• MAIRES ET CURES

    BAS NORMANDS

    par

    Jean Des Sablons

    Ancien Procureur

    MAIRES ET CURES  BAS NORMANDS

     

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    LES ALIÉNÉS

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    En l’an de grâce 18… le préfet de l’Orne adressa une circulaire aux maires de son département les invitant à lui faire connaître d’urgence le nombre d’aliénés que pouvait avoir chaque commune.

     

    Quand le maire de Coupetaillis reçut cette épître préfectorale, il pensa tomber de son haut. Des aliénés, se dit-il, qu’est-ce que cela peut bien être ? Après avoir bien réfléchi et ne parvenant pas à se faire une idée de ce qu’était un aliéné, après avoir consulté sa femme qui ne put le renseigner et voulant en avoir le coeur net, il résolut d’aller trouver son adjoint pour tâcher de connaître le mot de ce qui était pour lui une énigme.

     

    Donc, après déjeuner, chaussé de ses sabots neufs et vêtu de sa blaude des dimanches, notre bon maître se rendit chez l’adjoint qu’il trouva occupé à faire bouillir un tonneau de cidre. Il fallut, comme de juste examiner le nouveau produit, discuter sur le rendement du cidre et la qualité qu’aurait la nouvelle eau-de-vie. L’adjoint ne manqua pas ensuite d’offrir une goutte de la toute vieille à M. le maire qui n’était pas venu pour boire un coup mais qui, en bon bocain ne se fit pas tirer l’oreille et accepta avec plaisir.

     

    Les coudes appuyés sur la table, nos deux amis se mirent à deviser sur un tas de choses plus ou moins insignifiantes tout en lampant à petites gorgées le vieux Calvados dont l’adjoint avait rempli les verres.

     

    L’adjoint se demandait ce que pouvait bien lui vouloir le maire pour lui avoir fait visite à l’improviste, et le maire ne savait comment poser sa question sans trop attirer l’attention de son lieutenant sur son peu de savoir.

     

    Enfin il se décida. « A propos, dit-il, j’ai reçu ce matin une lettre de not’ préfet qui me demande le nombre d’aliénés de la Commeune. Sav’ous comben y en a, Me François, vous qui êtes plus ancien que mé ?

     

    - Ma foi, répond l’adjoint après quelques secondes de réflexion, pour vous le dire, il faudrait, d’abord savé ce que c’est qu’un aliéné !

     

    - A parler franchement, répliqua le maire, je ne sais pas non plus ce que c’est et j’étais venu vous le demander créyant que vous en sauriez pu long qu’mé. »

     

    Les deux compères passèrent en revue tout ce que leur imagination excitée par les petits verres de vieille put leur offrir pour tâcher d’arriver à savoir ce qu’était un aliéné mais ils ne purent s’en faire une idée bien juste.

     

    De guerre lasse l’adjoint dit au maire : « j’vas demain à Flers chez Me Thirion, payer le pré que j’ai acheté l’aut’jour ; j’l’y demanderai ce que c’est que l’aliéné du préfet et j’irai vous le dire après. »

     

    Le lendemain en effet Me François se rendit chez son notaire, mais il ne trouva que le principal clerc, le patron étant à Domfront à présenter un testament au Président du Tribunal.

     

    Il régla son prix de vente  paya les frais et quand il eut ses papiers en main il pensa à s’acquitter de la commission dont il s’était chargé.

     

    « Dites-donc, M. Durand, dit-il au maître-clerc, y a not’maire qu’est ben embarrassé. Le Préfet lui a écrit pour lui demander combien il y avait d’aliénés dans la commeune, il ne peut pas li répondre, y ne sait pas ce qu’c’est ; vous qu’êtes savant, vous devez bien savé ça. dites-le mé donc. »

     

    En entendant cette confidence notre basochien eut bien du mal à ne pas éclater de rire au nez de son questionneur, mais pourtant il se contint et flairant une bonne farce il répondit gravement à Me François :

     

    « Les aliénés, mais ce sont ceux qui vont à la messe.

     

    - Vraiment ?

     

    - Certainement, affirma le clerc.

     

    - Je me doutais bien que ça devait être queuque chose comme cela, dit l’adjoint ; je vous remercie bien du renseignement, j’vas aller le dire à not’ maire qui va être ben content. Au revoir M. Durand. »

     

    Après avoir déposé ses papiers chez lui, notre brave adjoint s’empressa de se rendre chez le maire auquel il cria en l’apercevant :

     

    « J’étions ben en peine d’savé ce que c’est que des aliénés, mais j’étions ben innocents de nous creuser la tête car il y avait pas besoin de chercher. Les aliénés, c’est vous, c’est mé !

     

    - Comment cela ! dit le maire.

     

    - Ben sûr, répliqua l’adjoint puisque les aliénés c’est ceusse qui vont à la messe. C’est M. Durand qui me l’a dit.

     

    - Alors toute la commune est aliénée, s’écria avec emphase le maire, puisque tout le monde va à la messe. Ah ! pourtant, il y en a un qui n’y va pas, c’est Malhère tailleur de pierre. Eh bien ! le préfet va être content de lui quand il va savé cela. Ma foi tant pis pour lui après tout ! Ça lui apprendra à faire le huguenot. »

     

    Et M. le maire, tout à la joie de savoir sa commune aliénée, s’empressa d’envoyer au préfet la lettre ci-après :

     

        Monsieur le Préfet,

     

    J’ai ben l’honneur de vous savoir que j’sommes tous aliénés dans la commeune de Coupetaillis, à l’exception de Malhère, tailleur de pierres, mais j’espère ben que l’an qui vient, i sera comme nous tous.

