• L’intégration française

    L’intégration française

     

    Flèches de l’église Saint-Étienne de Caen, XIIIe siècle

    La politique du roi Philippe II Auguste fut de tout faire pour faciliter l’intégration du duché au domaine royal : il préserva les spécificités normandes. Les Établissements de Rouen, qui donnaient le monopole de la navigation sur la Seine pour les marchands rouennais, furent confirmés. Il conserva l’institution de l’Échiquier, cour judiciaire et administrative de la Normandie ainsi que la Coutume de Normandie. Il veilla à contrôler ses vassaux et laissa en place l’institution des vicomtes. Il installa des baillis français dans toute la région. Il rendit aux chapitres cathédraux le soin de choisir leur évêque.

    Le XIIIe siècle est le temps de la prospérité économique : profitant de la sécurité capétienne, les paysans défrichent, souvent encouragés par les seigneurs et le roi lui-même. Des bourgs et des villeneuves, dotés de privilèges, naissent un peu partout. L’agriculture est diversifiée : blé, orge, guède, garance, lin, chanvre, légumineuses…

    Les villes grandissent aussi : Rouen se dote d’une troisième muraille. Les foires attirent les marchands des régions voisines. Philippe IV Le Bel établit un arsenal dans le port de Rouen (le Clos aux galées). Les marchands rouennais exportaient le vin et le blé en Angleterre et revenaient avec de l’étain, de la laine et des draps.

    Cloître de l’abbaye du Mont-Saint-Michel

    Apogée du gothique

    Dans la première moitié du XIIIe siècle, l’architecture normande garde son originalité : élancement, tours-lanternes à base carrée (Rouen). Puis le gothique français s’impose. Les innovations font évoluer les édifices vers plus de clarté (suppression des tribunes, arcs-boutants). Les rois et les Grands financent les travaux : Philippe Auguste concourt à l’édification de la Merveille du Mont-Saint-Michel.

    Ferment de crise à la fin du XIIIe siècle

    Les troubles liés aux impôts se multiplient à Rouen : les émeutes de 1281 voient le maire assassiné et le pillage des maisons nobles. Devant l’insécurité, Philippe le Bel supprime la commune et retire aux marchands le monopole du commerce sur la Seine. Mais les Rouennais rachètent leurs libertés en 1294. Les mutations de la monnaie royale amoindrissent les revenus des rentes pour les bourgeois. Après la mort de Philippe le Bel, l’agitation reprend et le pouvoir doit concéder la Charte aux Normands (1315), puis la seconde charte aux Normands (1339) qui réaffirment l’autonomie normande en matière de justice et d’impôt. Les États de Normandie sont des assemblées convoquées pour régler les problèmes financiers du royaume. Elles deviennent pérennes et influentes.


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  • La Normandie dans la Guerre de Cent Ans (XIVe et XVe siècles)

    Cartes de la guerre de cent ans

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    A la suite de la déclaration faite par Edouard III d'Angleterre, affirmant ses prétentions au trône de France (1336), une certaine inquiétude se fait jour en Normandie.

     

    On entreprend des travaux au château de Caen.

     

    On envisage de participer, par un apport de navires, à l'expédition projetée contre l'Angleterre par le roi de France.

     

    Mais on ne va pas jusqu'à restaurer les enceintes fortifiées des villes (celle de Caen, notamment), négligées pendant le siècle de paix et de prospérité qui vient de s'écouler.

     

    En Angleterre, au contraire, les préparatifs guerriers sont menés de façon beaucoup plus systématique. Même, les mesures prises par Edouard III évoquent déjà la conception moderne de la « Nation armée ». Depuis la fin du xine siècle, jusqu'en 1334, une série d'Ordonnances royales édicté les mesures suivantes :

     

    Entraînement obligatoire au tir à l'arc.

     

    Organisation d'une infanterie composée d'archers et de couti- liers (armés de glaives courts).

     

    Création d'une sorte de service militaire obligatoire.

