•  Au temps de Charlemagne et des normands.

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    Au temps de Charlemagne et des normands.

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    AU TEMPS DE CHARLEMAGNE ET DES NORMANDS

     

    CE QU'ON VENDAIT

    ET COMMENT ON LE VENDAIT

    DANS LE BASSIN PARISIEN

    COURTE MÉDITATION SUR LE TRAVAIL HISTORIQUE

     

    Comme l'histoire change vite 1 Et quel bonheur de la voir ainsi se transformer rapidement, au cours d'une vie d'homme ; quel magnifique témoignage de sa vitalité 1 *

     

    II y a les grandes hypothèses, qui suscitent les grandes controverses. Dopsch contre Pirenne. Et bien d'autres. Ne sous-estimons pas leur fécon. dite. Elles cristallisent brusquement autour d'une idée simple toute un«i masse de faits en suspension dans un certain milieu. Elles sont le fail, elles ne peuvent être le fait que de puissants esprits. Elles qualifient, seules, les grands historiens. Et par leur simplicité, leur ampleur aussi ce qu'elles ont de saisissant et d'illuminant — elles viennent témoignei heureusement de la raison d'être de l'histoire et de ses architectes.

     

    Mais il y a aussi, à partir des grandes hypothèses, ce qu'on peut nommer le grignotage érudit. Ce lent, patient, méthodique, implacable travail des chercheurs qui ne se contentent pas de reprendre pour les mieux combiner les faits déjà connus — qui en trouvent d'autres : poui un peu je dirais, au risque de scandaliser, qui en inventent d'autres. Car le fait historique s'invente. Il n'est pas une donnée brute, que ^historien ramasse dans la poussière d'archives qui le recouvre. Il est vraiment (et pas seulement dans le domaine de l'histoire intellectuelle ou de l'histoire religieuse, mais dans celui de l'histoire économique et plus encore, peut- être, de l'histoire sociale) — une trouvaille. Sur un texte bref, sommaire, parfois connu depuis longtemps déjà, appliquer sa réflexion ; aux mots dô ce texte, qui semble sans mystère, donner par raisonnement, par réflexion, un sens nouveau ; montrer qu'ils permettent de déduire quelque chose à quoi personne encore n'a pensé : une petite chose, si l'on veut, mais qui, rejoignant vingt autres « petites choses » de même ordre, autorisera à construire une grande chose : travail d'historien. Qu'il ne faut pas se presser de dédaigner, en disant du bout des lèvres : travail d 'érudit. L'érudition mène à tout, à condition d'en sortir. La monographie est essentielle, à condition qu'elle puisse être nommée comme je l'ai fait un jour, à propos du beau livre de Pierre Caron sur les Massacres de Septembre — une « monographie générale ».

     

    Et donc voici, sans bruit ni fracas, bien modestement et sagement, que Mme Doehaerd, — à qui l'on doit cet excellent recueil sur les relations économiques des Méditerranéens avec les Nordiques dont elle a rassemblé, à Gênes, aux Archives, les précieux documents, — voici que Mme Doehaerd qui, hier déjà, paradoxalement, nous montrait dans Laon une « capitale du vin », bouscule bien tranquillement tout un petit Panthéon de vieilles idoles. Et, d'abord, achève de mettre en déroute, de son point de vue qui est le point de vue de l'histoire, la vieille théorie de l'économie domaniale fermée qu'un homme de ma génération a vue conquérir le monde, au temps de sa jeunesse, comme une grande et séduisante nouveauté, et puis qu'il a vu contester, battre en brèche, circonscrire, démolir ; mais elle est si frappante, si séduisante, elle fournit, aux hommes qui veulent pouvoir substituer à l'infinie variété des laits la simplicité simpliste de la doctrine, de telles facilités, que, pendant bien longtemps encore, les économistes refuseront sans doute de l'abandonner, ou ne le feront que du bout des lèvres, à regret.

    Mais ce n^est pas là l'essentiel de l'apport de Mme Doehaerd. Par le rapprochement de quelques rares textes, de misérables textes, dont aucun ne dit rien par lui-même et qui, tous pour dire le peu qu'ils disent, doivent être interrogés avec une patience, une ingéniosité de juge d'instruction (si tant est que les juges d'instruction puissent passer, hélas ! pour doués spécialement de telles vertus), elle reconstitue un monde, à Tâtonnement, j^imagine, de lecteurs habitués à considérer que, si « la nuit du moyen âge » fut épaisse, celle du pré-moyen âge (si j'ose employer ces affreuses façons de dire, en me donnant un démenti à moi-même), celle du pré-moyen âge fut noire, d'une noirceur d'encre. Au ra6 siècle, au x« siècle, cette mer du Nord animée ? ces ports actifs ? ces fleuves de France, notre Seine, notre Marne, sillonnés de barques et de bateaux ? cette production vinicole, paradoxale par son importance, dans ces contrées qui presque toutes se sont vu déserter par la vigne ? ces provisions de vin si abondantes qu'il semble bien, maintenant — ce sont les con. elusions de Mme Doehaerd — que les grandes foires drapières du xrr3 siècle, qu'il s'agisse de Saint-Denis ou des foires de Champagne, aient d'abord été des foires du vin ? Et, brochant sur le tout, ces Normands dont nous ne savons rien, mais dont il faut bien maintenant deviner qu'ils furent, à leur façon, d'actifs commerçants... Comme tout cela nous met loin des vulgates commodes ; comme tout cela nous met en appétit de savoir ; comme tout cela nous réconforte en nous secouant ! Mais l'hypothèse n'est pas une sclérose. Laissons les ignorants dresser contre elle des réquisitoires qui ne prouvent qu'une chose, c'est qu'ils ignorent tout de notre travail, qu'ils prennent X... ou "Y... pour des historiens, et le ronron académique pour le ronron de la découverte. Mais nous, réjouissons-nous. Chaque fois que, sous les dents de ces « grignoteurs » dont je parlais tout à l'heure, quelque chose s'effrite des vieilles constructions qui ont abrité notre enfance et même notre âge mûr, félicitons-nous. La bête n'est pas morte. Elle change de peau, une fois de plus — donc elle vit.

    Je rappelais l'autre jour que, terminant le compte rendu enthousiaste et lucide qu'il consacrait aux Caractères originaux de Marc Bloch, notre cher Jules Sion formulait ce vœu que, dans vingt ans, il ne reste plus rien de ce beau livre. Il faut être historien pour comprendre le prix d'un pareil éloge. G est l'éloge suprême. Plaise aux barbouilleurs de papier qui, sans rien comprendre à notre travail, parlent de nous à tort et à travers, s'admirent comme Mascarille (peste ! où mon esprit va-t-il trouver tant de gentillesses ?) et proclament à longueur de journée la faillite de l'Histoire ; plaise à ces plumitifs bourdonnants de croire leurs écrits voués à l'immortalité ! Nous, nous apprécions la valeur d'un grand livre à la rapidité avec laquelle toutes nos troupes de mine et de sape achèvent de le démanteler. Et quand, sur ses ruines, ils ont accumulé les matériaux que leur sagacité leur permet d'extraire, parfois, d'un quasi-néant : alors le temps revient d'un grand livre nouveau. une grande hypothèse. Qui durera vingt ans, mais qui est nécessaire. Pour rythmer notre marche sur la route sans fin;

    Lucien Febvre.