                                    Votre dévoué serviteur et maire,

     

                                        Jean Legros.

     

    Qui devint bleu en lisant cette lettre ? Ce fut le Préfet d’Alençon qui se demanda s’il devait rire ou se fâcher et si son maire était vraiment aliéné ou bien s’il avait voulu se moquer de lui. Pour tirer l’affaire au clair, il chargea les gendarmes de faire une enquête et de lui adresser leur rapport. Bien entendu ce ne fut pas long. Le pauvre maire fut obligé d’avouer qu’il s’en était rapporté à son adjoint et celui-ci interrogé à son tour rejeta la faute sur le clerc de notaire qui, apprenant le résultat de sa blague, s’en tenait les côtes de rire.

     

    Un toutefois qui ne dut pas rire, ce fut Me Thirion qui pour prix de la facétie de son clerc perdit la clientèle du maire et de l’adjoint de Coupetaillis.

     

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    TREIZE A TABLE

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    Le Curé de Gathemo se résolut un jour, malgré son grand âge, d’aller à Avranches consulter son évêque sur un cas de conscience qui l’intriguait fort. Il arriva sur les midi à l’Evêché, bien fatigué et couvert de poussière, car sa bourse ne lui avait pas permis de se payer le luxe de la diligence.

     

    C’était l’heure du déjeûner de Monseigneur et précisément ce jour là, Sa Grandeur avait plusieurs invités de marque à sa table.

     

    Lorsque le valet vint avertir le prélat de l’arrivée du Curé, il fronça le sourcil et dit de faire attendre l’intrus qui venait le déranger à pareille heure. Comme si on pouvait laisser refroidir les poulardes truffées pendant que l’abbé débiterait ses antiennes ! Oh ! que nenni ! Le Curé de Gathemo pouvait bien attendre dans l’anti-chambre.

     

    Mais bientôt se ravisant, l’évêque donna l’ordre au valet d’introduire le visiteur.

     

    « Messieurs, dit-il à ses convives, je vous prie d’excuser si je reçois en ce moment un de mes vieux curés, mais c’est un bonhomme très original, qui sait de latin tout juste ce qu’il en faut pour chanter vêpres et qui, je l’espère, va nous divertir par quelque drôlerie de son crû. »

     

    Deux minutes après le Curé introduit par le valet vient humblement se prosterner devant son évêque, fait une profonde révérence à la Compagnie, puis, sur un signe de Monseigneur, va s’asseoir dans un coin de la salle.

     

    « Hé bien, M. le Curé, lui dit Sa Grandeur, au bout de quelques instants, entre deux services, avez-vous quelque difficulté à me soumettre ? Y a-t-il du nouveau dans votre paroisse ?

     

    « - Ah ! Monseigneur, vous savez bien que dans ma pauvre petite paroisse il n’y a jamais rien de nouveau ; mes paroissiens sont toujours occupés à leurs travaux des champs, ils ne quittent guère leur chaumière et moi je fais comme eux, je reste à mon presbytère. Cependant si cela vous intéressait, je pourrais vous raconter un fait assez curieux qui s’est produit dernièrement chez Me Thomas, le fermier de la fosse au loup.

     

    « - Ah ! voyons cela, fit l’Evêque en clignant de l’oeil avec intelligence vers ses convives.

     

    - Pour lors donc, reprit le Curé, maître Thomas a, sauf votre respect et celui de la compagnie qui m’entend, une truie qui lui a fait treize petits cochons et vous savez qu’elle n’a que douze trions dont chaque petit cochon aussitôt né s’est emparé et lorsque le treizième a paru à son tour, aucun de ses frères n’a voulu lui céder la place.

     

    - Vraiment ! M. le Curé, mais alors que fait-il, le 13e, demande l’Evêque.

     

    - Dam ! Monseigneur, il est comme moi, il regarde ses frères manger. »

     

    Les convives partirent d’un grand éclat de rire, mais je crois bien que ce ne fut pas aux dépens du Curé de Gathemo.

     

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    LES TRIPES

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    Depuis six semaines le Curé de Maisoncelles n’allait plus au château ; la place qu’il y occupait régulièrement à table chaque vendredi restait vide. C’était bien à contre coeur qu’il avait renoncé à prendre chaque semaine un bon dîner, mais il avait été si troublé la dernière fois qu’il avait cru devoir sacrifier à son salut la jouissance de son estomac. Dam ! Il y avait bien de quoi ! Les châtelains ne s’étaient-ils pas avisés d’inviter de belles dames de Paris à venir passer la saison et celles-ci s’étaient rendues au salon dans un décolleté qui avait fait rougir le pauvre Curé jusqu’aux oreilles et l’avait remué dans toute sa chair. Le souvenir de ces belles épaules nues l’avait empêché de dormir toute une nuit.

     

    L’embarras du pasteur n’avait point échappé à nos belles pêcheresses et elles se faisaient un malin plaisir de lui faire éprouver à nouveau l’effet de leurs charmes. Mais le Curé boudait, comment faire ?

