• Victor Ruprich-Robert

    Sées, Orne (1849-1887)

    Victor Ruprich-Robert

    Victor s’est intéressé très tôt à la ville de Sées et, en particulier, à sa cathédrale, proche du château de Rânes où

    il séjournait régulièrement. Le 5 novembre 1843, choqué de l’état dans lequel se trouvait la cathédrale, il écrit

    à la Commission des Monuments Historiques :

    « Le scandale dont je viens d’être témoin dans l’église cathédrale de Séez (Orne), le 15 du mois de 7bre dernier est

    cause de la liberté que je prends de vous adresser ces quelques lignes.

    Cette église complète du treizième siècle, vous le savez Messieurs, est remarquable par sa grande unité, aucune

    annexe n’y a été faite depuis la fondation et les sculptures en sont bien conservées. Mr Alavoine commença à réparer cet édifice il y a une vingtaine d’années et depuis ce tems il est en voie de restauration ; je dis en voie de

    restauration, car il exigera beaucoup de soins encore avant d’être sauvé de la ruine totale qui la menace : il a

    perdu de son aplomb et la lenteur des travaux les rend inappropriés.

    Une autre chose encore vient hâter la ruine, c’est l’entière négligence de Monseigneur l’évêque qui ne veille pas

    plus à la sureté des fidèles qu’à la conservation de son église : j’ai été assailli à coup de pierres dans le chœur

    même par les enfants des rues qui viennent s’y établir n’y trouvant point d’opposition, les autels mêmes sont profanés, l’édifice enfin semble être abandonné, d’où il suit que les vitraux et les sculptures doivent en souffrir.

    Si l’évêché ne peut suffire aux dépenses que nécessite l’entretien de cette cathédrale, qui est considérable à la

    vérité, qu’au moins, puisqu’il n’y a pas de sacristain pour s’interposer, l’on tienne les portes fermées après les

    offices.

    Il est vrai que les étrangers pourront être privés de visiter cette admirable abside, mais ainsi ils ne verront point

    profaner de la sorte ce saint monument transformé en place publique.

    Veuillez agréer, Messieurs, le profond respect de celui qui à l’honneur d’être Votre très humble serviteur. »

    Victor Ruprich-Robert

    La construction de la cathédrale actuelle a débuté en 1210 sur les décombres,

    mal consolidés, de deux édifices plus anciens. Elle a été consacrée un siècle plus

    tard, en 1310. Elle subit de nombreux dommages pendant la guerre de Cent Ans

    et les guerres de religion. Au XVIe 

    Victor Ruprich-Robert

    , des travaux de consolidation ont lieu : la nef

    est raccourcie d’une travée et deux contreforts sont construits pour étayer la

    façade ouest. Au XVIIIe siècle, elle est

    dans un tel état de délabrement que

    l’évêque doit en condamner l’accès, en

    1740. La tour au-dessus de la croisée du

    transept menaçant de s’effondrer, elle

    doit être démontée. L’architecte Brousseau, constatant un devers de la nef, au

    nord, ajoute deux contreforts sur la quatrième travée. En 1817, Alavoine entreprend de nouveaux travaux de consolidation. Il encastre la façade dans un

    énorme massif pour la consolider, dénaturant ainsi l’élégante esthétique de sa construction. Les architectes Delarue et Dedaux qui lui

    succèdent poursuivent les travaux. Les contreforts de la nef sont repris, au nord entre 1832 et 1838, au sud entre 1844 et 1850. Ils reconstruisent également la flèche de la tour sud.

    Tous ces travaux ont certes permis d’éviter l’effondrement de la cathédrale mais ils n’ont fait que s’attaquer aux effets sans chercher les

    causes. Victor, qui disposait d’appuis puissants auprès de l’évêque, est

    nommé architecte diocésain de Sées à la fin de 1849. Il le rester jusqu’à sa mort et ne verra même pas la fin des travaux du chœur. Il a donc consacré 37 ans de sa vie à ce travail de restauration ce qui en fait, incontestablement, son grand-œuvre dans ce domaine. A cet égard, il est

    caractéristique de sa manière de travailler, s’appuyant sur une analyse fouillée de l’histoire de la construction,

    de son style, des matériaux utilisés et de sa grande attention à respecter dans ses restaurations, chaque fois

    que cela est possible, les intentions des premiers constructeurs. Chacun sait que tous ses contemporains, à

    commencer par Viollet-le-Duc, n’ont pas toujours eu les mêmes scrupules.