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    L'époque carolingienne fut-elle ou non une période de renaissance commerciale ? Question débattue, naguère, entre Pirenne et Dopsch1, tous les deux installés sur des positions diamétralement opposées. Nous n'avons pas le moins du monde envie de ranimer ce débat. Peut-être d'ailleurs, dans l'état actuel des sources, est-il sans issue.

    C'est que nous ne possédons, pour ainsi dire, aucune donnée quantitative qui nous permette d'évaluer l'importance du trafic carolingien — et d'en mesurer les vicissitudes. Nous devons nous satisfaire d'aspects qualitatifs, et c'est seulement à partir de semblables aspects, et de leurs transformations, que nous pouvons tenter de faire des conjectures sur les transformations quantitatives qui les ont provoqués. Or, il est bien vrai qu'entre le ve et le xe siècle le commerce de l'Europe occidentale n'a pas -enregistré de modifications qualitatives fondamentales ; au cours de la période mérovingienne comme au cours de la période carolingienne, il se meut dans le cadre d'une économie essentiellement agraire. Il est donc difficile pour nous de saisir la courbe évolutive absolue de son volume ; à preuve la divergence profonde entre les historiens cités plus haut.

    Il est indubitable qu'au cours de cette longue période certaines contrées se sont éveillées aux échanges, tandis que d'autres s'en trouvaient détournées. Aux historiens de déterminer ces contrées, et de conjecturer les raisons qui ont déterminé le sens de leur évolution. Mais cette connaissance plus approfondie ne permettra jamais, cependant, d'établir l'importance numérique de cette évolution, ni, à plus forte raison, d'en, percevoir les variations au cours du temps.

    Quelques fragments de phrases puisés dans un > capitulaire, un diplôme, une vie de saint ou dans l'œuvre d'un annaliste ; quelques mots se glissant, par hasard, sous la plume d'un auteur, sur un sujet qui ne l'intéresse point : voilà la documentation, toute la documentation dont

    i. H. Pirennb, Mahomet et Charlemagne, Paris, 19З7 ; — A. Dopsch, Natural- wirtichaft und Geldwirtschaft in den Weltgeschichte, Vienne, iç3o.

    nous disposons ; elle nous oblige à recréer souvent des traits essentiels h partir de détails incomplets ou imprécis. Essayons. 

    A l'époque carolingienne, c'était dans un Océan relativement fort fréquenté (notamment dans sa partie septentrionale) que se jetait la Seine. Au ixe siècle, deux ports sont signalés sur la côte française de la Manche. Quentovic, à l'embouchure de la Canche, siège d'un trafic notable1, est considéré comme tonlieu d'empire, c'est-àjdire que les impôts indirects sur le transport et sur la vente des marchandises y sont prélevés par des agents particuliers de l'empereur et au profit de son trésor2. Boulogne, ancienne fortification romaine, est le second de ces ports : Charlematgne l'avait fait reconstruire pour y attacher une flotte de guerre3. Des mesures avaient été prises en vue de favoriser la navigation dans ces parages. Des phares étaient installés le long de la côte, des custodes litoris y montaient la garde en certains points* : les Annales d'Éginard rapportent qu'en 820 les garde-côte de l'embouchure de la Seine, plus heureux que ceux de la Flandre, auraient dispersé des navires normands5. Divers textes font d'ailleurs allusion aux marchands qui circulaient régulièrement entre les côtes d'Angleterre et les côtes de l'Empire, au ix8 siècle6.

    Plus au Nord on trouvait le célèbre port de Duurstede, principal point de concentration du commerce frison sur le delta du Rhin et de la

    1. 0. Fengler, « Quentovic, seine maritime Bedeutung tinter Merovingern en Karolingern », dans H. G. В., 1907. а. V. le diplôme de Louis le Pieux iQM. G. H., Formulae, p. 3i5) daté de 828 : il accorde des exemptions d'impôts à certains marchands — mais ceux-ci n'en jouiront pas aux tonlieux qui sont ad opus nostrum : Quentovic, Duurstede, les Cluses. Les Gesta abbatum Fontanellensium mentionnent un certain Gervoldus avec le titre de procurator : sa fonction consistait à pré- Sever des impôts dans le port de Quentovic, à la fin du VIIIe siècle (éd. LcEWEtf- feu), M. G. SS. R. G., 18*6, ip. 46) ; la Vita Sancti Wandregisili cite entre 858» et 868 un ilïuster vir Grippo qui devait exercer la même charge avec le titre de prefecius emporii Quentovici (AA. SS. 0. S. В., II, ip. 554). Un passage de la Trans- latio de saint Benoît, écrite au IXe siècle pať Adrévalde de Fleury, montre que la fonction de ces personnages consistait sinon à percevoir directement, du moins à rassembler le produit des impôts indirects sur les échanges, ce qui leur conférait en même temps l'administration et le contrôle du commerce de Ha localité et la juridiction en matière d'impôts. Le récit d'Adrévalde se rapporte au cas suivant ,: un navire chargé de sel appartenant à l'abbaye de Fleury remontait la Loire, arrivé à Orléans, a telonariis civitatis detenta, rector navis vectigalis gratia quaes- tioni subjicitur. Leberalitatem regiam, illo reclamante contempta regali auctori- taie exactor navem onustam sale fisco subjicit, atque cum caeteris navibus pro- curatori portus commitit (éd. Db Certain, p. 46). 3. Annales Regni Francorum, éd. Kurzb, SS. R. G. in U. S., Hanovre, i8g5, p. i3>5, sub anno Su. h. La Vita Sancti Wandregisili rapporte que le Grippo, cité à la note 2, aperçut sur la côte, alors qu'il revenait d'Angleterre, pharum ad cursum navigantium, olim ibidem aedificatum ; il devait ее situer non loin de l'abbaye de Saint- Wan- drille. 5. V. Annales Regni Francorum, o. c, M. G. SS. Bi. G. in U. S., anno 8ao, p. i53. Sur l'organisation défensive de Ha côte, v. J. Dhootjt, Het ontstaan van het Vorstendom Vlaanderen, R. В. РН. H, XXI, «Q4a, р. 565-573. б. V. la célèbre lettre du roi de Murcie Offa à Charlemagne (M. G. H. Epis- tolae Karolini aevi, t. II, p. i45) ; de même une lettre d'Alcuin (ibid., p. За) ; c'est à la première dte ces lettres que font sans doute allusion les Gesta abbatum, Vontanellensium, o. c, ip. 46 ; sur 3a date des Gesta, v. Рн. Grierson, Notes and documents, dans E. H. R., ig4o. Sur les relations entre l'Empire et l'Angleterre : Рн. Grierson, « The relations between England and Ylaanders before the Norman conquest >, R. Hist. Soc, 4° s., Y, аЗ, Londres, ig4r.

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    Meuse1. Mais au xe siècle, Tiel dut remplacer Duurstede détruit par les Normands2. Et Quentovic, également saccagé à plusieurs reprises3, vit apparaître des ports concurrents, notamment Montreuil-sur-Mer et Wissant4. C'est Montreuil que le comte de Flandre Arnulf disputait en 9З9 à Hélouin ; il enviait, nous dit Richer, les bénéfices importants qu'y procuraient les importations maritimes5. Boulogne avait conservé quelque importance6.