     

    Privilèges fiscaux pour les fabricants d'armes (arcs et flèches).

     

    Obligation d'apprendre aux enfants anglais la langue française « par quoy ils fussent plus aptes et plus coutumiers en leurs guerres ».

     

    D'autre part, un service de propagande et de renseignements prépare, de son côté, l'invasion du territoire français.

     

    Dans les mois qui précèdent le débarquement anglais de 1346, on arrête sur la côte du Calvados des moines anglais en « mission secrète » .

     

    En juillet 1346, on trouvera dans les bagages de l'armée anglaise un soi-disant accord entre le roi de France et les Normands en vue d'un débarquement en Angleterre ; document forgé pour les besoins de la cause et destiné à étayer la propagande Britannique.

     

    Celle-ci compte en Normandie un auxiliaire de haut rang : Godefroy d'Harcourt, seigneur de Saint-Sauveur-le- Vicomte, qui se trouvait alors en révolte contre son suzerain le roi de France.

     

     

    B) Le débarquement

    Conseillé sans doute par Godefroy d'Harcourt, Edouard III renonce à un projet de descente en Aquitaine et décide de toucher terre en Normandie.

     

    Le débarquement se fait à Saint- Vaast-la-Hougue du 12 au 18 juillet 1346 ; l'armée anglaise compte environ 19.400 hommes.

     

    Elle gagne Valognes, Carentan, Saint-Lo, Torigni-sur-Vire, Cau- mont. Le 25, elle est à Fontenay-le-Pesnel (aujourd'hui : canton de Tilly-sur-Seulles) et, le soir du même jour, à Rots (6 kms à l'Ouest de Caen). ,

     

    C) La bataille de Caen

    A l'annonce du débarquement anglais, le roi de France a envoyé en Normandie le connétable Raoul d'Eu, avec 4.000 hommes. Ces troupes s'installent au château dé Caen.

     

    Au cours de sa marche d'approche, Edouard III envoie à la garnison de Caen un ultimatum : la ville et le château doivent lui être livrés sans combat. Le moine porteur de ce message est jeté en prison par les Caennais. .

     

    Le 26 juillet au matin, l'armée anglaise se met en marche. Le prince héritier du trône (appelé Prince Noir) commande l'avant-garde.

     

    Il contourne la ville par le Nord et occupe l'Abbaye aux Dames, que les religieuses ont évacuée.

     

    Puis il pénètre dans le « Grand Bourg » — partie centrale de la ville, entourée de murs — par la porte au Berger.

     

    Le château, défendu par une nombreuse garnison, résiste. Alors les Anglais passent l'Odon — l'été, très sec, battait son plein, le niveau de la rivière était très bas — et envahissent le quartier, compris entre l'Odon et l'Orne, qu'on appelait l'Ile Saint- Jean. Le pont fortifié de Saint-Pierre, qui commandait le passage, finit d'ailleurs par capituler. Dans l'Ile Saint-Jean, les combats de rues font rage. Les habitants jettent, des fenêtres, sur les Anglais, des meubles, des pierres, des mortiers. Les Britanniques pillent et massacrent durant tout l'après- midi du 26, et encore le 27. Le butin est énorme : les stocks de drap de laine (quelque 40.000 pièces) sont enlevés, ainsi que des bijoux, des objets d'art. Le tout est transporté à Ouistreham où une flotte anglaise est à l'ancre.

     

    Le 31 juillet, Edouard III quitte Gaen. y laissant quinze cents hommes qui doivent poursuivre le siège du château, où se tiennent quelque trois cents hommes.

     

    Il campe, le soir, à Troarn, avec l'avant-garde, tandis qu'à cette heure là, l'arrière-garde sort à peine de Caen : il y a 13 kilomètres entré ces deux étapes ; on peut juger par là de la longueur qu'occupait, sur la route , la colonne anglaise.