     

    La petite comtesse Dufeu émit une idée originale. Puisque le recteur ne veut plus nous voir, dit-elle un soir de bal aux autres dames, il faut aller à la messe demain dimanche dans le costume où nous sommes. La proposition fut acceptée d’emblée et malgré la châtelaine qui ne voulait pas se brouiller avec son Curé, nos petites folles se rendirent à l’église dans la toilette la plus tapageuse et la moins réservée qu’il leur fut possible d’imaginer.

     

    En faisant l’eau bénite, le Curé les aperçut et faillit de surprise en laisser tomber le goupillon. Transporté d’une sainte colère, il monta en chaire et, sans autre préambule, s’écria de toutes ses forces :

     

    « Femmes impudiques, ramassez vos tripes »

     

    puis il débita une homélie virulente contre ses paroissiennes d’occasion.

     

    Or, ce dimanche là, Nicolas Taupin, du village de Bélhaut, était venu à la messe et avant d’entrer au saint lieu avait fait ses emplettes comme il est d’usage dans nos campagnes normandes. Il avait déposé son panier contenant une portion de tripes dans le bas de l’Eglise. Entendant le Curé parler de tripes il songea à sa provision et fixant l’orateur se dit en lui : les vet-y ? les sent-y ?

     

    Il devint inquiet en entendant le Curé à plusieurs reprises parler de tripes : s’il en cause encore, pensa-t-il, je vas m’en aller et les lui laisser. Aussi, à une nouvelle apostrophe du Curé, n’y tenant plus, il s’écria à son tour :

     

    «Venez les ramasser les tripes, vous Monsieur le Curé, je vous les abandonne » et il sortit laissant le prédicateur et l’auditoire ahuris. Ce ne fut qu’en sortant de la messe que les fidèles, découvrant le panier de Nicolas Taupin, s’expliquèrent son interpellation.

     

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    LE FEU DU CIEL

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    Le bon Curé de Maisoncelles qui moriginait si bien les belles dames du château avait fort à faire avec ses paroissiens ordinaires. Les gars du Pont è retours et d’ailleurs aimaient mieux aller, suivant la saison, braconner le dimanche ou plier les noisetiers en compagnie des filles de la contrée que de venir écouter ses sermons. Il avait beau prier, supplier, menacer et tonner du haut de la chaire, il ne parvenait point à ramener le troupeau au bercail. Désespéré et ne sachant plus à quel saint se vouer, le Curé imagina d’effrayer ses ouailles un jour de fête qu’il y avait un peu plus de monde à l’église que d’habitude. Il fit monter son sacristain dans la charpente et lui enjoignit, quand il allait prêcher de jeter des étoupes enflammées par les trous de la voûte.

     

    Le voilà monté en chaire, il agite son bonnet carré plus fiévreusement encore que d’habitude, fait un sombre tableau de l’avenir qui est réservé à ses paroissiens s’ils ne veulent pas se convertir.

     

    « Vous serez tous brûlés au fin fond de l’enfer. Malheureux endurcis ! Oui, vous rôtirez tous ! Pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend, je vais demander à Dieu de vous montrer un échantillon de sa colère.

     

    « Feu du Ciel, consume ce peuple infidèle, » s’écria-t-il de toutes ses forces. »

     

    Au même moment on vit tomber du haut de l’Eglise un globe de feu qui manqua de roussir la coeffe de dame Catherine et s’éteignit aussitôt après sa chute.

     

    Les paroissiens furent pris de peur d’autant mieux qu’à l’invocation du Curé, le feu tomba à trois reprises au milieu de la nef. Une dernière fois le zélé pasteur appela le feu du Ciel sur son troupeau égaré mais la voix bien connue de Thomas le sacristain, lui répondit :

     

    « Monsieur le Curé ! n’y a plus d’étoupes, faut-y jeter le terrinet ? »

     

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    LE LIÈVRE

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    Le Curé du Paillon était un bon vivant, gai et réjoui, amateur de bonne chère et de gros bère, au demeurant bon et charitable, aimant à rendre service et pas trop dur pour les jolies pécheresses de sa paroisse. Il était très aimé de ses paroissiens qui lui témoignaient fréquemment leur reconnaissance en lui envoyant les prémices de leur basse-cour, le produit de leur chasse ou de leur pêche et même de belles mottes de beurre quand leur vache avait fait veau.

     

    Notre Curé ne fut donc pas surpris quand un matin du mois de décembre le petit gars à la Jeanneton vint le trouver dans la sacristie et lui dire qu’il lui avait envoyé un beau lièvre.

     

    « Vraiment, mon ami, dit le Curé tout réjoui à l’idée d’avoir un bon civet à son dîner.

     

    - Oui ! un bien beau lièvre, M. le Curé

     

    - Tiens, voilà mes clefs, va au presbytère et dis à ma servante de te donner une bonne bouteille de vin pour ta récompense.

     

    En deux sauts l’envoyeur de lièvre fut au presbytère et décampa promptement une fois la commission faite.

     

    A quelques jours de là, notre pasteur le rencontra et du plus loin qu’il l’aperçoit :

     

    « Ah ! te voilà petit polisson, c’est toi qui oses te moquer de ton pasteur !