     

    Vers le Sud, une certaine activité régnait également sur les côtes de la France atlantique : des navires bretons et anglais abordaient à Noirmouy tiers, au ixe siècle ; il semble qu'ils s'y livraient au commerce du sel et du plomb7. L'embouchure de la Loire se trouvait en communication avec la Garonne : des bateaux chargés d'huile et venant de Bordeaux y sont mentionnés au ixe siècle8. A la même époque, des flotilles arabes se montraient dans le golfe de Gascogne9.

     

    Or, la région de la Seine entretenait des relations par eau et par terre avec ces côtes, ces ports et ces mers. Plusieurs récits hagiographiques, écrits au vnr3 et au ixe siècle, font allusion à des bateaux sortis de la Seine en vue d'atteindre l'Angleterre, l'Irlande, la Frise ou la Saxe10. Rappelons aussi, pour rester dans ces parages septentrionaux, que les tenanciers du domaine de Saint-Germain-les-Prés, près de Paris, bénéficiaient d'exemptions d'impôts à Duurstede et à Maestricht11.

     

    Une route reliait Paris à Quentovic12 ; les hommes de Saint-Germain effectuaient annuellement des corvées de transport par char dans ce port, où ils étaient, tout comme à Amiens, exemptés de tonlieux13. Une autre route reliait, per litus maris, l'embouchure de la Somme à Rouen14. On sait par ailleurs que des échanges de denrées se réalisaient entre des domaines situés à l'embouchure de la Seine et dans le pagus de Sens d'une part — et, d'autre part, l'Angleterre, les1 po-gi de Térouanne et de Boulogne, les domaines de Saint-Josse-sur-Mer et de Corbie15.

     

    Vers le Sud, la liaison existait notamment avec la vallée de la Loire. Les hommes de Saint-Germain transportaient des denrées à Orléans,

     

    I. J. H. Holwerda, Dorestad in onze vroegste Middeleeuwen, Leiden, 1926* 3. Première mention en 896, v. J. H. Niermeyeh, De Wording van onze Volkshuishouding, La. Haye, 19,46, p. 38. — et dans Flodoard, Historia Remensis Ecclesiae, dans M. G. H. SS.f t. i3, p. 6З1, sub anno 966. 3. Sur l'espoir de relèvement de Quentovic au Xe siècle, v. L. Levuxaw, Etudes sur l'abbaye de Saint-Denis, dans B. E. Gh., t. 91, 19З0, .p. 37. Д. Richer, Histoire de France, éd. R. Latouchb, t. I, p. i45. 5. Grierson, о. с, p. 80. 6. Richer, о. с, р. 1З7. 7. Vita Sancti Philiberti, éd. 'R. Poupardw, Paris, 1906, p. 17, 54, 55. 8. Ibidem, p. 16. 9. Ibidem, ip. 66. 10. V. par ex. dans la Vita Sancti Wulfrani episcopi Senonensis rédigée à la fin du VIIIe siècle ; l'auteur dit en parlant de Saint-Wandrille : praeparatis omnibus quae navigantibus esse videbantur necessaria in portu ejusdem monasterii naoim adscendit et per fluvium magnum Sequanae mare introiens Galium navigavit Frisiam <AA. ISS. 0. S. В., t. Ш, ,p. 358). II. M. G. H. D. D., t. I, p. 171, diplôme daté de Herstal, 37 mars 770. is. AA. SS. 0. S. В., t. I, p. loîa, Vita Sanái Theodoři episcopi Cantuar entit feiècle)r. i3. M. G. H. DD., t. I, p. 171 — et B. GxmRARD, Polyptiqae d'Irminon, p. 781. i4- Annales Einhardi, о. с, p. 110. i5. V. p. 377.

    CE QU'ON VENDAIT DANS LE BASSIN PARISIEN 271

     

    Blois ert Angers1. Le récit de la translation de saint Germain rapporte, au ixe siècle, le cas d'un marchand qui conduisait du sel d'Orléans^ vers Paris2. La Loire constituait naturellement une voie de pénétration pour le sel exploité à son embouchure : il résulte du récit d'Adrevalde de Fleury qu'un tonlieu important était perçu sur cette marchandise à Orléans3. C'est probablement en vue de favoriser son approvisionnement en sel que Louis le Pieux accorda à l'abbaye de Saint-Germain d'Àuxerre liberté complète de transaction pour quatre de ses bateaux naviguant sur la Loire* ; Carloman lui cédait d'ailleurs, en 884, une saline à l'embouchure de ce fleuve5.

     

    Si l'on se tourne maintenant vers le bassin de la Seine et de ses affluents, on y constate l'existence d'un notable équipement de transport. Rien d'étonnant si les sources qui nous renseignent à ce propos sont, po\ir la plupart, relatives aux invasions normandes et aux guerres des ixe et xe siècles. Guerre et commerce ont des besoins communs : ces deux activités mettent pareillement des hommes et des produits ^en mouvement — et donc requièrent des moyens de transport. П va de soi que la guerre se sert toujours des moyens dont on use normalement en temps de paix : elle dispose de l'équipement de transport et de commerce existant sur le théâtre de ses opérations6.

     

    Or, la pénétration brusque des flottes normandes dans la Seine et dans ses affluents — flottes dont certaines ont compté jusqu'à deux cents navires — • prouve que ces rivières étaient entretenues pour une large navigation7. Les mentions concernant la navigation sur ces fleuves ne sont d'ailleurs pas rares. Au ixe siècle, les Gesťa àbbatum Fontanellensium font allusion à l'abondance des navires qui sillonnent la Seine8. On sait que les domaines des environs y possédaient couramment un ou plusieurs bateaux qui servaient aussi bien au transport qu'à la guerre9. Des embar-

     

    i. Polyptique d'Irminon, ip. 97, 1З3, II, <p. ť.19. а. AA. SS., mai VI, p. 781, Historia translations S. Germani de Pratis, (IXe siècle) : contigit ut idem mercator de urbe Aurelianense, tam cum suo asetto quant cum ipso adolescente, sale anustus, Parisius adveniret. Ubi negotiatione peracta, dum ad propria remearet... 3. V p. 2i6q, n. 2. Sur la persistance de oe trafic du sel 'beaucoup plus tard., v. « Nantes port du sel », dans Annales d'Histoire Économique et Sociale, t. Vflill, 19З6, p. iuo. Д. D. В., t. VI, p. №8. 5. D. В., t. IX, p. 436. б. Cf. par exemple deux cas d'utilisation des flottes frisonnes par Charlemagne, pour des fins militaires, en 789 et en 791, contre les Wiltes et les Avars, dans J. F. Niermetèr, De Wording van onze Volkshuishouding, о. с, p. 26. 7. En 845, les Normands voguent vers Paris avec iao navires (Ann. Bert., p. a5). En 861 et en 866, ils remontent la Seine, avec plus de aoo navires (ibid,, p. 55 et 80), en 876, avec plus de 100 barques (ibid., p. i3a). Sur les invasions normandes dans la région, v. F. JLot, La grande invasion normande de 856-862 (Bibl École des Chartes, t. 6g, 1908, p. 5 et sjiiv.) ; « Une année du regrn© de Charles le Chauve » (Le Moyen Age, t. XV, кдоз, р. З99 et suiv.). Voir aussi du même : « Mélanges carolingiens : le Pont de Pitres » (Lé Moyen Age, t. 18, igo5, p. 1 et suiv.) ; — Un monastère inconnu pillé par les Normands (Bibl. Ec. dei Chartes, t. 70, 1909, p. 433 et suiv.) ; La Loire, l'Aquitaine et la Seine, de 862 à 866 (ibid., t. 76, 1915) ; — Les tributs aux Normandi (ibid., t. 85, iga4). 8. О. с, ip. 14. 9. Loup de Ferrières, Correspondance, éd. L. Letillaw dans Classiques dm l'Histoire de France, Paris, 1937, t. П, noe 106, 107, m. Rappelons également les nombreux diplômes accordant aux abbayes de la région des privilèges pour leurs barques naviguant sur les fleuves en question, notamment ceJui de Charles le Chauve pour Saint-Germain-des-Prés, en 846 ; v. Poupardin, Recueil des chartes de Saint-Germain-des-Pris, p. 61, n° 3a.

