«
Citoyens, bientôtvous marcherez de nouveau à l'ennemi, et
«
j'ai la certitude que le Gouvernementet le Pays peuvent comp-
— 63 —
« 1er sur vous. J'en ai pour garants yotre amour du devoir, votre
«
honneur, le souci que vous avez de votre dignité et de votre
«
patriotisme.
«
Fiers, le 18 janvier 1871.
«
Le Préfet de l'Orne :
« ANTONIN DUBOST.
»
Si l'on n'avait que de tels documents, comment s'y prendrait on pour écrire l'histoire ?
H. BEAUDOUIN.
FIN
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