     

    On voit qu'Edouard III devait; par Louviers, gagner la Seine, la franchir à Vernon, puis se diriger vers la Picardie où, sur le plateau

     

     

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    de Crécy, fut livrée la première grande bataille rangée de la guerre de Cent ans.

     

    Dans les premiers jours d'août, la garnison du château de Caen fit une sortie et extermina les quinze cents Anglais qui l'assiégeaient, et que les habitants de la ville prirent à revers.

     

    A '

     

    Cette première campagne Anglaise à travers la Normandie fut donc de courte durée ; mais elle laissa toute une partie de la province dévastée et fort appauvrie. Partout, en effet, les Anglais avaient brûlé et pillé sur leur passage.

     

    C'était le début d'une longue série d'épreuves qu'après un long siècle de paix et de prospérité, la guerre allait apporter à la Normandie.

     

    Texte

    L'expédition d'Edouard III en Normandie (juillet 1346)

    (,T. Froissart, Chroniques, livre I ; édit. S. Luce, t. HI, pp. 131 et suiv.).

     

    En ce temps [1346] arriva en Angleterre messire Godefroy de Harcourt, qui était banni de France, comme vous l'avez entendu. Il vint aussitôt vers le roi et la Reine qui se tenaient à Cartesée, à quatorze lieues de la cité de Londres, sur la rivière de Tamise ; ils reçurent très joyeusement ledit monseigneur Godefroy. Et le roi le retint à son hôtel et à son conseil, et lui assigna une grande et belle terre en Angleterre, afin qu'il pût sub- verfir à ses besoins et tenir son rang avec honneur.

     

    Bientôt après, le roi d?Angleterre mit à exécution une partie de son programme et fît venir dans le port de Southampton une grande quantité de navires, et assembler là nombre de gens d'armes et d'archers. Vers le jour de St Jean Baptiste, l'an 1346, il prit congé de madame la Reine, sa femme, et la recommanda à la garde du corfite de Kent, son cousin

     

    On mit à la voile, à la grâce de Dieu, du vent, et des nautonniers, et l'on réussit à se diriger vers la Gascogne, où le roi voulait aller (1). Mais le troisième jour après le départ, les vents devinrent contraires et repoussèrent la flotte sur les côtes de Cornouailles, où elle demeura six jours à l'ancre.

     

    A ce moment, le roi conçut un autre projet, à l'instigation- de monseigneur Godefroy de Harcourt qui lui conseilla, en vue d'un meilleur et plus grand succès, de prendre terre en Normandie. « Sire, dit alors au roi messire Godefroy, le pays de Normandie est un des plus gras du monde. Je vous promets, sur ma tête, que si vous y allez, vous prendrez terre comme vous le voudrez : nul ne viendra s'opposer à vous car les gens,

     

    (1) A ce moment, le duc Jean, dauphin de France, assiégeait la place forte d'Aiguillon, en Guyenne. Au dire de certaines chroniques anglaises, Edouard III voulait apporter du secours aux assiégés.

     

     

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    en Normandie, ne furent jamais armés. Toute la fleur de la chevalerie qui s'y trouvait, stationne maintenant devant Aiguillon, avec le duc. Vous trouverez en Normandie de grandes villes, qui ne sont point fermées, où vos gens trouveront tant de butin qu'ils en seront enrichis pour vingt ans. Votre navire pourra vous suivre tout près de Caen, en Normandie. Je vous prie de m'entendre et de faire confiance à mon projet. »

     

    Le roi d'Angleerre, qui était alors dans la fleur de la jeunesse, et qui ne songeait qu'à se battre, acquiesça volontiers aux paroles de monseigneur Godefroy de Harcourt, qu'il appelait son cousin. Il commanda à ses nautonniers de mettre le cap vers la Normandie... Et ils cinglèrent avec bon vent. Le navire du roi d'Angleterre arriva dans la presqu'île de Cotentin, à un certain port que l'on appelle la Hougue de St-Vast. La nouvelle se répandit à travers le pays, car les Anglais avaient touché terre. Des messagers s'en furent en hâte à Paris, envoyés vers le roi de France par les villes de Cotentin...