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    cations s'y trouvaient concentrées en des points déterminés : Nithard raconte qu'en 84i les troupes de Charles le -Chauve, revenues en hâte de la région de la Loire, réussirent, en avril, à passer la Seine grâce $ vingt- huit bateaux venus de Rouen ; en septembre, elles la traversaient sur vingt bateaux ancrés à Saint-Denis1. Il semble résulter de son récit que la navigation se trouvait organisée sur le fleuve avec des postes de surveillance disposés de place en place2. Au xe siècle, mentions de même nature ; en 926, l'armée de Robert de Fort, en lutte contre les Normands de Normandie, attendait anxieusement des bateaux de Paris3 — et Flo- doard rapporte qu'en 0Д2 Hugues -le Grand s'était emparé de la flottille de l'Oise*. L'entretien et l'utilisation de ces bateaux nécessitaient des aménagements particuliers : /les rives de ces fleuves étaient donc le siège de très nombreux embarcadères ou ports5, certains d'une telle envergure que les troupes normandes y pouvaient hiverner6.

    Communications par eau ; mais il semble que le pays n'était pas non plus dépourvu de routes : la liaison par voie de terre existait notamment entre Paris et Quentovic, Paris et Orléans, l'embouchure de la Somme et Rouen : les nombreux ponts qui existaient alors sur la Seine, la Marne, l'Oise, l'Isère et l'Yonne le prouvent à suffisance. Certains ponts de la Seine, notamment ceux d'Auvers et de Charenton, de Paris, de Pitres étaient construits en pierres ; ils servirent aux Francs de points d'appui fortifiés dans leur résistance contre les Normands7. L'auteur des Miracula sancti Philiberti rapporte d'ailleurs, à propos de la région, que de nombreux navires la fréquentent, et que, de plus, rien n'y manque de ce qui s'obtient par voie de terre : Compendia navium, commercia plu- rimum, nihil indigens quidquid ministratur vehiculis pedestribus et equinis9.

     

     

    II

     

    Faisons un pas de plus. Est-il possible de montrer que cet équipement desservait des échanges commerciaux ? Sans doute.

     

    Remarquons d'abord que les emplacements appelés portus étaient des sièges de perception d'impôts sur le transport et la vente des marchandises9. Un diplôme de Charlemagne, interpolé dans la première moitié du xe siècle et accordant à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés la villa de Marolles-sur-Seine, dans le Mélentois, dit expressément que, seul,

     

    1. Ed. Ch. Laver, dans Classiques de l'Histoire de France, Paris, iga6, p. 67 et 9З. 2. Ibid., p. ф. 3. Flodoakd, Annales, éd. Ph. Latjer, dans la collection Picard, Paris, 1910, p. 38 : ubi propinquiorem castrorum obsidionem procrastinantibus Francis et de die in diem differentibus, naves a Parisio venturas expectando. 4. Ibid., p. 85. 5. Cf. par ex. le cas de Pontoise, Tardif, Monuments historiques, p. мб, n° 191 ; diplôme de Charles le Chauve, ďu 29 janvier 864 ; la Vita Sancti Filiberti, op. cit. p. 10, mentionne l'existence d'un portus вит l'Oise. La Vita Sancti Wul- franni, ÂA. SS. 0. S. В., t. III, p. 358, mentionne un portus appartenant à l'abbaye de Fontenelle, situé sur la Seine. 6. Ann. Bert., année 861 : quos imminens hiems ingredi mare prohibuit, unde se per singulos portus ab ipso loco usque Parisius šecundum suas sodalitates divi- dunt, о. с, p. 55. 7 Lot, Le pont de Pitres, о. с 8. Éd. R. Pouparbin, о. с, p. 6. g. Voir les formules d'exemption de tonlieux de l'époque.

     

    CE QU'ON VENDAIT DANS LE BASSIN PARISIEN 27З

     

    Saint-Germain jouirait dorénavant des revenus du rouage et du tonlieu prélevés dans ce port. Id portům quod est inter pagum Senonicum et Meledunensem... utraque ripa fluminis Sequanae... ita ut nullus inibi portům habere nisi iam dicta potestas almi Germani, neque teloneum aut rotaticum*... Il en est de même de plusieurs localités riveraines : citons, par exemple, le cas très typique de Compiègne3. Rouen enfin apparaît, aux rxe et xe siècles, comme un centre commercial important, non seulement port, mais marché3.

     

     

     

    On peut, d'autre part, rassembler plusieurs mentions concernant les marchands de la région. Parmi eux, il convient de faire une large part aux negociatores domaniaux, à ces marchands d'abbaye (par exemple), que les diplômes concédés aux importants établissements ecclésiastiques de la contrée ne manquent pas de citer. Agents dépendants de ces domaines sur lesquels ils résident, appartenant souvent à la famila privilégiée de leur seigneur, ils agissent principalement pour et en nom de ce dernier, et dans bien des cas utilisent sans doute ses moyens de transport*. Mais, en dehors de ceux-ci, on peut déceler l'existence dans le pays de marchands indépendants.

     

     

     

    Nous savons par Nithard que vingt-huit des navires utilisés en 84 г par Charles le Chauve appartenaient à des marchands de Rouen5. En 861, les Annales de Saint-Bertin signalent que les Normands poursuivirent des marchands qui remontaient la Seine sur leurs bateaux, et qu'ils s'emparèrent d'eux6. Plusieurs ^textes font mention de la participation particulière de marchands au paiement des tributs aux Normands, entre 860 et 8777 : il en ressort nettement que ces marchands ne sont pas de ces negociatores domaniaux qui s'employaient à débiter au dehors les produits du domaine auquel ils appartenaient, car ceux-ci étaient naturellement taxés sur ces domaines, au prorata de l'étendue de terre qu'ils y cultivaient. Les Annales de Saint-Bertin disent au contraire, fort clairement, qu'en 860 l'impôt devait peser aussi sur les marchands, même sur les plus pauvres, dont il fallait recenser les biens meubles et immeubles8 ; et, en 866, ces marchands durent verser le dixième de la valeur de leurs biens, décima de omnibus quae videbantur habere9 ; enfin, en 877, un capitu- laire de Charles «le Chauve stipule que les marchands devront payer selon leur fortune : de negotiatoribus autem qui in civitates commenent iuxta

     

     

     

    1. M. G. H. Ш Karolinorwn, I p. 309. а. Diplômes de Charles le Simple, éd. Ph. Lauer (Charlesi et diplômes relatifs à l'histoire de France), Paris, igio, p. ao3, n° 90 ; diplôme de l'année 91I7, en faveur de Sainte-Corneille de Compiègne, localité où se prélevait un 'transitus navis. 3. E. de Fréviixb, Mémoire $ur le commerce maritime de Rouen, Rouen- Paris, 3 v. in-8° — et H. Prentottt, Etudes critiques sur Dudon de Saint-Quentin, Paris, 1916, p. aoi. D'après les Miracles de saint Benoit, éd. De Certain, p. 96, les Normands auraient ramené, en 93 4, 13.000 chevaux, de Rouen à Saint-Benoît- sur-Loire. 4. Imbart de la Tour, Des immunités commerciales accordées aux églises (Questions d'histoire sociale et religieuse), Paris, 1907, p. 7-8. 5. О. c, p. 57. б. 0. c, p. 54 : Negociatores quoque per Sequanam ntívigo sursum versus fugientes insecuntur et capiunt. 7. Lot, Les tributs payés aux Normands, o. e. 8. Ann. BriRT, o. c, p. 53 : Ac negotiatoribus etiam paupertinis, ita ut çtiam domus eorum et omnia utensilia adpreciarentur, et inde statutus census exigerê- tur fieri júbet. 9. Ibid., p. 80.