     

    - Moi ! fit effrontément le gamin, comment ça ? Ah ! Comment ça. N’es-tu pas venu l’autre jour à la sacristie me dire que tu m’avais envoyé un beau lièvre et tu ne m’avais rien envoyé du tout, méchant gringalet ?

     

    - Vrai ! vous ne l’avez pas vu, M. le Curé.

     

    - Bien sûr que je ne l’ai pas vu.

     

    - Dam ! Je vas vous dire : ce jour-là je suis passé à travers l’herbage de M. Batiste ; j’ai aperçu un beau lièvre qui détalait devant mé, j’l’y ai crié : Hé là-bas ! tu sais bien où demeure M. le Curé, va le trouver de ma part. S’il n’y est pas allé ce n’est vraiment pas de ma faute.

     

    Au revoir M. le Curé. »

     

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    ORATE FRATRES

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    Un matin en allant dire sa messe, le Curé de Mesnil-Tour aperçut dans la prairie qui s’étend au pied de l’église, un veau qui gambadait au milieu de l’herbe et s’en donnait à coeur joie.

     

    Ce veau ferait bien mon affaire, pensa le Curé, il remplacerait avantageusement la chèvre qui est dans mon étable.

     

    Arrivé à l’église il appela son sacristain et lui montrant l’objet de sa convoitise, il lui dit : « tu vas prendre ma jument et aller me chercher ce veau pendant que je vais commencer la messe. »

     

    Le Custos exécute les ordres de son pasteur et déjà, le veau placé en travers sur le bidet, il se disposait à regagner le presbytère avec le produit de son larcin lorsque le propriétaire de la prairie arriva et, voyant ce qui se passait, courut sus au larron, lui donna une maîtresse râclée, détacha son veau et emmena chez lui la jument du Curé.

     

    Le Custos retourna tout penaud à l’église et arriva au moment où le Curé debout à l’autel se retournait pour dire : Orate fratres. En apercevant son messager il changea la formule et s’écria sur un tout autre ton :

     

    « L’as-tu ? L’as-tu ? Ce beau veau poilu ? »

     

    Le Custos lui répondit sur le même air :

     

    « Battu ! Battu ! Contrebattu ! Et le hi han han perdu ! »

     

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    LE LICOU

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    Le Curé de Viessoix fit venir au carême un capucin de Caen pour prêcher la pénitence à ses paroissiens. Le bon père fit merveille et presque tous les endurcis furent le trouver à son confessionnal. Il y vint un matin un haricotier (3) qui s’accusa d’avoir volé un licou.

     

    - Il faut le rendre, dit le capucin.

     

    - Celui à qui je l’ai pris est mort.

     

    - Rendez-le à ses héritiers.

     

    - Je ne les connais point.

     

    - Combien valait-il ?

     

    - Il pouvait vale quinze sous, mais faut que j’vos dise qu’y avait un queva (4) au bout,

     

    - Ah ! dit le moine un peu interloqué, qu’en avez-vous fait !

     

    - Pardine, je l’ai vendu.

     

    - Combien ?

     

    - Treize pistoles (5).

     

    - Puisque vous ne connaissez pas les héritiers de celui que vous avez dépouillé, il faut me remettre cet argent pour mon couvent.

     

    - Ah ! satané farceur, s’écria notre madré paysan, vô êtes encore plus renaré (6) qu’mé, vous ! Portous ben !

     

    Et ce disant il prit la route de Vire pour aller témoigner en justice.

     

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    LA SAINTE TRINITÉ.

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    Ce jour-là on célébrait en grande pompe l’adoration perpétuelle à La Bijude. Le Curé, suivant l’usage, avait invité bon nombre de ses confrères des paroisses voisines à venir dîner à midi au presbytère ; il avait aussi invité à sa table les chantres de son église, mais brouillé depuis huit jours avec son sacristain il l’avait laissé de côté. Celui-ci en était vexé et il résolut de se venger.

     

    Un Curé voisin avait été prié de donner le sermon entre vêpres et complies et comme c’était un prédicateur en renom, il allait y avoir foule pour l’entendre.

     

    L’heure des vêpres arrive et nos bons gaillards que le cidre bouché et le Calvados ont mis en train se rendent à l’église. Le prédicateur attend dans la sacristie le moment de monter en chaire. Il y est enfin conduit par le sacristain qui le regarde en dessous d’un air moqueur.

     

    Après s’être recueilli un instant, notre nouveau Bossuet promène ses regards sur l’assistance et d’un ton assuré, la main appuyée sur le bord de la chaire débute ainsi :

     

    « La Sainte Trinité, mes frères… » mais sentant quelque chose d’humide et de gluant il retire sa main pour la poser un peu plus loin.

     

    « La Sainte Trinité, mes frères… » recommence le prédicateur ; mais cette fois encore il s’arrête, ne comprenant pas que sa main se colle si facilement sur les bords de la tribune sacrée. Il la retire pour la placer à un autre endroit sans plus de succès car la chaire a été frottée par le sacristain sur tous les bords.

     

    Portant alors vivement la main à son nez et renouvelant pour la troisième fois son exorde tout en respirant l’odeur :

     

    « La Sainte Trinité, mes frères, dit-il… mais c’est de la m… de chien ?!!? »

     

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    MORT….. ET REMORT

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    Thomas Legrin venait de passer de vie à trépas dans sa chaumière des Monts-en-Vaudry. Ses deux vésins, Jacquot Gaucher et Tiennot Leroux partirent aussitôt pour le déclarer au maire de la commune.