     

    Quand le navire du roi d'Angleterre eut touché terre en la Hogue, qu'il fut arrêté et à l'ancre sur la grève, le dit roi en sortit. En mettant pied à terre, il tomba si brutalement que le sang lui jaillit du nez. Les chevaliers qui se trouvaient près de lui le relevèrent et lui dirent : « Cher sire, revenez à votre nef et n'allez point à terre, car voici un mauvais présage pour vous. » A quoi le roi répartit aussitôt : « Pourquoi ? C'est au contraire un très bon signe, car la terre m'appelle. » Et ses gens furent tout réjouis de cette réponse.

     

    Le roi campa ce jour et la nuit, et encore le lendemain, jour et nuit, sur la grève. Pendant ce temps, on déchargea les navires des chevaux et de tout l'équipement.

     

    [Les jours suivants, des raids sont lancés sur B-arfleur et Cherbourg, dont le château résiste. Une flotte commandée par le comte de Huntingdon appuie les opérations terrestres, que dirige l'un des maréchaux, le comte de Warwick ; puis, de Cherbourg, les troupes de Warwick marchent sur Valognes, Monfebourg et Carentan.]

     

    Peu après que le roi d'Angleterre eut envoyé ses gens le long de la côte [vers Barfleur et Cherbourg], il partit de la Hougue Saint Vast; il prit pour guide de son armée messire Godefroy, qui connaissait bien la region. Ledit messire Godefroy, accompagné de cinq cents hommes d'armes et de deux mille archers, se sépara du corps d'armée royal et prit six à sept lieues d'avance sur celui-ci, brûlant et pillant le pays. Il trouva le pays gra& et regorgeant de toutes choses, les granges pleines de blé, les maisons pleines de toutes richesses, les bourgeois opulents, des chars et des charrettes, des chevaux, des porcs, des brebis et des moutons, et les plus beaux bœufs du monde que l'on engraisse dans ce pays (2), Ils en prirent à leur gré et les amenèrent à l'ost du roi. Mais ils ne remettaient pas aux gens du roi l'or et l'argent qu'ils trouvaient ; ils le gardaient pour eux. Ainsi chevauchait chaque jour messire Godefroy de Harcourt sur le flanc droit de la grande armée royale, et il revenait le soîr

     

    (2) Beaucoup d'autres témoignages contemporains, anglais ou français, insistent sur la richesse de la Normandie vers 1340.

     

     

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    avec sa troupe là où il savait que le roi devait loger ; parfois, il demeurait deux jours, lorsque le pays était riche et le ravitaillement abondant......

     

    Ainsi était brûlé et pressuré, volé, endommagé et pillé par les Anglais le bon et gras pays de Normandie. Des nouvelles et des plaintes en parvinrent au roi de France, qui se tenait en la ville de Paris : le roi d'Angleterre était arrivé en Cotentin et dévastait tout devant lui, à droite et à gauche.

     

    Vous avez ci-dessus entendu décrire Tordre de marche des Anglais, et comment ils chevauchaient en trois colonnes, les maréchaux [Warwick et Harcourt] à droite et à gauche, et le roi et le prince de Galles son fils au milieu. Le roi avançait à petites journées ; ils faisaient halte chaque jour entre neuf heures et midi. Le pays était si plantureux et si bien garni de vivres qu'ils n'avaient à faire de provisions que de vins. Il n'était donc pas surprenant que les gens du pays fussent effrayés car ils n'avaient auparavant jamais vu d'hommes d'armes et ignoraient tout de la guerre et des armées. Aussi s'enfuyaient-ils devant les Anglais dès que l'approche de ceux-ci était annoncée ; ils laissaient leurs maisons et leurs granges pleines, ne trouvant aucun moyen de sauver et de conserver leurs biens. Le roi d'Angleterre et le prince de Galles son fils avaient dans leur colonne environ 3.000 hommes d'armes, six mille archers et dix mille sergents de pied, non compris ceux qui chevauchaient avec les maréchaux.