     

     

     

    Annales (a* ann., juillet-septembre 19Д7, n° 3). 18

     

     

     

     

     

    274 A.NNALES

     

     

     

    possibilitatem, secundum quod hábuerunt de facultatibus, conjectus exi- getur1. Il s'agit donc bien de marchands qui résident dans les cités, d^in- dividus qui n'ont pas de place dans un domaine agricole quelconque.

     

     

     

    Le capitulaire de Quierzy, de quelques temps postérieur, et qui fixait à nouveau les modalités de la perception du même tribut, précise que, parmi ces marchands, il faut distinguer les Juifs des chrétiens, et compter également ceux dénommés Cappi ; ce mot ne désigne-t-il pas certains imarchands qui fréquentent « Cappas2 » ? Voilà qui nous amène à parler des places d'échange de la région.

     

     

     

    Nous savons en effet, par une lettre de Loup de Ferrières, que Chappes, localité de la haute Seine, à vingt kilomètres en amont de Troyes, était au milieu du ixe siècle un rendez- vous de marchands, que 1 'eminent éditeur de Loup de Ferrières, L. Levillain, n'hésite pas à qualifier de « lieu de foires3. On craignait en 86 1 que les Normands ne vinssent pousser jusque-là leurs ravages4. Il n'est pas impossible qu'en raison de l'insécurité générale la place de Chappes ait temporairement, sinon remplacé l'ancienne foire de Saint-Denis, beaucoup plus exposée, du moins bénéficié d'une partie de son activité économique. On sait que la foire de Saint-Denis constituait un marché international, au moins depuis le milieu du vin® siècle5. Des Frisons et des Saxons la fréquentaient6. Les revenus prélevés sur les échanges réalisés pendant sa durée constituaient d'ailleurs une source de richesse âprement disputée entre l'abbé de Saint- Denis et le comte de Paris7. Après une période de ralentissement de ses activités, à la suite des opérations des Normands dans la région, ils sont à Paris en 845, en 858, en 86i, en 865 ; ils assiègent la ville en 886, etc.; la foire paraît avoir repris ou tenté de reprendre son ancienne importance au début du xe siècle : c'est à cette époque qu'aurait été rédigé le faux diplôme de Dagobert qui accordait aux marchands étrangers venant par

     

     

     

    i. M. G. H., Krauze, Capitnlaria, II, p. 354- а. Ibid., p. 56i : Et de Cappis et ahis 'negociatoribus, videlicet ut Judae, dent deciman et negociatores Christiani undecimam. Les Cappi n'ont pas été identifiés jusqu'à présent. Si l'on se réfère au tarif qui leur est appliqué ici, ils semblent se classer dans la catégorie des non-chrétiens au même titre que les Juifs. H y a peut-être lieu de faire un rapprochement entre cette appellation et la localité de Chappes. Celle-ci devint au milieu du Xe siècle un lieu de foires, qui pourrait bien avoir hérité alors, ne fût-ce que temporairement, de la clientèle de la foire de SainÇ-Denis ; parmi les marchands étrangers qui fréquentaient cette dernière figurent des non-chrétiens autres que les Juifs : des Frisons, des Saxons voire même des Orientaux (v. aussi p. 278). Les Cappi seraient-ils donc les non-chrétiens autres que les Juifs, qui venaient à la foire de Ghappes ř D'autre part, le mot ne fait-il pas tout simplement allusion au costume des marchands en question ? EX ces « vêtus de capes » ne seraienit-ils pas des non-chrétiens par excellence, des Musulmans P 3. Loup de Ferrières, o. c, II, p. 178. 4. Ibid. 5. L. Levillain, Etudes sur l'abbaye de Saint-Denis à l'époque mérovingienne (Bibliothèque de l'Ecole des Chartes), t. 91, 19З0, p. 7 et suiv. б. Diplôme de Pépin le Bref, du 8 juillet 753, M. G. H. DDH. Karolinorum, I, p. 9 : De omnes necuciantes, tam Saxones quam Frisiones vel alias naciones pro- miscuas de quascumque pagos vel provincias. Diplôme de Louis le Pieux, du 1er décembre 8i4 : Ex omnibus negociatoribus qui undique, tam ex Saxonum gente quam et Frisionum vel aliarum quorum libet et gentium quae de diversis provinciis et territoriis in undem negotiandi gratia conveniunt mercatum, t. D. В., VI, p. 467. 7. L. Levillain : « Les comtes de Paris à l'époque franque » (Le Moyen Лде, Parit, 1944, p. i46).

     

     

     

     

     

    CE QU'ON VENDAIT DANS LE BASSIN PARISIEN 275

     

     

     

    Quentovic ou par Rouen, tout comme à ceux venant de la région méditerranéenne, des privilèges considérables1.

     

     

     

    Outre Šaint-Denis et Chappes, on connaît d'autres rendez-vous de marchands dans le pays, notamment Troyes : il semble que l'on y vendait des esclaves au vnr3 siècle2 ; au ix6 siècle, les hommes de Saint-Germain y conduisaient chaque année des denrées3 ; Charlemagne avait d'ailleurs exempté Saint-Germain de tonlieux dans tout le pagus de Troyes, ce qui sous-entend que l'abbaye y procédait à des transactions commerciales*. Enfin, la Vita Sancti Romani Autissiodarensis, écrite au plus tard au début du xi* siècle, rapporte que des gens du pagns de Sens se rendaient à Troyes, ad partes Treeassinas, pour y trafiquer à la foire5. Et encore dans la même région : Flodoard cite en 964 la foire de Chalons-sur- Marne6 ; en 996, celle de Provins est mentionnée7 ; vers la même époque, Lagny est signalé comme uni lieu où se réunissent de nombreux marchands8.

     

     

     

    En dehors des foires, il convient de faire place à tous les marchés hebdomadaires locaux, aux marchés des villae, dont il ne faut pas sous- estimer l'importance. S'il est vrai que ces marchés, si répandus à l'époque carolingienne, satisfaisaient essentiellement aux besoins réduits de la population des villae, ils pouvaient cependant, dans des conditions particulières, acquérir une signification économique plus large, devenir notamment les lieux de débit d'un produit abondant dans la région, rare au dehors, dont, les petits cultivateurs comme les gros propriétaires de domaines voulaient se défaire ; ils présentaient dès lors un attrait pour les étrangers — et c'était le cas notamment au ixe siècle, pour les marchés des domaines de Saint-Denis9 et de Saint-Germain-d'Auxerre10.

