• Histoire de France à travers les journaux du temps passé. Lumières et lueurs du XVIIIe 

    1715-1789

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    Lithographies XVIIIe

    Le matin des Lumières

     

    S'il existe en histoire des commencements, l'avènement

    du Régent en 1715 en fut un, et des plus éclatants. Rien

    ne donne mieux l'idée d'une aurore, d'une renaissance,

    que les quelques mois qui suivirent la mort de Louis XIV.

    Un « siècle » s'achève ; le XVIIIe siècle commence. Non pas

    que la situation de la France se soit brusquement

    améliorée ; on en découvre en fait la profonde détresse :

    l'État est au bord de la banqueroute, le peuple est écrasé

    par la misère et les impôts, les guerres et les hivers

    terribles de 1694, de 1709, ont dévasté les campagnes.

    Les divisions intérieures sont profondes : l'exil des

    protestants et la persécution des jansénistes ont marqué

    les consciences ; le pouvoir des jésuites sur l'entourage

     

    royal est de plus en plus mal supporté. Tout cela, on avait

    à peine osé le dire. Or du jour au lendemain, tout ce qui

    était ressenti, murmuré ou sous-entendu, on va le

    proclamer. Les opinions secrètes deviennent opinion

    publique, et dans les journaux, on verra s'affirmer

    l'effacement du despote et les promesses de l'avenir. Une

    ère nouvelle s'annonce de tous côtés. Pendant deux ans,

    l'imagination est au pouvoir. Qu'il s'agisse de politique,

    d'économie, de religion, de société ou d'esthétique, la

    rêverie utopiste paraît soudain avoir prise sur la réalité. Le

    pouvoir s'emploie à multiplier les réformes, les ébauches

    hâtives d'un nouveau régime ; le désordre même semble

    devenir signifiant. Tout paraît soudain possible.

     

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    Le testament cassé

     

    Deux mois auront été nécessaires pour que se développe,

    dans sa lenteur imposante, l'ordre de la mort, pour que

    l'événement s'inscrive dans l'éternité de la monarchie. Sur

    son lit de mort, Louis XIV avait murmuré en présence du

    Régent : « Vous allez voir un roi dans la tombe et un autre

    dans le berceau. Souvenez-vous toujours de la mémoire

    de l'un et des intérêts de l'autre ». Tandis que s'accomplit

     

    la liturgie du deuil royal, les « intérêts » du successeur

    occupent tout le corps politique. Une intense efferves-

    cence gagne tous les étages de la société, et dans le

    secret du Cabinet se prennent, avec une incroyable

    rapidité, les premières mesures de passation des pouvoirs.

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    Gravure sattirique

    Lithographies XVIIIe

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    Un poète anonyme, en qui Buvat croit à tort reconnaître

    François Arouet, qui n'est pas encore Voltaire, parut en

    septembre 1715 : il attaquait Louis XIV, Madame de

    Maintenon, Louvois, le lieutenant de police La Reynie, il

    défendait Fénelon contre Bossuet, les jansénistes contre

    Le Tellier, les parlemenaires contre le pouvoir absolu : ce

    réquisitoire prend place parmi les bilans qui se multiplient

    en 1715.

     

    « Tristes et lugubres objets,

     

    J'ai vu la Bastille et Vincennes,

     

    Le Châtelet, Bicêtre, et mille prisons pleines

    De braves citoyens, de fidèles sujets.

     

    J'ai vu la liberté ravie,

     

    De la droite raison la règle poursuivie ;

     

    J'ai vu le peuple gémissant

     

    Dans un rigoureux esclavage ;

     

    J'ai vu le soldat rugissant,

     

    Crever de faim, de soif, de dépit et de rage.

     

    J'ai vu les sages contredits,

    Leurs remontrances inutiles ;

     

    J'ai vu des magistrats vexer toutes les villes

    Par de criants impôts et d'injustes édits.

     

    J'ai vu, sous l'habit d'une femme,

    Un démon nous faire la loi ;

     

    Elle sacrifia son Dieu, sa foi, son. âme

     

    Pour séduire l'esprit d'un trop crédule roi.

     

    J'ai vu cet homme épouvantable,

     

    Ce barbare ennemi de tout le genre humain,

    Exercer dans Paris, les armes à la main,

    Une police abominabl

     

    J'ai vu les traitants impunis ;

     

    J'ai vu les gens d'honneur persécutés, bannis ;

    J'ai vu même l'erreur en tout lieu triomphante,

    La vérité trahie et la foi chancelante.

     

    J'ai vu le lieu saint avili,

     

    J'ai vu Port-Royal démoli,

     

    J'ai vu l'action la plus noire

     

    Qui puisse jamais arriver.

     

    L'eau de tout l'Océan ne la pourrait laver,

     

    Et nos derniers neveux auront peine à la croire.

     

    J'ai vu, dans le séjour par la Grâce habité,

    Des sacrilèges, des profanes

    Remuer, tourmenter les mânes

     

    Des corps marqués au sceau de l'immortalité.

     

    Ce n'est pas tout encor ;j'ai vu la prélature

    Se vendre et devenir le prix de l'imposture.

    J'ai vu les dignités en proie aux ignorants,

     

    J'ai vu des gens de rien tenir les premiers rangs.

     

    J'ai vu de saints prélats devenir la victime

    Du feu divin qui les anime.

     

    0 temps ! ô moeurs !j'ai vu, dans ce siècle maudit,

    Le cardinal, l'ornement de la France,

     

    Plus grand encore et plus saint qu'on ne dit,

    Ressentir les effets d'une horrible vengeance.

     

    J'ai vu l'hypocrite honoré ;

     

    J'ai vu, c'est tout dire, le jésuite adoré.

    J'ai vu ces maux sous le règne funeste

    D'un prince que jadis la colère céleste

     

    Accorda par vengeance à nos désirs ardents ;

     

    J'ai vu ces maux, et je n'ai pas vingt ans. »

    JOURNAL DE LA RÉGENCE, SEPTEMBRE 1715.

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    sources lien gallica

     

     

     


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