     

    Le roi avançait comme je l'ai dit, brûlant et ravageant lé pays, sans que fût troublée l'ordonnance de son armée. Il ne se dirigea point vers la ville de Coutances, mais prit au contraire la direction de Saint Lo, grosse ville du Cotentin, qui était alors fort riche et marchande, trois fois plus que Coutances. En cette ville de Saint Lo en Cotentin, il y avait une grosse industrie de la draperie et nombre d'opulents, bourgeois. On trouva, demeurant en la ville, huit à neuf mille hommes, bourgeois ou artisans. Quand le roi d'Angleterre en approcha, il s'installa hors de la ville, ne voulant s'installer à l'intérieur, de crainte du feu. Il envoya ses hommes en avant et bientôt, la ville fut conquise sans grand mal, occupée et pillée ; aucun homme vivant ne pourrait imaginer l'importance du butin qui fut

     

    pris, et l'abondance des bons draps que trouvèrent là les Anglais sans

     

    parier des prises qui ne furent point connues.

     

    Quand le roi d'Angleterre et ses gens eurent fait leurs volontés de la bonne ville de Saint-Lo en Cotentin, ils la quittèrent et se dirigèrent vers une ville trois fois plus grande, qui s'appelle Caen, presque aussi importante que la ville de Rouen. La ville de Caen est pleine de 1res grande richesse, de draperie et de toutes marchandises, de riches bourgeois, de nobles dames et de très belles églises. En particulier, il y a deux grandes abbayes très opulentes, situées d'une et l'autre aux deux extrémités de la ville ; l'une d'elles s'appelle Saint-Etienne, l'autre, la Trinité. Dans cette des Dames, il doit y avoir cent vingt religieuses à plein© prébende. D'autre part, sur un des côtés de la ville s'élève le château, qui est un des plus beaux et des plus forts de la Normandie. Le capitaine en était alors u.n bon chevalier de Normandie, preu et hardi, qui s'appelait messïre Robert de Wari- gni ; il avait avec lui dans le château, bien trois cents Génois. Dane la ville même étaient les comtes d'Eu et de Guines, alors connétables de France, et le comte de Tancarville et grande foison de bonnes gens d'armes que le roi de France y a"vait envoyés pour garder la ville et le passage contre les Anglais. Le roi d'Angleterre avait bien entendu dire que la ville de Caen était très grande et riche et bien pourvue de bonnes gens d'armes. Il s'avan-

     

     

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    ça tranquillement vers elle et rassembla ses trois corps d'armée ; il passa la nuit dans le camp, à deux lieues de la ville. Sa flotte le suivait toujours en suivant la côte ; elle vint jusqu'à deux petites lieues de Caen, à une ville et dans un port que l'on appelle Ouistreham ; et de là, par la rivière d'Orne qui traverse Caen, il fit venir le comte de Huntingdon, qui commandait les navires.. .Le lendemain matin... les Anglais se levèrent tôt et se dirigèrent vers Caen. Le roi entendit la messe avant le lever du soleil, puis monta à cheval.

     

    [Ici se place, dans le récit de Froissart, un épisode dont la véracité est fort sujette à caution ; les habitants de haen seraient sortis à la rencontre des Anglais, pour les attaquer en rase campagne ; mais à la{ vue de l'armée britannique ils se seraient enfuis en désordre. Aucun des témoens anglais ne parle de cet incident.]