     

     

     

    III

     

     

     

    Ainsi, et sans prétendre que cette situation lui fût particulière11, le bassin de la Seine possédait un équipement économique passablement

     

     

     

    I. L. Levilxain, Études sur l'abbaye de Saint-Denis ( BU. Ë. des Chartes), t. 91, 1фЗо, р. з8. > а. Vita Sancti Fidoti, abbatis Trecensis, dans AA. SS. 0. S. В., I, p. 197. Saint Ftdolin est un captif racheté par Eventinus, prêtre à Troyes. 3. Polyptique d'Irmmon, éd. B. Guéhard, о. с, p. 780. 4. M. G. H. DD, Karolinorum, I, p, 170. 5. Vita Sancti Romani abbatis Autissiodorensis dans AA. SS. 0. S. В., II, ip. g5 : Talia intulit, cum pater et mater illius (ut moris est) ad portas Treeassinas nego- ciandi gracia properarent... Interim iam eo domum régresse subito dum non speratur, pater ilhus cum matre de foro revertitur. б. Annales, о. с, p. i55 : Catalaunensem urbem praesule Gibuino agressi Heri- bertus et Robertus obsident explicihsque tandem nundinis, igné succedunt. 7. Miracula sancti Aigulfi, dans AA. SS 0. S. В., 1, p. 668 : Comi'tissa con- eessit et confirmavit jure perpetuo possidendum Ecclesiae B. Aigulfi et servitoribus ejus, siquidem très partes feriae habet Ecclesia et cornes quartam partem sibi reti- nuit et conductum. Pour la date, v. F. Vercautbren, Les civitates de la 'Belgique! seconde, Bruxelles, 19З4, p. 4ôo. 8. De Sancto Aemihano abbati Latiniacensi, dans AA, SS. 0. S. В., I, p. 655 : Denomitato die, videlicet depositionis suae, cojluentia diversorum hominum et gentium ex longinquis partibus congregatorum universo mercimonio. 9. M. G. H. DD. Karolinorum, I, p. 66 : Nec de homines qui ad foras in eorum villas ad negotiandum vel vini comparadum adveniunt. (Diplôme de Kar-> loman, daté d'Attigny, mars 769, confirmation en mars 775, ibid., p. i34.) до. D. В., IX, p. 4З7. II. Il devait en être de même notamment pour la vallée de la Loire.

     

     

     

     

     

    276 ANNALES

     

     

     

    complet. Quelles étaient les marchandises dont le transport et la vente pouvaient provoquer ce développement sous un régime qui ne faisait place aux échanges que lorsqu'ils étaient absolument nécessaires ? La seule importation dans le pays de produits rares, avec le minimum d'exportation destiné à contrebalancer cette importation, ne nous paraît pas suffisante pour expliquer ce phénomène. L'abondance d'une denrée de première nécessité, produite dans la région, et capable de répondre à une demande généralisée et permanente, peut seule être mise en cause ici.

     

     

     

    Or, la haute et moyenne Seine étaient alors des contrées vinicoles. La culture de la vigne y occupait une part notable du domaine d'exploitation1. Il suffit, pour s'en rendre compte, de parcourir les diplômes de donation des biens situés dans la région : la plupart font allusion à des vignobles et aux vignerons qui les cultivent.

     

     

     

    Jetons un regard sur la composition d'un domaine bien connu, celui de Saint-Germain-des-Prés. S'il faut en croire le Polyptique de l'abbé Irminon — ce fameux document d'entre 816 et 829, dont nous ne possédons plus qu'un fragment décrivant environ la moitié des possessions de l'abbaye2 — sur vingt-cinq villae, une superficie de 3 384 arpents, soit З69 355 hectares3, était consacrée à la culture de la vigne. Une part de cette étendue appartenait au mansus indominicatus ; elle était donc exploitée au seul profit de l'abbaye ; mais sur le reste, celle-ci ne percevait que des redevances en nature, payées par la population agricole*. Saint-Germain retirait ainsi annuellement, tant de son domaine propre que des redevances, environ i5 000 muids de vin5. Gomme l'abbaye n'en consommait qu'un peu plus de з ооо6, il lui restait un surplus énorme, destiné sans doute aucun à la vente. Loup de Fer- rières ne nous raconte-t-il pas qu'il vendait du vin des revenus de son abbaye pour se faire quelque argent7 ? En quoi il agissait comme tous les producteurs de la région : on sait par exemple qu'aux environs de l'an 800 le propriétaire laïc d'un domaine du pagus de Sens avait reçu des privilèges commerciaux pour là vente de son vin8. Et c'est vraisemblablement en grande partie le propre vin de l'abbaye de Saint-Denis qui se vendait sur sa foire et dans les marchés de ses villae9. Gomme l'a très justement fait remarquer Levillain, la foire de Saint-Denis était une foire à vin : le fait même qu'elle se tenait en octobre en témoigne10.

     

     

     

    Il est clair d'ailleurs que c'est le vin qui attire les étrangers dans le

     

     

     

    1. V. M. Biach, L'Ile de France, Paris, iqi3, p. 3o. а. A. Longnon, Polyptique de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, p. 188 à 322. — F. Lot estime à vingt-six le nombre de domaines dont Ja description n'a pas été conservée. V. « Conjonctures démographiques sur la France au IX* siècle », dans Le Moyen Age, 1908,. p. 8. 3. Ibid., p. ta. 4- V. Polyptique d'Irminon, éd. B. Guérard, t. II, passim. 5. Ce montant provient d'une addition de chiffres, oeux des redevances en vin, et de ceux de la production du manse seigneurial, donnés pour chaque domaine ipar le Polyptique. б. Potjpardin, Cartulaire de Saint-Germain, I, ,p. 46. 7. Correspondance, o. c, I, p. 116, lettre à Jonas, évêque d'Orléans (84o-84i). 8. M. G. H., Formulae, p. зон : Cartae Senonicaei (fin 8e siècle) nullus quislîbet teloneo пес vinditas eius in nullo exhactare non precumatis nisi, ut diximus, in quascumque portus civitatis «eu mercada, nullo contradicente, suos vinus vel tuua eommertius quitlibet negotium, absque ullo contradicente potestate habeat vindendi. 3 g. V. p. 375. 10. Bibl. Ec. des Chartes, t. gi, 19З0, p. 3o.

     

     

     

     

     

    CE QU'ON VENDAIT DANS LE BASSIN PARISIEN 277

     

     

     

    pays — et que c'est lui que ses marchands expédient au dehors, c'est-à- dire dans des contrées peu propices à la viticulture. Frappant, l'intérêt qu'y portent les gens du Nord. Le diplôme daté de 753 en faveur de Saint- Denis (confirmé d'ailleurs au ix° siècle) dit explicitement que les Saxons et les Frisons qui fréquentent la foire et les marchés des villae viennent y acheter du vin1. Ce dernier exerce une réelle attirance sur les Normands : les Annales de Saint-Bertin racontent qu'ils exécutaient des razzias dans la région dans le seul but de s'en procurer ; tel fut notamment l'objet ďun coup de main sur Paris en 86 52. Les provisions de vin des gros propriétaires monastiques du pays expliquent peut-être pourquoi ils pillaient si volontiers les abbayes ; l'auteur de la T^anslatio de saint Germain ne considère- t-il pas comme miraculeux le fait qu'après le passage des Normands dans l'abbaye on y ait encore découvert une quantité de vin3 ? Il est également caractéristique que, par deux fois, en 864 et en 866, le tribut leur ait été payé partiellement en vin4. Ajoutons que divers domaines de la région de la Somme (notamment Corbie) commandaient leur vin dans le pagus de Sens en 85g5 : voilà qui jette quelque lumière sur l'activité des gens de l'abbaye de Saint-Germain qui allaient annuellement transporter des marchandises à Paris, Troyes, Blois, en Anjou, à Quentovic6, voire à Duurstede et à Maestricht7. Encore au x* siècle, Flodoard signale des bandes de Voleurs qui venaient chaque année piller la Champagne au temps des vendanges8 ; des seigneurs les imitaient ; ils transportaient le vin volé dans d'autres régions*.