     

    Le Magistrat rédigea de suite l’acte de décès que nos deux commissionnaires signèrent puis ils revinrent tranquillement chez eux.

     

    Quelle ne fut pas leur surprise quand on leur dit à leur arrivée que le défunt qu’ils venaient de faire enregistrer était encore vivant et que ce qu’on avait pris pour la mort n’était que l’effet d’une syncope.

     

    Vite ils retournent trouver le Maire pour lui conter leur méprise.

     

    Celui-ci se trouva bien embarrassé à cette nouvelle. Qu’allait devenir son acte ? Fallait-il déchirer la feuille ? Cela ne se pouvait car outre que le registre était coté et paraphé, un autre acte était écrit au recto.

     

    Très perplexe et après mûre réflexion notre brave Maire écrivit en marge de l’acte de décès

     

    Mort par erreur

     

    Huit jours après le faux mort trépasse pour tout de bon et voilà nos deux témoins qui accourent de nouveau à la mairie.

     

    Ah ! pour le coup, il est bien mort, allez ! le Médecin est venu faire un constat, y a pas d’erreur.

     

    Le Maire prend le registre et sous la première mention écrit en gros caractères

     

    Remort

     

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    LE VIN DES AMES DU PURGATOIRE

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    Le Curé d’un de nos Saint-Germain recommandait souvent à ses paroissiens de faire prier et dire des messes pour délivrer les âmes du purgatoire.

     

    Maître Jacques Brunot qui venait de perdre sa femme, se souvenant des pieuses recommandations du Curé et étant d’ailleurs fort dévot de sa nature s’en alla un après-midi au presbytère pour demander des messes pour sa pauvre défunte.

     

    Le Curé le reçut à bras ouverts, le félicita sincèrement sur sa piété et finalement lui offrit de se rafraîchir.

     

    Comme bien vous pensez, Maître Brunot n’eut garde de refuser : on ne trinque pas tous les jours avec son Curé et surtout quand c’est aux dépens de celui-ci.

     

    Voilà donc nos deux amis en train de déguster la bouteille que le Curé est allé lui-même chercher au meilleur de son caveau. Le nectar leur déliant la langue ils en dirent de belles ; le Curé s’oublia même à demander à son paroissien comment il trouvait son vin.

     

    « - Ma foi, M. le Curé, je le trouve bien bon et je voudrais bien en avoir un tonneau du pareil dans ma cave.

     

    - Hé bien ! dit le Curé en se rengorgeant, ce vin là, mon père Brunot c’est du vin des âmes du purgatoire.

     

    - Vraiment ! M. le Curé.

     

    - Ah bien, ajouta-t-il, après une pause de réflexion, si les âmes du purgatoire ont de si bon vin, ce n’est pas la peine de leur faire dire des messes ; je remporte mon argent. »

     

    Et, joignant le geste à la parole, Maître Brunot remit dans sa poche la pile de pièces de cent sous qu’il avait comptées sur la table du Curé.

     

    Pauvre Curé ! il avait eu la langue trop longue ; cela lui coûta une bouteille de vin et une commande de messes.

     

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    LE BON DIEU D’ÉCOUCHÉ

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    Le grand crucifix en plâtre de l’église d’Ecouché tomba un jour sur les dalles du choeur et fut réduit en mille morceaux.

     

    Le Curé convoqua les notables paroissiens et pour le remplacer on décida d’acheter un christ en bronze. Deux des plus malins du bourg furent chargés d’aller à Alençon pour se procurer un bon Dieu solide et à l’abri de toute casse.

     

    Arrivés chez l’orfèvre nos deux compères n’eurent que l’embarras du choix ; il y en avait de toutes les dimensions et de tous les prix.

     

    « Voulez-vous, leur dit le marchand, un christ vivant, expirant ou mort ? »

     

    Comme le Curé ne leur avait point donné d’instruction à ce sujet, ils se trouvèrent bien embarrassés.

     

    « Nous reviendrons, dirent-ils, car on ne nous a point dit comment il fallait le prendre. »

     

    Ils entrèrent alors à l’auberge du Grand-Mage pour se rafraîchir et tout en se réconfortant, il vint une idée à l’un d’eux :

     

    « Je ne sais pas pourquoi, dit-il à son compagnon, nous sommes si embarrassés, j’n’avons qu’à prendre un bon Dieu vivant, s’il ne convient pas à not’ Curé, il pourra le tuer ! »

     

    Depuis ce temps là, Ecouché a pris le nom de Petite Judée.

     

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    LE BROCHET

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    A l’époque de la Révolution, la jolie commune de La Graverie avait pour Curé un gascon qui, je ne sais par suite de quelle aventure avait quitté les bords de la Garonne pour venir s’installer sur les rives de la Vire.

     

    Ce Curé était la facétie personnifiée et son souvenir déjà légendaire est resté vivace dans le pays.

     

    Un jour de conférence, il avait réuni à sa table plusieurs de ses confrères du voisinage. N’ayant à leur offrir qu’un morceau de lard aux choux il leur servit un plat de sa façon.

     

    « Messieurs, leur dit-il en s’asseyant, aimez-vous le brochet froid ?