     

    Ainsi, le roi d'Angleterre s'empara de la bonne ville de Caen et en fut sire ; mais, à dire vrai, il y perdit beaucoup de ses gens. Car ceux qui étaient aux fenêtres et dans les greniers, sur les rues étroites, jetaient des pierres, des bancs, des mortiers ; le premier jour, ils tuèrent plus, de cinq cents Anglais : le roi d'Angleterre fut très courroucé quand on lui apprit, le soir, la vérité. Il ordonna que, le lendemain, tout fût passé au fil de l'épée et la ville brûlée. Mais messire Godefroy de Harcourt prévint l'exécution de cet ordre et dit : « Cher sire, veuillez réfréner un peu votre colère ; que vous suffise ce que vous avez déjà fait. Vous avez encore un grand voyage à faire avant d'atteindre Calais, que vous visez. Or il y a encore dans cette ville de Caen grande foison de gens qui se défendront dans leurs hôtels et leurs maisons, si on les attaque. Il pourrait vous en coûter beaucoup de vos gens avant que la ville fût épuisée, et votre projet de voyage s'en trouverait, atteint... » Le roi d'Angleterre, qui écoutait monseigneur Godefroy, reconnut qu'il disait vrai et que tout ce qu'il évoquait pourrait bien se produire. Il répondit : « Messire Godefroy, vous êtes notre maréchal. Donnez à ce sujet les ordres que bon vous semblera ; car je ne veux pas, en cette affaire, vous contrecarrer. »

     

    Messire Godefroy de Harcourt fit donc porter sa bannière de rue en rue et commanda, de par le roi, que nul ne! fut assez hardi, sous peine de pendaison, pour mettre le feu, tuer homme ou violer femme. Quand les habitants de Caen entendirent cette proclamation, ils furent rassurés et accueillirent dan,* leurs maisons des Anglais, sans leur faire mal. Certains ouvraient leurs coffres ou leurs écrins et abandonnaient tout ce qu'ils avaient, pourvu qu'ils eussent la vie sauve. Nonobstant cela et l'ordre du roi et du maréchal, il y eut dans la ville de Caen bien des vilains faits, des meurtres, pillages, vols, car il est inévitable que dans une armée comme celle que menait le roi d'Angleterre, il y ait pas mal de mauvais garçons, de malfaiteurs et de gens de petite conscience.

     

    Ainsi les Anglais furent-ils maîtres de la bonne ville de Caen pendant trois jours. Ils y conquirent et gagnèrent si riche butin qu'il défie l'imagination. Pendant ce .séjour, ils s'occupèrent de mettre en ordre leurs affaires et envoyèrent par barges et bateaux leurs acquisitions, draps, joyaux, vaisselle d'or et d'argen-t et toutes autres richesses dont ils avaient grande foison, par la rivière jusqu'à Ouistreham, à deux lieues de là, où se trouvaient leurs gros navires. Et, après en avoir délibéré, ils décidèrent de renvoyer en Angleterre" leur flotte, avec tout leur butin et leurs prisonniers...

     

    Ainsi le roi d'Angleterre arrangea-t-il ses affaires tandis qu'il était dans la ville de Caen, et renvoya sa flotte chargée d'or, de butin et de bons prî-

     

     

    — 5ft.—

     

    sonniers — parmi lesquels il y avait déjà plus de soixante chevaliers et trois cents riches bourgeois — , et avec cela, grande foison de saluts et d'amitiés à sa femme, la gentille reine d'Angleterre, madame Philippe (3),

     

    (3) La critique de ce texte de Froissart a été faite par H. Prentout (La prise de Caen par Edouard III en 134f>. Caen, 1904, in-8°). 11 apparaît que, dans le récit des événements de l'année 1346, Froissart suit pas à pas les Vrayes Chroniques de Jean le Bel. Or celui-ci est assez souvent contredit par des textes très dignes de foi — notamment, les récits de témoins oculaires anglais. Il se peut, par exemple, que le rôle prêté à Godefroy d'Harcourt soit quelque peu exagéré quant à son importance. Mais l'itinéraire indiqué pour la marche de l'armée anglaise est certainement exact. On notera aussi les nombreuses et emphatiques allusions à la prospérité de la Normandie.

     

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