     

     

     

    Le vin semble d'ailleurs avoir acquis dans le bassin de la Seine le rôle et la signification d'une valeur d'échange courante. On y payait ses dettes en vin, on prêtait de l'argent sur du vin10, les prix de vin sont données courantes dans les annales de la contrée11. Et naturellement le commerce du vin devait amener ici plus qu'ailleurs un afflux de produits étrangers : du Nord notamment et de l'Angleterre. On connaissait dans la vallée de la Seine, au ixe siècle, les tissus fabriqués en Flandre : entre 8зЗ et 833, l'abbaye de Saint-Wandrille envoyait ses hommes acheter des draps dans les pagi de Térouanne et de Boulogne13 ; en 84a, les moines

     

     

     

    1. M. G. H. DD. Karolinorum, I, p. 9, 66, 1З4. ~7 3. 0. c, p. 79 : Ipsi autem Nortmanni, quoniam adhuc citra Scquanam custodes non vénérant, ex se circiter ducentes Parisyus mittunt ubi quod quaesiverunt vinum non invenientes. 3. Analecta Bollandiana, II, p. 86 : Ingressi quoque monasterium inveniunt illud ab incredula paganorum gente magne ex parte destructum sed deo favent0 tanta ibidem reperta est copia vini (quod nullatenus credi poterat) ut usque ad novum, omnibus ejusdem monastèrii fratribus ex ipso quotidie rejicientibus suf- ficere quivisset. Quis unquam mortalum crederet quod post infidelium populorum abcessum ibi aliquid debuisset resedere vini. 4. Annales Bert. о. с, p. 67 «t 80. Capitularia, о. с, И, p. 354. 5. Loup de Ferrières, о. с, П, .p. i45. 6. V. p. 370. 7. Ibid. 8. Annales, o. c, p. 106, i55. q. Ibid., p. 106. 10. M. G. H., Concilia, II, p. 646, concile de Paris en 829. ti V. par ex. Flodoard, Annales, 0. c, p. 164 : Ipso anno tempore vindimiae magna fuit copia vini in tantum ut non amplius pro uno vini modio venditorei m«i aut quinque aut quattuor «eu très denarios ab emptoribus accipiebant. 13. M. G. H. SS., TI, p. 399 : Çonstitutio Ansegisi .Abbatis (abbé de FonteneLle> entre 8зЗ et 833) : Constitutionem vero quam servus Dei isto in coenobio degenti- bus de vidu ас vestitu instituit, commodum arbitratus sum huic operi înserere. Cuius talis est textuf. Memoratorium qualiter domnui ac venerabilis Ansegisus

     

     

     

     

     

    278 > ANNALES

     

     

     

    de Ferrières portaient des robes tissées dans la région de Monteuil-sur- Mer1 ; on y connaissait aussi le plomb anglais ; nul doute que ces tissus et ces métaux n'aient constitué le fret d'aller des Frisons et des Saxons qui venaient à la foire de Saint-Denis, si bien que celle-ci pouvait constituer également une place d'échange intéressante 'pour ces gens du Midi, que le rédacteur du faux diplôme de Dagobert ne manquait pas d'y vouloir attirer au xe siècle2.

     

     

     

    Cette activité amenait naturellement une circulation monétaire assez intense dans le pays : l'argent s'accumulait non seulement entre les mains des gros propriétaires, — les principaux producteurs, — mais encore des petits cultivateurs. On comprend alors l'acharnement des Normands à se maintenir dans la contrée, puisqu'un simple coup de main dans un village leur rapportait multae pecunii copiae3 — et qu'en l'espace de quarante années ils parvinrent à se faire payer huit lourds tributs par la population4.

     

     

     

    Le pays paraît d'ailleurs avoir donné une impression de richesse aux contemporains : ses habitants sont souvent qualifiés de divitii5 ; la Vita sancti Germant rapporte que l'on rencontrait peu de pauvres parmi eux6 ; Paris était considérée au ixe siècle comme une cité remarquable, habitée par des gens riches7, et au xe siècle Soissons comptait des capitalistes notoires : tel ce Raoul, chambrier d'Hugues le Grand, que la Translatio de saint Evroul (début du xr3 siècle) qualifie de « riche habitant » de Soissons8. Même des villages pouvaient donner une impression d'opulence : Richer ne parle-t-il pas au xe siècle d'Epernay, en Champagne, comme d'un vicum populosum ac opulentum9 ?

     

     

     

    Л

     

     

     

    Concluons. Dans la représentation qu'on se fait, classiquement, de l'Europe domaniale carolingienne, on admet que la région d'entre bas Rhin et mer du Nord occupait une situation économique privilégiée10. H apparaît que la vallée de la Seine connut à la même époque des activités

     

     

     

    abba disposuit vestimenta et calciamenta atque alimoniam fratribus in monasterio Fontanella morantibus una cum consensu eorum ordinabiliter, uí absque vlllius occasionis querela, omni egestate exclusa, vota sua Deo reddere atque sponsionis suae negocium ad effectum omni tempore perducere possent. De радо namqws Bononensi et Tarvanensi vestitus intègres 60 censuit porrigendos, drappos ablot 20 de quibus camisiae fieri possent, coria boum ad soleas 5 composita... i. Loup de Ferrières, Lettres, о. с, I, p. 199. а. L. Levillain, Etude de l'Abbaye de Saint-Denis, 0. c, p. 36. > 3. Annales Bert. о. с, ip. з5, année Sun : Loca flumini Sequanae adhaerentia aut... aut multis acceptis pecuniis territa relinquunt. 4. Ibid., p. з5, 5i, 5a, 55, 67, 80, i35 ; — Abbon, Siège de Paris, éd. H. Waquht dans Classiques de l'histoire de France, Paris 1942, p. 91. 5. AA. SS., juin, I, p. 745, où' il est question d'un certain Ramboldus, du pagus de Sens connu pour sa richesse. б. AA. SS., mai, VI, p. 770. 7. Miracles de saint Benoit, éd. De Certain, o. c, p. 7a : Quid Lutecia Pari- siorum nobile caput, resplendens quondam gloria opibus, fertalitate soli, incola- rum quietissima pace quam non immerito regnum dwitias emporium dixero populorum. 8. M. G. BouRGiN, La commune de Soissons, (Bibliothèque de l'Ecole des Hau- tet-Ëtudes), fasc. 167, p. 78 — et Рн. Laubr, Louis Щ d'Outremer (Ibid.), tase. 1J7, p. 122. 9. Histoire de France, éd. R. Latouche (Classiques de l'histoire de France, Paris, 19З7, t. II, p. 37). 10. Lot, Pfister, Ganshof, Histoire du Moyen Age, t. 1, dans Histoire générmle de G. Hum, p. 602.