     

    Certainement, M. le Curé, répondent en choeur tous les convives qui écarquillent les yeux pour voir apparaître le morceau friand dont ils se réjouissent à l’avance.

     

    - Hé bien, Messieurs, quand vous voudrez en manger, vous le ferez cuire de veille !! »

     

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    UNE DOT DE CURÉ

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    Le Curé gascon de la Graverie avait une nièce qui vivait avec lui au presbytère et soignait son intérieur. Demoiselle Prudence, c’était son nom, était une grande brune bien campée, la figure légèrement colorée, les traits réguliers, les hanches arrondies, la poitrine développée et le regard un tant soit peu éveillé. C’était en un mot un beau brin de fille. Elle frisait la trentaine et le bon Curé eût été bien aise de la marier à un de ses paroissiens.

     

    Les gars normands aiment bien les jolies femmes mais ils aiment encore mieux les sacs d’écus et comme l’oncle ne passait pas pour être argenté, aucun prétendant ne venait pour la nièce.

     

    Un lundi que Demoiselle Prudence serrait ses habits dans son coffre, le Curé lui ordonna de s’asseoir dedans. Ne comprenant rien à cette bizarrerie de son oncle elle obéit néanmoins.

     

    Deux jours après notre gascon allant voir un malade rencontra la mère Nannon qui bien entendu l’arrêta pour s’informe de sa santé et de celle de la Demoiselle du presbytère.

     

    « Pourquoi donc ne se marie-t-elle pas, cette charmante demoiselle, dit la bonne femme, elle qui est si douce, si aimable, qui a tant d’ordre, et qui ferait une si bonne ménagère ?

     

    - Sans compter, répartit le Curé, en gasconnant un peu, qu’elle a mis le cul dans le coffre, je l’ai vu.

     

    - Mille écus ! M. le Curé, reprit Mère Nannon au comble de la surprise, mais savez-vous que c’est une belle dot cela ?

     

    - Je crois bien ! répondit le Curé, se retenant pour ne pas rire et heureux que sa gasconnade eût réussi. »

     

    Mère Nannon était la plus grande potinière de la paroisse, aussi après avoir quitté son pasteur n’eut-elle rien de plus pressé que d’aller conter partout que Mamzelle Prudence était un bon parti et qu’elle aurait mille écus de dot. Puisque l’oncle l’avait dit, ce devait être vrai. Qui pourrait d’ailleurs douter de la parole de son curé ?

     

    Le fils Mathurin qui cherchait femme depuis longtemps mais qui n’en trouvait pas d’assez riche à son gré n’eut pas plutôt entendu parler de la fameuse dot qu’il mit tout en oeuvre pour se l’approprier.

     

    Comme de juste ce fut mère Nannon qui avait annoncé la bonne nouvelle qui fut chargée de faire la demande.

     

    Le Curé fit le surpris ; il feignit de ne pas croire que sa nièce pouvait devenir fermière au Hamel, la plus importante terre de la paroisse, mais petit à petit et en homme qui connaît son monde, il se laissa convaincre. Inutile de dire que Demoiselle Prudence était dans la jubilation.

     

    Le lendemain des noces le gars Mathurin vint au presbytère, pour chercher les habits de sa femme et réclama les milles écus de dot.

     

    « Mille écus ! s’exclama le Curé en levant les bras au ciel, mille écus ! mais malheureux où les prendrais-je ?

     

    - Vous les avez annoncés à mère Nannon, objecta le nouveau marié.

     

    - Ah ! Nigaud ! riposta le Curé, voilà ce que je lui ai dit qu’elle avait, ma nièce » et ce disant il s’assit en se tordant de rire dans le fameux coffre.

     

    Le tour était joué : le Curé de la Graverie avait marié sa nièce sans bourse délier.

     

    _____

     

    LA VIERGE ET LES ANGES

    _________

     

    Le bon Curé du Mesnil était grand amateur de tableaux. Son salon renfermait une collection de toiles intéressantes et dont quelques-unes étaient signées de peintres connus. Il était fier de ses peintures, notre digne pasteur et était heureux lorsque quelque visiteur demandait à les voir. Il énumérait avec un plaisir infini les qualités de ses chefs-d’oeuvre, vantait le coloris de tel tableau, la finesse des traits de tel personnage et ne faisait grâce d’aucune détail.

     

    Inutile de dire que c’était à la peinture religieuse que notre amateur avait demandé la presque totalité de ses richesses.

     

    Il ne manquait jamais de garder pour la fin de sa description une toile dûe au pinceau d’un peintre espagnol, représentant la Vierge assise sur un trône, entourée d’une foule d’anges que l’artiste avait figurés au moyen de têtes de chérubin reposant sur deux ailes.

     

    « Voyez, disait le Curé du Mesnil, notre bonne mère comme elle est gracieuse assise sur son trône. Comme elle paraît bonne et miséricordieuse, mais aussi comme elle est triste et affligée. Et savez-vous pourquoi, s’exclamait-il, elle semble désolée ? C’est, reprenait-il, de voir les anges toujours debout devant elle ; elle leur a bien dit un jour : asseyez-vous donc, mes enfants, vous devez être fatigués ; le chef des anges, le gros chérubin que vous voyez là à droite lui a répondu : Merci, bonne Sainte Vierge, mais nous n’avons pas de quoi ! »

     

    Et le bon Curé de rire aux larmes de sa facétieuse explication.