    Il consacre tellement de temps à cette cathédrale qu’il se fera construire un bâtiment sur le flanc sud du

    chœur, comprenant une chambre, un bureau pour ses dessins et un atelier de taille de pierre. Ce petit bâtiment existe toujours. Il a été classé et sa restauration est en cours d’achèvement.

    Contrairement à ses prédécesseurs, il commence par faire une analyse des causes des faiblesses de l’édifice. Il

    fait des sondages, découvre que le sol vierge, sur lequel avait été bâtie la première cathédrale gallo-romaine,

    détruite par un raid viking en 878, est à cinq mètres sous le niveau du sol actuel. Au-dessus, il retrouve les

    restes calciné de la seconde cathédrale, brûlée en 1048. Dans son ouvrage sur la cathédrale, publié en 1885, il

    cite le diagnostic qu’il a envoyé à la Commission, le 1er septembre 1849 :

    « Il y a quelque chose de véritablement pénible de voir la magnifique architecture qui s’élève au-dessus d’un pareil chaos ; elle a souffert considérablement, et il faut s’étonner plutôt de pouvoir encore l’admirer debout sur ces

    ruines, que de la voir lézardée comme elle l’est depuis le sol jusqu’à son couronnement. »

    Il détaille l’histoire de la construction de la cathédrale, des différents travaux effectués au cours des siècles

    afin de corriger les effets de sa faiblesse d’origine, à savoir qu’elle avait été construite sur un substrat instable.

    Il critique, en particulier, les travaux d’Alavoine, mal conçus, inesthétiques et qui utilisaient des matériaux

    inappropriés, notamment la pierre de St-Martin-des-Champs alors que c’est celle de Chailloué qu’avait utilisée

    les premiers architectes. Sur la base de ce constat, avec l’aval de la Commission, il décide de procéder par des

    reprises en sous-œuvre. 

    Victor Ruprich-Robert

    Entre 1850 et 1852, il restaure le transept sud, fissuré de haut en bas au

    point de mettre en péril sa magnifique rose. « Il en reconstruisit toutes les

    fondations sur une hauteur de six mètres et refit, d’après ses propres inspirations, le pignon de la façade et les grands clochetons, parties qui avaient

    disparu depuis longtemps. ».

    Il n’hésite pas, comme cela se pratiquait

    à l’époque, à réinventer les parties disparues. On ne peut évidemment pas

    juger de leur conformité avec l’original

    mais, au moins il s’efforce de respecter

    un style conforme à celui-ci sans tomber

    dans les regrettables anachronismes

    que l’on peut observer ailleurs.

    Un nouveau projet de restauration du

    transept nord est approuvé en 1870. Les

    travaux s’achevèrent en 1880. La sacristie du XVIIIe qui y était accolée est détruite, révélant les vestiges d’un portail roman très dégradé qui est remplacé par un autre en style néogothique.

    Curieusement, ce n’est qu’en 1875 que la cathédrale est classée.

    Victor Ruprich-Robert

    La troisième et dernière phase de travaux concerne le chœur. Approuvée en 1878, elle ne sera terminée

    qu’après la mort de Victor par Petitgrand. Elle passe également par une reprise en sous-œuvre, une dépose

    des voûtes et une reconstruction quasi à l’intégrale. En effet, à la demande de l’évêque, une travée supplémentaire est ajoutée à la chapelle axiale de l’abside.

    Victor Ruprich-Robert

    Le rôle de Victor dans la préservation et la restauration de ce chef-d’œuvre de l’art gothique normand a été

    déterminant. Les libertés qu’il s’est accordées dans la reconstruction des parties disparues sont sobres et

    respectueuses du style original du bâtiment et ne paraissent pas choquantes.

    Victor Ruprich-Robert

     

     

     

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