     

     

     

     

     

    CE QU'ON YENDAIT DANS LE BASSIN PARISIEN 279

     

     

     

    et une prospérité comparables. Ce qui s'explique : ces deux régions fournissaient des produits dont la demande était généralisée et que l'on ne trouvait pas partout : ici des tissus de laine, des armes et ustensiles de fer ; là, du vin. Comme c'était dans le Nord que ce dernier était rare, c'est vers le Nord surtout, et l'Angleterre, que la vallée de la Seine se trouvait économiquement orientée. L'identité de développement de ces deux régions rencontre d'ailleurs une confirmation dans le fait que le premier témoignage de ce. que l'on nomme le renouveau économique de la seconde partie du moyen âge — le fameux tonlieu de Londres- — cite à la fois les marchands de l'une et de l'autre1.

     

     

     

    Si nous reprenons la distinction que l'on fait entre le commerce d'avant et d'après le x* siècle, il semble qu'elle ne soit pas aussi nette que la théorie l'a présentée - jusqu'à présent. Il y a lieu d'insister sur la permanence des voies d'échanges, tout en reconnaissant que celle-ci est partiellement déterminée par la géographie ; il y a lieu surtout de retenir la permanence de certaines places d'échanges : nous pensons particulièrement à la foire de Saint-Denis que prolonge la foire du Lendit, et à ces foires de Champagne qui — comme la foire de Saint-Denis elle-même — ont probablement été, aux ixe et xe siècles, des foires à vin avant de devenir, au xue siècle, les grandes assises du commerce des draps.

     

     

     

    Il y a enfin lieu d'insister sur le fait que le passage de l'économie agricole prédominante, d'avant le xe siècle, au stade de l'économie urbaine prédominante, à partir du xie siècle, représente non point une révolution, mais l'amplification d'un phénomène préexistant.

     

     

     

    Le domaine rural est la cellule économique prédominante à l'époque qui nous occupe. Ce domaine constitue le point de départ de toutes les fonctions économiques : ici sont produits ou fabriqués non seulement les objets et les denrées nécessaires à la consommation des habitants, mais encore ceux qui sont destinés aux échanges nécessaires avec l'extérieur. Les transporteurs et les marchands qui distribuent ces derniers au dehors sont, pour la plupart, attachés au domaine ; ils agissent au profit du propriétaire de la terre, car ce dernier est, en fait, le plus important des producteurs du domaine : c'est lui qui, dans le Nord par exemple, possède le plus de moutons et le plus de laine ; c'est lui qui possède les gisements métallifères de sa terre ; c'est lui qui, dans la vallée de la Seine, possède les vignobles les plus étendus ; c'est lui qui, par surcroît, bénéficie du travail gratuit des hommes de la villa : il а , souvent les moyens de faire construire les barques ou les chars qu'exige le transport des marchandises ; c'est lui, enfin, qui vient surtout en considération pour l'obtention des privilèges commerciaux que décernent les pouvoirs publics. Et, cependant, ce grand propriétaire, ce grand producteur n'est pas un marchand : le commerce n'est pas son but ; il n'en vit pas ; l'argent qu'il en retire, il l'investit en terre et en bijoux.

     

     

     

    Exceptionnellement, par le jeu de circonstances particulièrement favorables, certains marchands pouvaient cependant se libérer ou se maintenir en dehors du domaine3 pour vivre dans quelque civitas et y exercer le négoce d'une manière indépendante : on en voit des exemples, no tam -

     

     

     

    i. С. Hôhlbaum, Hansisches UrkundenSueh, I, p. 8. a. H. Pirenne, La civilisation occidentale au moyen âge, dans Histoire générale de Gum, Histoire du Moyen Age, t. 8. 3. V. p. 37З.

     

     

     

     

     

    280, ANNALES

     

     

     

    ment au rxe siècle, à Maastricht, à Rouen, à Paris1 et, au xe siècle, à Ver. dun2. Quelques individus isolés : mais ce sont eux, cependant, qui ont préparé la voie de passage de l'économie domaniale à l'économie urbaine. Parallèlement à l'accroissement démographique qui s'opère à partir du xie siècle, la demande se multiplie, et avec elle les occasions de commerce et de profit. Plus nombreux dès lors, les individus qui réussissent à quitter leur domaine et la vie agricole pour s'installer en des Jieux spécialement favorables au négoce : les futures villes. Ainsi, la ville remplace peu à peu le domaine comme point de départ des échanges, tandis qu'une véritable « instance » capitaliste, composée d'authentiques marchands, remplace l'ancien complexe a*capitaliste : « seigneur-producteur ».

     

     

     

    Enfin, on a souligné que les invasions normandes ne s'étaient pas soldées exclusivement par un passif — ч pas plus en Europe occidentale qu'en Russie3. Il est indéniable que les régions où les Normands ont porté leurs ravages donnent dès le xe siècle des signes accusés de renou- .veau commercial. Cela provenant en grande partie du fait que ce furent précisément les contrées les plus riches qui attiraient les envahisseurs, et donc celles qu'animaient certains courants commerciaux. Les incursions, les opérations des Normands ont nui à ces échanges : sans doute ; elles n^ont cependant pas pu, elles n'ont pas eu pour but de les annihiler4, ce qui ne veut pas dire, naturellement, que les Normands n'aient pas ruiné et des marchands et même des places d'échanges : le cas de Quen- tovic le prouve, comme celui de Duurstede. Mais n'est-il pas probable que, disposant d'excellents moyens de transport, ils se sont occupés de commercer à grande distance ? Les sources sont maheureusement muettes à ce propos ; en dehors de leurs razzias et de leurs opérations militaires, on ne sait rien du séjour d'un siècle que firent les Normands en Europe occidentale. Des chroniques rapportent bien qu'ils allaient vendre des moines comme esclaves en Angleterre, ou qu'à l'occasion d'une trêve ils invitaient les Francs à visiter leurs camps et à échanger des denrées5 : là se bornent nos renseignements. L'intérêt qu'ils portaient au vin doit vraisemblablement être mis en relation avec leurs desseins commerciaux. Est-ce un hasard s'ils se sont fixés aux embouchures des fleuves du vin de l'Europe septentrionale, xa Seine et le Rhin*, et si les marchands de la Seine qui vendent du vin à Londres entre 982 et 1002 venaient de Rouen : Rouen, capitale de la jeune Normandie7 P

     

     

     

    Renée Doehaerd,

     

     

     

    Bruxelles.

     

     

    x. V. p. 37З — et Edthard, Translatio et miracula ss. Marcellini et Pétri, dans M. G. H. SS., t. XVI, p. a6i. а. Richer, 0. c, II, ip i33. 3. M. Bloch. La société féodale, t. I, (Coll. Evolution de l'humanité, dir. H. Behh), Paris, ig3g, p. 88, 4. V. p. ex. Loup de Ferrières, Lettres, 0. c, 'H, p. i45, allusion à la reprise des communications entre Corbie et la région de la Seine, momentanément interrompues en 85g par les Barbares. 5 W. Vogel, Die Normannen und das frankische Reich bU zur Grunddung der Normandie (799-9H), Heidelberg, 1906, p. 38g. б. Ibid., p. 10З, 295, 3g6 7. C. IIôlubauk, HansUches Urkundenbuch, I, p. 9.

     

     


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