     

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    QUEUE EN TROMPETTE

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    L’abbé Ledoux, curé de Saint-Martin, avait une jolie petite chienne à laquelle il tenait beaucoup et qui l’accompagnait dans toutes ses visites à travers la paroisse.

     

    Luce était connue de tous les habitants de la contrée et c’était à qui lui donnerait une friandise ou lui ferait une caresse.

     

    Un beau jour le bruit se répandit que le Curé avait fait tuer sa chienne.

     

    Hélas ! Ce n’était que trop vrai. Notre Curé s’était avisé d’emmener sa chienne à Vire et ayant rencontré près de la porte-horloge une de ses anciennes pénitentes, la vertueuse Pétronille, il s’était arrêté à faire un brin de causette. Les chiens du quartier profitèrent de la circonstance pour faire deux doigts de cour à Luce qui fut assez naïve pour écouter Turk, l’espiègle barbet du marchand voisin. Quand son maître s’en aperçut, il était trop tard pour la préserver des dangers du flirtage ; c’est alors qu’aimant mieux la voir morte que déshonorée, il se résolut à la faire abattre.

     

    « - Pour sûr, dit un loustic, que Luce était devenue enragée et que le Curé a eu peur d’être mordu !

     

    - Probable que le chien égaré qui a passé l’autre jour à Tallevende est venu chez nous et s’est jeté sur elle, ajouta une bonne dévote. Je plains bien M. le Curé, lui qui aimait tant sa petite chienne. »

     

    Toute la semaine, la mort de Luce fut le sujet des conversations des habitants de Saint-Martin. « Pourvu que notre Curé n’enrage pas à son tour, » disaient les plus effrayés.

     

    Tous ces potins vinrent à l’oreille de l’abbé Ledoux qui, voulant rassurer ses paroissiens, monta en chaire le dimanche et leur dit :

     

     « Mes bien chers frères, on a répandu le bruit dans la paroisse et ailleurs que j’avais fait tuer ma chienne parce qu’elle était enragée. Rassurez-vous, Luce n’était point enragée le moins du monde et la preuve c’est qu’elle avait la queue en trompette. »

     

    A cette déclaration du Curé, la fille du gros Magloire, le chantre, se pâma de rire dans son banc, on n’a jamais bien su pourquoi.

     

    _____

     

    LES DIEUX

    _____

     

    Un beau jeudi du mois de mai, le petit Roussin de la paroisse du Coudray partit de bonne heure pour se rendre au catéchisme. Pour aller au plus court, il prit à travers champs, ne songeant pas qu’il allait rencontrer des buissons et des haies et qu’il allait être tenté de chercher les nids qui pouvaient s’y trouver.

     

    Il en chercha tant que l’heure se passa et qu’il arriva à l’église, le catéchisme déjà bien avancé.

     

    En le voyant haletant et rouge de mine, les vêtements fripés, le Curé devina tout de suite d’où il venait.

     

    « - Tu es encore allé aux nids, petit vaurien, va à genoux sous la lampe. » Puis au bout d’un moment : « Combien y a-t-il de dieux ? » lui demanda-t-il.

     

    Notre dénicheur de nids crut que le Curé voulait savoir combien il y avait d’oeufs dans le nid qu’il avait trouvé et répondit crânement : « il y en a sept, M. le Curé. »

     

    Comme bien l’on pense, il fut tancé vertement pour sa réponse. A son retour du catéchisme sa mère lui demanda s’il avait été interrogé.

     

    « Oui ! le Curé m’a demandé combien il y avait de dieux.

     

    - Et tu lui as répondu qu’il n’y en avait qu’un, dit la mère.

     

    - Allez-y donc, avec votre un, répliqua le gamin, je lui ai dit qu’il y en avait sept et la mère qui couvait et il n’était pas encore content ! »

     

    _____

     

    LE CURÉ DE DOMFRONT

    ______

     

    Au temps jadis, il se faisait à Domfront une grande consommation de cravates de chanvre dont, par ordre du bailli, les habitants étaient tenus de se laisser entourer leur col de chemise.

     

    Le Curé ne pouvant enterrer à l’église des paroissiens qui, de peur d’être étouffés par la foule, quittaient la vie six pieds au-dessus du sol, perdait tout son casuel ce qui, comme vous pensez bien, ne faisait nullement son affaire.

     

    Pour remédier à cet inconvénient, il imagina de faire payer à chaque baptême un enterrement de première classe.

     

    Les paroissiens se récrièrent et portèrent plainte à l’Evêque de Sées qui manda le Curé à l’évêché.

     

    « Que voulez-vous, Monseigneur, répondit celui-ci, mes ouailles ont l’habitude de se faire pendre et me privent ainsi de mes droits, il faut bien que je me rattrape à l’avance ! »

     

    Je ne sais ce que répondit le prélat, mais il y a déjà beau temps qu’à Domfront l’enterrement ne se paie plus le jour du baptême.

     

    _____

     

    ???

    _____

     

    Dans la commune de St-Celerin habitait Gustine Dumont, la plus laide fille qu’il fut possible d’imaginer. Haute de quatre pieds, le dos orné d’une bosse de première classe, la figure en lame de rasoir, les joues criblées de trous de petite vérole, l’oeil gauche moitié plus petit que le droit, un nez qui aurait pu servir de pioche pour extraire les pierres d’une carrière, la démarche gauche et empruntée, telle était cette digne soeur de Quasimodo.

     

    Un vrai remède contre l’amour, quoi !

     

    Et cependant le petit Dieu malin fut cause qu’elle fut un jour trouver le Maire de son endroit pour lui demander de lui faire obtenir un secours pour élever l’enfant qu’elle allait mettre au monde.

     

    Ahuri de cette déclaration et ne pouvant en croire ni ses yeux ni ses oreilles, le Maire lui dit à brûle pourpoint :

     

    « Que diable, a bien pu…………… ?

     

    - Dam, M. le Maire, répondit notre Vénus en ricanant, quand vous fourrez votre doigt dans une fourmillière et que vous le retirez piqué, devinez quelle est la fourmi qui a bien pu vous mordre ? »

     

    La pauvre Maire fut tellement suffoqué de cette réplique qu’il en attrapa la jaunisse.

     

    _____

     

    LE DERNIER SERMON

    _____

     

    Le Curé de La Lande, homme aussi simple que dévoué à son ministère, avait passé toute sa vie à essayer de faire comprendre à ses paroissiens les vérités de notre sainte religion.

     

    N’ayant pu y parvenir et sentant ses forces décliner il convoqua le jour de Pâques tous les habitants aux vêpres et leur recommanda de se munir chacun d’un brin d’herbe.

     

    Avant de chanter les Complies, le Curé monta en chaire et dit :

     

    « Mes frères, je sens que la vie s’use en moi, je vais bientôt paraître devant le Souverain Juge. Lorsqu’il m’apercevra il me demandera : Curé de La Lande qu’as-tu fait de tes paroissiens ? Que lui répondrai-je ?

     

    Comme tous les assistants se taisaient, le Curé poursuivit :

     

    « Ce que je lui répondrai ? Je lui dirai : Mon Dieu vous m’aviez confié votre peuple bête, je vous le rends de même et pour preuve c’est qu’il a encore un brin de l’herbe qu’il vient de brouter !

     

    Amen !!! »

     

    _____

     

    LA TRINITÉ DES SOURDINS (7)

    ______

     

    Depuis dix ans qu’il était Curé de Villedieu-les-Poëles l’abbé de la Cloche avait fait tous ses efforts et employé tout son savoir pour instruire ses ouailles des vérités de la religion, mais tout avait été inutile. Les Sourdins n’avaient jamais pu comprendre les instructions de leur pasteur qui avait pourtant fait tout le possible pour se mettre au niveau de leur intelligence. Jamais il n’avait pu leur cogner dans la tête ce qu’était la Sainte Trinité.

     

    Espérant les éclairer par une démonstration physique et matérielle notre Curé, un dimanche, monta en chaire pour faire le prône une fourche dans une main et un petit paquet dans l’autre. Surpris et se croyant menacés de coups les Sourdins, qui étaient presque aussi braves que la lune quand elle se cache derrière un nuage, faisaient leurs préparatifs pour décamper de l’église quand le pasteur voyant leur effroi les rassura en souriant.

     

    « Mes frères, leur dit-il, voilà bien longtemps que je sue sang et eau pour vous instruire sans pouvoir y parvenir. Votre intelligence plus dure que le cuivre que vous battez sur l’enclume s’est refusée jusqu’à présent à comprendre le sens et la portée de mes sermons. Jusqu’ici vous n’avez jamais pu vous rendre compte de ce qu’est la Sainte Trinité, j’espère être plus heureux aujourd’hui.

     

    Voici une fourche qui a trois branches, supposez que chaque branche représente une des personnes de la Sainte Trinité cela ne fera jamais qu’une personne puisque les trois branches ne font qu’une fourche. Avez-vous compris maintenant ?

     

    - Pas trop, M. le Curé, repartit Grosclaude, le Président de la fabrique, vos branches ne tiennent que par un bout !

     

    - Ah ! il faut que ça tienne partout, dit le Curé, hé bien regardez !

     

    Développant alors le paquet qu’il avait apporté il leur montra un magnifique morceau de lard.

     

    Voici, mes frères, du lard qui se compose de couenne, de gras et de maigre. Supposez pour un moment que la couenne représente le Père, que le gras soit le Fils et que le maigre figure le Saint Esprit, cela n’est-il pas vrai, n’en fait pas moins qu’un seul morceau de cochon. Il en est ainsi de la Sainte Trinité.

     

    Avez-vous bien compris cette fois ? »

     

    Tous les Sourdins firent signe que oui, mais le Curé ne tarda pas à s’apercevoir que ses paroissiens avaient encore compris de travers, car depuis ce jour là, ils ne voulurent plus manger de lard de peur de manger la Sainte Trinité.

     

    NOTES :

    (1) Conter des blagues.

    (2) Cidre.

    (3) Marchand de chevaux en foire.

    (4) Cheval

    (5) La pistole vaut dix francs.

    (6) Rusé.

    (7) Sobriquet donné aux habitants de Villedieu.


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                                                                                                            http://la.piterne.free.fr/

         
     

     

    CONTES & LÉGENDES DE NORMANDIE

     

     

     


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